A l’est de la RDC, les civil·es, otages de guerres éternelles

24/04/2023
Dossier
RDC
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CUNNINGHAM / GETTY IMAGES EUROPE / Getty Images via AFP

L’est de la République démocratique du Congo (RDC) est ravagé par trois décennies de guerres incessantes, ayant fait des millions de victimes civiles et militaires. Alors que la situation s’enlise dans une impasse militaro-politique et que la violence fait rage, qu’en est-il des populations qui aspirent à la paix et la sécurité ? La question se pose à l’aube d’élections prévues pour décembre 2023.

Fin 2021, le Mouvement du 23 mars (M23) réapparaît : c’est la reprise des combats avec les Forces armées de la RDC (FARDC). Ce n’est pas le seul groupe armé à l’est : il y en aurait plus d’une centaine. Face à cette situation explosive, l’armée congolaise est renforcée par celles d’États voisins, plusieurs initiatives de paix et médiation, lancées. Mais ces réponses militaires et politiques sont inefficaces jusqu’ici.

La région est le théâtre de la formation, dissolution et réapparition de groupes armés depuis plus de 30 ans, sans qu’aucune opération militaire n’ait réussi à apaiser la situation. La population, victime de cette tragédie, aspire profondément à la paix, alors que des élections se profilent pour la fin de l’année.

Face à cette situation, la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et ses organisations membres en RDC, l’Association africaine de défense des droits de l’Homme (ASADHO), le Groupe Lotus et la Ligue des Électeurs, condamnent les violations des groupes armés à l’égard des populations civiles, demandant la fin de cette spirale de violence.

À l’est de la RDC, rien de nouveau

L’est de la RDC est au cœur de la région des Grands Lacs, frontalière du Rwanda, du Burundi et de l’Ouganda. Région boisée, au patrimoine écologique inouï, riche en ressources naturelles, elle suscite les convoitises. Enclavée au milieu des volcans et des lacs, nombreux sont les peuples qui y habitent.

Depuis près de 30 ans, les populations y subissent l’insécurité et les violences de groupes armés étrangers et congolais, ainsi que des forces gouvernementales censées les protéger. Avec à la clé, des déplacements massifs de populations : il n’y a pas moins de 600 000 déplacé·es dus aux affrontements entre le M23 et les FARDC. Selon les chiffres des Nations Unies, le mois de janvier 2023 a été de nouveau marqué par des atteintes aux droits humains croissantes, au Nord-Kivu notamment.

Les cycles de violences s’enchaînent. D’abord le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994 avec la fuite des génocidaires au Congo, entraînant leur poursuite par l’armée du Front patriotique rwandais (FPR). Puis, le déclin du régime dictatorial de Mobutu au Zaïre, avec l’arrivée au pouvoir de l’Alliance des forces démocratiques de libération du Congo (AFDL) de Laurent-Désiré Kabila à partir de 1996, marquant le début de la violence armée [1].

La présence de forces étrangères à l’est du Congo a provoqué l’apparition de groupes armés nationaux. Leur recrudescence a grandi avec la mauvaise gouvernance et la corruption, enracinant la violence et la systématisation des atteintes aux droits humains.

Depuis 30 ans, les organisations de la FIDH documentent et dénoncent les violations en RDC. Des crimes commis par l’armée du FPR en 1994 à la recherche des bourreaux du génocide, en passant par les crimes commis durant les « deux guerres du Congo » entre 1998 et 2003, et ceux des conflits plus récents à l’ouest du pays, force est de constater l’impunité qui règne. Voire même, l’orchestration de cette dernière. Les efforts de membres de la société civile pour ouvrir des enquêtes sont restés vains.

Les groupes armés, fléau de l’est

Le M23 n’est pas nouveau. Apparu en 2012 au Nord-Kivu, il a pris la ville de Goma, avant d’être dispersé en novembre 2013 par les FARDC et les troupes de la Mission de maintien de la paix de l’ONU, la MONUSCO. Il est composé d’anciens miliciens tutsis congolais issus du groupe armé Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) de Laurent Nkunda [2], milice qui sévissait jusqu’en 2009, lorsqu’un accord de paix a été conclu avec le gouvernement congolais pour les intégrer dans l’armée du pays - le 23 mars 2009. Prétextant l’échec de cet accord, les miliciens ont fait défection, créant le M23.

