conclusions de mission au Maroc

14/10/2005
Communiqué

Une mission d’information et de contacts avec les autorités et la societé civile marocaines a sejourné au Maroc du 4 au 7 octobre 2005.

Composée du Président de la FIDH Sidiki Kaba (Sénégal), de l’ancien Vice président Khémaïs Chammari (Tunisie) et de Jeanne Sulzer (France), responsable de la justice internationale au sein du secrétariat de la FIDH ; cette mission a été précédée par la participation de Khémaïs Chammari au Forum national sur la réparation organisé par l’Instance Equité et Réconciliation à Rabat du 30 septembre au 2 octobre 2005.

Conformément aux termes de référence qui lui ont été assignés, la mission comportait deux volets :

la question de la ratification par le Maroc du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (adopté le 17 juillet 1998 et entré en vigueur le 1er juillet 2002) que le Maroc a signé le 8 septembre 2000 mais qu’il n’a pas, à ce jour, ratifié.
Le suivi et la mise à jour du rapport des missions internationales d’enquête dépêchées au Maroc par la FIDH durant l’été 2003 et rendu public en février 2004 sous le titre : [« Les autorités marocaines à l’épreuve du terrorisme : la tentation de l’arbitraire. Violations flagrantes des droits de l’Homme dans la lutte anti-terroriste. » [1]
 >http://www.fidh.org/IMG/pdf/ma379f-3.pdf]
La mission a eu une douzaine de rencontres et de séances de travail sur ces deux volets avec des interlocuteurs gouvernementaux et non gouvernementaux et notamment le Président de la Chambre des représentants, le Ministre de la justice et plusieurs directeurs de ce département, des membres de l’Instance Equité et Réconciliation, le Secrétaire général et des membres du Conseil consultatif des droits de l’Homme, les deux organisations affiliées AMDH et OMDH, le Forum vérité et justice, l’Observatoire marocain des prisons, l’Association Enassir de soutien aux détenus islamistes, la Coalition marocaine pour la CPI, ainsi que plusieurs avocats qui ont eu à suivre les procédures judiciaires engagées durant les trois dernières années notamment dans le cadre de la législation anti-terroriste promulguée au lendemain des attentats criminels de Casablanca du 16 mai 2003. Enfin, la mission a évoqué avec plusieurs de ses interlocuteurs les procédures qui ont fait suite aux évènements de mai 2005 à Layoune et ceux d’El Hoceima dans le Rif.

1 - Concernant la campagne pour la ratification du Statut de Rome de la CPI, la mission a mis l’accent sur les éléments suivants :

l’intérêt pour le Maroc, cinq ans après sa signature, de faire partie des 100 premiers Etats acceptant l’autorité de cette première juridiction pénale internationale permanente dont le Statut n’a été jusqu’ici ratifié que par deux pays membres de la Ligue des Etats arabes, la Jordanie et Djibouti. La mission a rappelé le principe de complémentarité de la CPI avec les juridictions nationales et elle a insisté sur l’importance de ce nouveau mécanisme international de lutte contre l’impunité ;

l’insistance de voir l’Instance Equité et Réconciliation adopter, au nombre des recommandations finales qu’elle doit déposer auprès du Roi, fin novembre 2005, une recommandation concernant la ratification du Statut de Rome. La mission de la FIDH a remis à cette occasion à tous ses interlocuteurs le rapport définitif du séminaire qu’elle a organisé à Rabat du 1er au 3 octobre 2004 en partenariat avec l’IER et les organisations marocaines de défense des droits humains et en coopération avec la coalition internationale des ONG pour la CPI et de l’International Human Rights Law Institute (Université De Paul - Chicago) sur le thème « Lutte contre l’impunité, instance équité et réconciliation et Cour pénale internationale »2 au terme de laquelle avait été adopté « l’appel de Rabat » qui a notamment mis l’accent sur l’articulation entre l’IER et la CPI et qui a décidé la création de la coalition marocaine pour la CPI ;

l’utilité de s’appuyer sur l’expérience internationale acquise en matière de ratification et d’adaptation du Statut de la CPI dans différents pays s’agissant des obstacles entre les dispositions de ce Statut et celles - constitutionnelles et/ou législatives - des différents droits nationaux relatives notamment au régime des immunités ;

la nécessité de mener à son terme, en relation avec la coalition marocaine et d’autres partenaires internationaux, le travail d’étude et d’analyse sur les obstacles juridiques à la mise en œuvre complète du statut de la CPI en droit interne mené depuis le mois d’avril 2005 dans le cadre de la mission de la FIDH d’assistance technique en vue de contribuer à l’élaboration d’une loi nationale d’adaptation du Statut de la CPI au Maroc. La proposition de l’organisation d’un atelier national consacré à cette question a ainsi été relancée avec insistance.

La mission de la FIDH a pris acte des assurances qui lui ont été faites quant à la volonté politique des autorités de ne pas éluder l’objectif de la ratification. Elle a pris bonne note des informations sur les travaux de la Commission mise en place auprès du Premier ministère relative à l’harmonisation de la législation marocaine avec les conventions ratifiées en matière de droits humains, à la levée des réserves qui ont accompagné certaines ratifications et aux conventions non encore ratifiées. Tout comme elle a enregistré l’évolution de la réflexion engagée dans le cadre de la commission de révision du Code pénal marocain mise en place au ministère de la justice et qui devrait notamment incorporer dans la législation marocaine les crimes de génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité.

