La peine de mort au Maroc : un moratoire de fait qui perdure

14/07/2006
Communiqué

A l’occasion de l’Assemblée générale de la Coalition mondiale contre la peine de mort qui s’est tenue à Casablanca les 17 et 18 juin 2006, la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) a entrepris, du 17 au 22 juin 2006, une enquête sur la situation de la peine de mort dans le Royaume du Maroc avec le concours de ses deux organisations membres, l’Organisation marocaine des droits humains (OMDH) et l’Association marocaine des droits humains (AMDH).

Ayant pris bonne note de la déclaration publique du ministre de la Justice, à l’occasion de la 61ème session de la Commission des droits de l’Homme des Nations unies le 15 mars 2005, en faveur de l’abolition de la peine capitale et de la recommandation de l’Instance Equité et Réconciliation (IER) dans son rapport final en faveur de la ratification par le Maroc du deuxième Protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits
civils et politiques qui abolit la peine de mort dans toutes les circonstances, la FIDH a décidé d’envoyer une mission d’enquête visant à faire l’état des lieux des perspectives d’abolition de la peine de mort au Maroc.

36 articles du Code pénal marocain prévoient la peine de mort, néanmoins aucune exécution n’est intervenue dans le pays depuis 1993. Il existe donc un moratoire de fait depuis plus de dix années. Pourtant en dépit des grâces royales accordées à l’occasion de divers évènements, des condamnations à mort sont régulièrement prononcées par les tribunaux, tant à l’encontre de personnes accusées de terrorisme qu’en matière de droit commun, la dernière condamnation à la peine capitale ayant été prononcée par la Cour d’appel de Rabat en mai dernier. Aujourd’hui, selon l’administration pénitentiaire, 127 personnes dont 5 femmes, sont détenues dans les couloirs de la mort des prisons marocaines et selon les informations données par le ministère de la Justice, la plupart d’entre elles se trouvent à la prison centrale de Kenitra.

A l’occasion de sa mission, la FIDH a vainement sollicité auprès des autorités marocaines l’autorisation de visiter les condamnés à mort de Kenitra. Ce refus a été officiellement motivé par la disposition du Code des prisons marocain qui n’autorise la visite des personnes étrangères à la famille des condamnés que dans le cadre de « projets de réhabilitation de ces derniers ». S’agissant de personnes condamnées à la peine capitale, cette réponse traduit l’ambiguïté de la situation des condamnés à mort au Maroc aujourd’hui. Selon les informations rapportées par l’Observatoire marocain des prisons suite à la visite qu’il a effectuée à la prison de Kenitra en avril 2005, ainsi que les témoignages recueillis par la FIDH auprès d’avocats de condamnés à mort lors de cette dernière mission d’enquête, il résulte que les détenus de Kenitra, dont
certains sont incarcérés depuis plus de vingt années, vivent dans une situation de grand dénuement (nourriture insuffisante, absence de soins médicaux etc..) et dans une détresse permanente qui a entraîné plusieurs suicides. Tous fondent leur espoir sur une grâce royale aléatoire.

Une proposition de loi visant l’abolition de la peine de mort a également été déposée le 26 mai 2006 par des parlementaires devant le Parlement. En revanche, plusieurs députés rencontrés dans le cadre de la mission ont fait part de leurs hésitations sur le calendrier à adopter pour la discussion de ce texte, notamment en raison des prochaines élections générales. Ils doivent en outre faire face à l’opposition à l’abolition d’une peine prévue par le Coran et que certains considèrent comme nécessaire au maintien de l’ordre public.

La délégation de la FIDH a néanmoins constaté qu’une large majorité des personnes rencontrées est favorable à réduire considérablement le nombre des crimes passibles de cette peine, tels que prévu aujourd’hui par le Code pénal marocain, aux « crimes les plus graves » et d’exiger l’unanimité des juges pour prononcer une condamnation à la peine capitale.

Un rapport détaillé sera publié par la FIDH sur cette mission d’enquête fin novembre 2006.

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