Parmi eux, Bosco Ntaganda arrêté et condamné par la Cour pénale internationale (CPI) en 2021 à 30 ans de prison pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité en Ituri en 2002-2003 alors qu’il commandait les Forces Patriotiques pour la Libération du Congo. Fin novembre 2022, à Kishishe, au Nord-Kivu, 131 civil·es auraient été tué·es par le M23 selon les premiers chiffres de l’ONU, mais les chiffres du gouvernement congolais et du M23 diffèrent. En décembre 2022, suite à ce massacre, le Congo saisit la CPI.

Sur la base du rapport du Groupe d’experts des Nations Unies sur le Congo [3], le M23 est accusé par la RDC et d’autres États d’être soutenu par le Rwanda, afin de combattre les FARDC et les FDLR, composés d’anciens génocidaires rwandais toujours actifs dans le pays. Les FDLR et Interahamwe ne compteraient plus que quelques survivants de ce régime et seraient composés de congolais les ayant rejoint. Ils auraient également collaboré avec les FARDC pour combattre le M23, ce qui a été dénoncé par le Rwanda et le M23 (voir l’annexe 49 de ce même rapport).

Mais le M23 n’est pas la seule menace. Plusieurs autres groupes sèment la terreur à l’est. Les ADF, groupe armé d’origine ougandaise est actif dans les provinces de l’Ituri et au Nord-Kivu. Créés en Ouganda contre le régime de Yoweri Museveni, Président depuis 1986, pour établir l’Etat islamique, les ADF agissent aujourd’hui depuis le sol congolais. Ils se sont établis à la frontière avec l’Ouganda. Qualifiés de groupe terroriste par les États-Unis pour ses liens avec Daech, ils sont connectés avec les insurgés au nord du Mozambique, les “Al-Shabaab”, également qualifiés de terroristes. Daech a revendiqué les attaques récentes perpétrées par les ADF les 15, 23 et 29 janvier en RDC dans le territoire de Beni au Nord-Kivu et en Ituri où des dizaines de personnes ont été tuées. Une autre attaque commise par les ADF dans le territoire de Beni a fait 35 morts et plusieurs blessé·es. Les attaques terroristes perpétrées à Kampala fin 2021 ont également été revendiquées par le même groupe.

Force est de constater la pléthore de groupes armés étrangers et plus ou moins informels opérant à l’est de la RDC. Dans ce contexte la question de la force armée régionale est posée.

Une force armée régionale « pour ramener la paix » à l’est de la RDC ?

Le 20 juin 2022, la Communauté des États d’Afrique de l’est (EAC) décide de l’envoi d’une force régionale pour combattre les groupes armés dans les provinces de l’est de la RDC, en Ituri, au Nord-Kivu et au Sud-Kivu [4]. Ceci après la tenue de réunions sur l’est de la RDC à l’initiative de l’ancien Président kenyan, Uhuru Kenyatta, suite à l’adhésion de la RDC à l’EAC en mars 2022. En outre, le processus de paix « de Luanda » entre la RDC et le Rwanda, s’accusant mutuellement de causer les conflits entre groupes armés - les FDLR pour la RDC et le M23 pour le Rwanda - est en cours, sous l’égide du président angolais João Lourenco. Mais, en dépit de négociations, y compris via l’Union africaine, la situation s’enlise.

Cette force régionale menée par le Kenya a été déployée fin 2022 à Goma. Depuis, des divisions des armées du Burundi et de l’Ouganda l’ont rejoint et bientôt du Sud-Soudan. Suite à un accord avec la RDC en 2021, l’armée ougandaise intervient aussi près de la frontière ougandaise [5] avec les FARDC contre les ADF. Selon un autre accord bilatéral, l’armée burundaise est présente au Sud-Kivu depuis août 2022, aux côtés des FARDC et contre les groupes armés d’origine burundaise : la Résistance pour un état de droit au Burundi (RED-Tabara) et les Forces nationales de libération (FNL). Enfin, selon un autre accord récent, l’Angola devrait envoyer des soldats au Nord-Kivu pour le désarmement et la réintégration des combattants du M23 dans la société civile.