La mission a émis l’espoir de voir ces travaux aboutir dans des délais raisonnables et elle s’est engagée à fournir, à l’IER, des éléments de droit comparatif susceptibles de contribuer à une meilleure prise en compte de la recommandation pressante de ratification du Statut de Rome.

Enfin, la mission a saisi l’occasion de ces contacts pour aborder la question de la peine de mort (non prévu dans le Statut de la CPI) et qui concernerait aujourd’hui, au Maroc, 152 détenus dont 21 au titre de procédures engagées avant et après la législation du 29 mai 2003 dans le cadre de procédures anti-terroristes. Tout en constatant que la peine capitale n’a pas été appliquée depuis 1993 la FIDH a plaidé auprès de ses interlocuteurs pour que la peine de mort soit abolie et retirée de l’arsenal des peines et en attendant l’annonce officielle d’un moratoire sur les exécutions des peines capitales.

2 - Concernant la mise à jour et le suivi du rapport sur les « Violations flagrantes des droits de l’Homme dans la lutte anti-terroriste » de février 2004, la mission a recueilli des témoignages et des compléments d’information qui seront exploités par le secrétariat de la FIDH en relation notamment avec les organisations marocaines affiliées.

 Comme l’a pertinemment rappelé le précédent rapport, « la répression des actes de terrorisme est indispensable. C’est une évidence mais qu’il importe d’asséner : de tels actes sapent l’Etat de droit, il est du devoir des autorités de les réprimer effectivement au nom du droit de toute personne à la vie, à la liberté et à la sécurité. Mais un Etat de droit se doit de respecter les règles qu’il a fixées et les engagements internationaux souscrits, qui sont garants des droits des personnes, même si ces dernières nient toute légitimité à cet Etat et ne reconnaissent pas ses principes fondateurs. Il s’agit non seulement de respecter les obligations internationales souscrites mais aussi de garantir l’efficacité de la lutte entreprise contre le terrorisme en renonçant radicalement - sauf à faire le jeu de ses inspirateurs - à la tentation de l’arbitraire. » C’est sur cette base que la FIDH avait stigmatisé la dérive sécuritaire du deuxième semestre 2003. Elle avait ainsi mis l’accent sur les violences, y compris la torture et les traitements cruels, inhumains et dégradants, commises contre les personnes poursuivies tout comme les atteintes au droit à un procès équitable y compris celles flagrantes des droits de la défense. Enfin, le rapport de 2004 insistait sur la détérioration des conditions de détention, la surcharge démographique des prisons et les mauvais traitements à l’égard des familles.

 Les débats et les recommandations du Comité des droits de l’Homme des Nations Unies sont allés dans le même sens que les 12 recommandations faites par la FIDH aux autorités marocaines et l’important et massif mouvement de grève de la faim des détenus islamistes du printemps dernier a illustré la réalité et la gravité de l’ensemble de ces constats. Les témoignages recueillis par la mission de la FIDH d’octobre 2005, y compris auprès de certains interlocuteurs gouvernementaux, ont confirmé l’urgence d’une réforme de l’institution judiciaire marocaine dans le sens d’une véritable indépendance garantie par des mécanismes institutionnels crédibles comme condition essentielle pour éviter la répétition des dérives sécuritaires et arbitraires constatées.
La mission estime que les témoignages des détenus et de leurs familles ainsi que les constats des avocats et des organisations de défense des droits humains sur le contexte très particulier du lendemain des attentats de mai 2003 doivent, sous une forme ou sous une autre, être pris en compte dans l’appréciation de la situation du millier des détenus politiques recensés par l’administration pénitentiaire. Les deux séries de grâces royales décidées au cours du deuxième semestre de 2005 et qui ont englobé près de 120 détenus ont ainsi suscité de légitimes attentes et elles demeurent d’autant plus insuffisantes que les attentats de Casablanca et la quinzaine de crimes de sang perpétrés avant ces attentats ne sauraient à l’évidence concerner directement les quelques 900 personnes actuellement détenues dans le cadre de l’application des procédures anti-terroristes.

La mission a pris acte des assurances données concernant la volonté de l’amélioration de la situation carcérale et elle espère que cela se traduira par des mesures concrètes et tangibles dans un proche avenir. Enfin, s’agissant du recours à la torture et de l’impunité dont continueraient à bénéficier les auteurs d’actes de torture, la mission a réitéré les recommandations de la FIDH concernant la durée et les conditions de la garde à vue et la mise en place de mécanismes de surveillance systématique et efficace des arrestations et interrogatoires en vue d’une plus grande protection des personnes arrêtées. Tout comme elle a mis l’accent sur la nécessité de procéder systématiquement à des enquêtes impartiales sur tous les cas de décès en détention et sur toute allégation d’actes de torture. Ce sont là, autant de mesures indispensables en attendant l’adoption et la mise en œuvre de l’important projet de loi 43-04 qui concerne la pénalisation et l’incrimination des pratiques de torture et qui, soumis par le Gouvernement au Parlement vient d’être adopté par la Commission des lois de la Chambre des représentants. Ce projet retient une définition du crime de torture conforme à celle consacrée par la Convention internationale contre la torture de 1984. Ce texte, une fois adopté, constituera une importante avancée qui devrait être suivie d’une mise en œuvre effective ainsi que de la reconnaissance du droit de pétition individuelle prévu à l’article 21 de la Convention internationale contre la torture et autres peines ou traitements cruels inhumains ou dégradants ratifiée par le Maroc le 21 juin 1993.

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