Deux projets de loi pouvant créer en effet une confusion plus que regrettable entre terrorisme et migration

A Monsieur le Premier Ministre,
A Monsieur le Ministre de la justice
A Monsieur le Ministre de l’intérieur
A Monsieur de Ministre des droits de l’Homme
A Monsieur le Président de la Chambre des représentants
A Monsieur le Président de la Chambre des conseillers

Monsieur,

Comme vous le savez, le Parlement marocain réuni en session extraordinaire depuis le
5 février 2003, délibère sur 2 projets de lois adoptés par le Conseil de gouvernement
le 16 janvier dernier.

Le premier projet n° 02-03 est relatif à « l’entrée et au séjour des étrangers au Maroc,
à l’émigration et à l’immigration irrégulière » et le second n° 03-03 est relatif au
terrorisme.
La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et ses deux
associations affiliées au Maroc, l’Association marocaine des droits humains (AMDH)
et l’Organisation marocaine des droits de l’Homme (OMDH) sont gravement
préoccupés tant par l’adoption concommitante de ces deux projets de lois que par
leurs dispositions.

Nos associations reconnaissent le droit légitime du gouvernement de légiférer en
matière d’entrée et de séjour des étrangers au Maroc et nous saluons à cet égard les
mesures prévues pour lutter contre les trafiquants de main d’œuvre. De même, nous
estimons qu’il est du droit et du devoir de l’Etat marocain de veiller à la sécurité de
ses citoyens en luttant contre des actes terroristes éventuels. Nous sommes néanmoins
très inquiets de constater que de tels objectifs légitimes ne soient atteints au mépris
des droits de l’Homme, dans la précipitation et au risque de créer des amalgames
préjudiciables.
La présentation simultanée de ces deux projets de loi peut créer en effet une confusion plus que regrettable entre terrorisme et migration. Pareillement, les nombreux
reportages consacrés ces dernières semaines, notamment par des chaînes publiques de
télévision, aux opérations de contrôle des étrangers présents irrégulièrement au
Association
marocaine des
droits humains
Organisation
marocaine des
droits humains
Maroc, alimentent - même si c’est involontairement - les sentiments de méfiance
voire de rejet de l’autre. Mobilisés depuis des années contre de telles campagnes qui
visent en Europe et ailleurs les étrangers, dont les Marocains immigrés, nous ne
pouvons qu’attirer votre attention sur les conséquences probables de ces dérives.
Sur le fond, le projet contre le terrorisme reprend en grande partie les dispositions de
la Convention arabe contre le terrorisme adoptée le 22 avril 1998 par le Conseil des
Ministres de la justice de la Ligue des Etats arabes et entrée en viguer le 7 mai 1999.
Les définitions données par le projet marocain et la Convention arabe à la notion de
terrorisme sont si extensives et si imprécises qu’elles reviennent en l’état à
criminaliser des actions pacifiques et légitimes de protestation.
En effet, alors que de nombreux textes internationaux définissent des crimes
terroristes tels les détournements d’avion, la prise de diplomates en otage, les autorités
marocaines savent pertinement qu’il n’existe toujours pas de définition
internationalement acceptée du « terrorisme ». Un projet de Convention internationale
contre le terrorisme est en ce moment même en discussion à l’Assemblée générale des
Nations unies, suite à la publication le 22 octobre 2001, d’un projet de convention
élaboré par un groupe de travail de l’ONU. Ce projet a suscité d’ailleurs les réserves
de plusieurs organisations internatioanles de défense des droits de l’Homme. La
difficulté d’adopter une même définition du terrorisme a été soulignée par Mme
Kalioppi K. Koufa, Rapporteur spécial sur le terrorisme désigné par la souscommission
des droits de l’Homme des Nations unies. Dans son rapport d’août 2001,
elle rappelait que la notion de terrorisme « avait été approchée de perspectives
tellement différentes et dans des contextes si variés, qu’il a été à ce jour impossible
pour la communuaté internationale de parvenir à une définition acceptable ».
Le gouvernement marocain ne peut donc nullement prétendre que le projet de loi 03-
03 a été élaboré en vue de satisfaire à ses obligations internationales à cet égard.
Le projet de loi relative à « l’entrée et au séjour des étrangers au Maroc, à
l’émigration et l’immigration irrégulières » comporte à son tour plusieurs dispositions
attentatoires à des droits et libertés essentiels.
Ainsi plusieurs articles sanctionnent lourdement y compris par des peines de prison,
les étrangers entrés irrégulèrement au Maroc et toute personne marocaine ou étrangère
tentant d’émigrer « clandestinement » du pays. Plusieurs dispositions prévoient le
refus d’entrée d’un étranger au Maroc, le refus de délivrance d’un titre de séjour, le
retrait de ce titre, la rétention des étrangers en zones d’attente avant leur reconduite à
la frontière, l’interdiction du territoire,... sans envisager de recours réels et effectifs.
Pas moins de 7 articles du projet de loi (les articles 4, 14, 17, 21, 25, 35 et 42)
évoquent la notion vague et imprécise de « troubles à l’ordre public » pour dénier des
droits aux étrangers, même lorsqu’ils sont régulièrement établis au Maroc.
L’article 40 prévoit même d’annuler un visa touristique délivré régulièrement par les
autorités marocaines « s’il existe des indices concordants permettant de présumer que
l’intéressé est venu au Maroc pour s’y établir ».
Le projet de loi apparaît ainsi en contradiction flagrante avec la Convention
internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et de leur
famille, adoptée par l’assembleé générale des Nations unies le 18 décembre 1990,
instrument international signé et ratifié par le Maroc et dont son gouvernement
demande à juste titre le bénéfice à ses deux millions de ressortissants établis à
l’étranger.
Adoptés sans concertation avec les associations marocaines de défense des droits de
l’Homme et sans saisine du nouveau Conseil consultatif des droits de l’Homme, ces
projets semblent bien avoir été élaborés dans une hâte excessive.
Dans un cas, les dispositions prévues sont contraires à des normes internationales que
le Maroc a faites siennes et dans l’autre, elles sont inspirées par une définition du
terrorisme rejeté à ce jour par la Communauté internationale.
Pour toutes ces raisons, nos associations vous demandent solennellement de surseoir à
l’adoption de ces projets de loi et de procéder sur ces sujets à une concertation avec la
société civile marocaine.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur, l’expression de notre haute considération,

Sidiki Kaba, Président de la FIDH

Driss El Yazami, Secrétaire général de la FIDH

Abdelhamid Amine, Président de l’AMDH

Abdellah Oualladi, Président de l’OMDH

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