Peut-on compter sur les armées des régimes autoritaires pour établir la paix ?

Les contingents ougandais, burundais ou sud-soudanais sont issus d’armées qui répriment les droits et libertés fondamentales dans leur pays. Dans le contexte électoral ougandais, de nombreux·ses dissident·es ont été réprimé·es. Une situation condamnée par la FIDH et ses organisations, ainsi que le Bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’Homme de l’ONU, dont le mandat ne sera pas renouvelé par le gouvernement ougandais. Depuis 1986, le pays est dirigé par le Président Yoweri Museveni. Alors que des élections ougandaises sont prévues pour 2026, son fils, Muhoozi Kainerugaba, à la tête des forces armées terrestres, l’a défié en souhaitant le remplacer.

Au Burundi, l’armée aurait recours aux Imbonerakure, une milice à la solde du régime. Elle est connue pour ses exactions contre la population et les dissident·es depuis 2015 notamment. Malgré la reprise des relations par les partenaires du Burundi depuis l’arrivée d’Evariste Ndayishimiye au pouvoir en 2020, la situation des droits civils et politiques reste précaire.

Officiellement, le Rwanda ne disposerait pas de contingents armés en RDC. Officieusement, sa présence au Nord-Kivu, y compris en soutien au M23 pour combattre les FDLR et les FARDC a été critiquée par la société civile. L’Union européenne a décrié le soutien au M23, alors même qu’elle a adopté une aide de 20 millions d’euros pour ce même pays pour financer l’intervention en faveur des troupes mozambicaines, afin de lutter contre les insurgés dans la province de Cabo Delgado. Région où un gisement de gaz est exploité par l’entreprise Total. Cette présence rwandaise à l’est de la RDC donne accès aux ressources naturelles dont regorge la région et permet d’y maintenir un climat d’insécurité. Paul Kagame est président du Rwanda depuis 2000 : il a instauré un régime tenant sur la peur et les restrictions des droits et libertés, à l’intérieur et à l’extérieur du pays. L’espace démocratique y est quasi inexistant.

En 2019, lorsque Félix-Antoine Tshisekedi est arrivé au pouvoir en RDC pour renforcer la coopération avec les pays voisins, l’idée d’un État-major intégré des armées de la région n’a pas abouti. La société civile, notamment à l’est, s’y est opposé, y voyant une porte d’entrée pour les armées voisines, dont la présence officielle ou dissimulée est déjà dénoncée [6]. Le risque d’une déstabilisation de la région existe.

Une force régionale accusée de passivité et d’inaction

Des manifestations ont été organisés à Goma début 2023 contre cette force régionale, vue comme passive et inefficace : des manifestations violemment dispersées.

Ce n’était pas la première fois : en juillet 2022, des mouvements au Nord-Kivu ont dégénéré en attaques contre la MONUSCO en phase de retrait progressif, dont la présence et l’inefficacité sont régulièrement décriées. Il y a eu au moins 19 mort·es et 61 blessé·es. En juillet 2022, deux militaires de la Brigade d’intervention de la force MONUSCO ont ouvert le feu à Kasindi, tuant deux personnes. Les enquêtes sont toujours en cours.

En 2013 a été créée la Brigade d’intervention rapide (Forced Intervention Brigade – FIB en anglais) de la MONUSCO, dotée d’un mandat offensif sous Chapitre 7 de la Charte de l’ONU, avec un droit au recours à la force au-delà de la légitime défense. Elle comprend des contingents kényans, du Malawi, tanzaniens et sud africains [7]. La même année, la FIB a combattu et vaincu le M23 de l’époque, aux côtés des FARDC [8]. Depuis, la FIB combat également aux côtés des FARDC contre d’autres groupes armés, dont les ADF, mais la coordination avec la force régionale de EAC reste vague.

Une région en état de siège

En mai 2021, avec la recrudescence de l’activité des groupes armés à l’est du pays, le président Tshisekedi a décrété l’état de siège en Ituri et au Nord-Kivu. Mais les résultats ne sont pas là. Pire, cela a engendré des violations des droits fondamentaux et libertés dans les provinces concernées par l’état de siège, ce que dénonce la société civile, constatant le pouvoir conféré aux militaires et à la police retourné contre tous·tes ceux et celles osant critiquer les dérives. Les FARDC, connus pour les abus, continuent leurs opérations avec la MONUSCO et d’autres contingents. Depuis la levée de l’obligation de notification au Conseil de sécurité en décembre 2022 (embargo sur les armes), ils peuvent plus facilement se fournir en armes, équipements, formation, conseil et assistance militaire au profit de la RDC.

Dans ce contexte, la nomination, fin mars 2023, de Jean-Pierre Bemba comme ministre de la Défense par le président Tshisekedi, à quelques mois de l’élection présidentielle, inquiète fortement les organisations de la FIDH. En 2016, il avait été déclaré coupable par la CPI, avant d’être acquitté en 2018, de crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis en République centrafricaine entre 2002 et 2003 en tant que chef militaire du Mouvement de libération du Congo (MLC), un groupe rebelle congolais qui était également actif en RDC. Bien que Jean-Pierre Bemba ait été acquitté de toutes les charges portées à son encontre par la CPI, la Chambre d’appel n’a pas remis en question le fait que des crimes de meurtres, viols et pillages aient été commis par le MLC.

Les organisations de la FIDH ont attiré l’attention sur les risques que représentent le déploiement et l’intervention d’une force d’envergure régionale. Avec la multiplication des initiatives militaires à l’est de la RDC, elles s’interrogent sur la conduite à tenir et à la coordination des opérations entre cette nouvelle force et les forces existantes, à savoir la FIB et ses contingents de la région, l’armée ougandaise, l’armée burundaise, l’armée angolaise et les FARDC. L’impact que cela pourrait avoir sur les populations est au centre des préoccupations de la FIDH. Alors que jusqu’à présent les solutions militaires et de mesures politiques et diplomatiques de paix semblent avoir échoué, l’inquiétude domine, d’autant plus que le sort des populations ne semble pas constituer une priorité aux yeux des autorités régionales et internationales.

La FIDH et ses organisations membres en RDC craignent donc une énième intervention qui alimenterait un nouveau cycle de violence sans fin dans un contexte d’impunité grandissante.

Un air de déjà vu ?

Les organisations de la FIDH s’inquiètent aussi des tensions entre communautés qui pourraient être exacerbées et mettent en garde contre leur instrumentalisation à l’est de la RDC, notamment dans un contexte électoral approchant, prévu pour décembre 2023.

La FIDH a noté une hausse des tensions intercommunautaires et des discours incitant à la haine. Des manifestations et de nouvelles tensions sont apparues à l’encontre des populations rwandophones et de la communauté tutsi de la RDC suite à la résurgence du M23 et aux accusations de la RDC à l’égard du Rwanda accusé de soutenir ce mouvement armé. Ses liens avec le Rwanda avaient été dénoncés lors de la précédente formation du groupe en 2012. Récemment, dans son rapport à mi-parcours de décembre 2022, les Nations Unies notaient une « prolifération inquiétante de la xénophobie et des discours de haine incitant à la discrimination, à l’hostilité et à la violence à l’égard des populations rwandophones perçues comme soutenant le M23/ARC, en particulier des communautés banyamulenge et tutsie, ce qui a parfois conduit à des actes de violence voire à des meurtres ». À l’ouest du pays également, dans la province du Maï-Ndombe, deux communautés s’affrontent de manière meurtrière depuis mai 2022.

Les organisations de la FIDH s’alarment de la situation dans ces provinces sur fond de contexte électoral qui se rapproche, avec l’enrôlement des citoyen·nes sur les listes électorales et le début des tractations pour la présidentielle.

La configuration actuelle rappelle celle d’avant les élections de 2018 : des conflits avaient dégénéré en massacres à Yumbi, dans la province du Maï-Ndombe et dans les provinces du Kasaï. Dans les villes de Beni, Butembo à l’est du pays mais également à Yumbi, le vote avait été annulé et reporté pour les élections présidentielle, législatives et provinciales pour cause d’insécurité et à cause du virus Ebola.

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