Une mission internationale de la FIDH composée de Me Sidiki KABA et Me Michel TUBIANA s’est rendue au Maroc du 25 au 29 juin 2000. Elle avait pour mandat d’examiner la situation des libertés au Maroc, en particulier le règlement de la question des disparitions forcées.
Cette mission, qui fait suite à une mission préalable menée par la FIDH en janvier 2000, intervient alors que des annonces importantes sont attendues au Maroc sur la question des disparitions.
La FIDH regrette vivement le silence qu’ont opposé les autorités sahraoui à sa demande de se rendre à Tindouf. Ceci implique que ces autorités ne souhaitent pas répondre aux interrogations qui découlent de la situation des populations sous leur tutelle et ce, en violation de leurs obligations élémentaires.
On parle de disparitions forcées lorsque, selon les termes de la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcée, " des personnes sont arrêtées, détenues ou enlevées contre leur volonté ou privées de toute autre manière de leur liberté par des agents du gouvernement, de quelque service ou à quelque niveau que ce soi, par des groupes organisés ou par des particuliers,, qui agissent au nom du gouvernement ou avec son appui direct ou indirect, son autorisation ou son assentiment, et qui refusent ensuite de révéler le sort réservé à ces personnes ou l’endroit où elles se trouvent, ou d’admettre qu’elles sont privées de liberté, les soustrayant ainsi à la protection de la loi ".
Depuis la libération des détenus survivants de Kalaat M’gouna puis de Tazmamart en 1991, le dossier des disparus n’a pas connu d’évolution jusqu’à ce que, en octobre 1998, il soit examiné par le Conseil Consultatif des Droits de l’Homme. Cet examen avait toutefois été vivement critiqué : limité à 112 personnes, il ne permettait pas un règlement global du problème qui satisfasse les demandes des familles endeuillées dans le respect des normes internationales relatives à la disparition forcée. De fait, après que le roi Hassan II eut affirmé en octobre 1998 avoir donné des instruction pour que le dossier soit réglé dans les six mois, en avril 1999, le Conseil Consultatif reconnaissait la disparition de 44 personnes parmi les 112 de la liste qu’il avait publiée 6 mois plus tôt, et annonçait que le dossier de la disparition forcée était désormais clos. Il y a près d’un an, le roi Mohamed VI prenait la succession de son père Hassan II, et en août 1999, une commission d’indemnisation était constituée.
C’est aujourd’hui que cette commission, dont le mandat, la composition et le fonctionnement ont d’emblée été critiqués par les organisations de défense des droits de l’Homme et les familles de disparus, devrait rendre ses premières décisions, portant sur plusieurs centaines de cas. Par ailleurs, on peut espérer que la fête du trône, le 30 juillet, soit l’occasion pour le roi de faire des annonces de nature à progresser vers le règlement de la question des disparitions forcées.
C’est dans ce contexte que la FIDH rend les conclusions préliminaires suivantes :
· La question du nombre de personnes victimes de disparitions forcées reste ouverte : les chiffres recueillies par la mission, nécessairement incertains compte tenu de la nature du phénomène lui-même, évoluent entre près de 600 jusqu’à quelques milliers.
· A cet égard, il faut souligner la situation particulière qui prévaut au Sahara Occidental. Les rencontres qui se sont déroulées à Laayoun ont permis de mettre en évidence la disparition forcée de près de 1.500 personnes environ. La situation de guerre qui a prévalu dans cette région jusqu’à une période récente ne facilite pas la détermination de la vérité. Il reste que les témoignages recueillis à LAAYOUN, de personnes disparues puis libérées, mettent en évidence un phénomène important de disparition forcée et une violation massive des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (tortures, spoliations, restriction à la liberté de déplacement, etc.) qui ont touché la population civile. A ce titre, la FIDH approfondira ses investigations sur cette situation. Son attention sera d’autant plus grande que les évènements de septembre 1999 et, d’autres plus récents, ont montré un processus répressif persistant et excessif (qui a été justement mis en évidence dans un rapport de l’OMDH) même si certains de ses excès ont donné lieu à une réaction salutaire mais insuffisante des autorités marocaines.
· La commission d’arbitrage installée auprès du conseil consultatif des droits de l’Homme a enregistré plus de 5.000 dossiers (au 31 décembre 1999, date limite de dépôt des dossiers), sans qu’il soit possible d’en connaître le nombre exact. Ces dossiers concernent aussi bien les conséquences du phénomène des disparitions forcées que les conséquences de procès inéquitables.
· Cette commission n’a comme seul objectif que de traiter de l’indemnisation des personnes lui ayant présenté une demande, sans avoir à faire la lumière sur les faits eux-mêmes et sur les responsabilités encourues. Elle dispose de moyens financiers certains puisqu’ aucune limite n’a été imposée en ce domaine. Elle a déjà versé des provisions dans une quarantaine de cas et doit rendre ses premières décisions prochainement.
· La composition de cette commission, comme son fonctionnement sont sujets à controverse : le mode de nomination de ses membres, le fait que les recours des plaignants ne soient pas instruits contradictoirement, et d’avoir conditionné la recevabilité des recours à l’acceptation des décisions rendues, l’impossibilité d’un recours contre les décisions de cette commission, l’absence de critères des modalités d’indemnisations, tout ceci a soulevé les critiques du mouvement associatif marocain et des organisations de défense des droits de l’Homme.
· La question de la vérité des faits survenus comme la détermination des responsabilités et l’appréciation de celles-ci restent, à ce jour, sans réponse malgré les demandes formées par l’ensemble des mouvements de droits de l’Homme et représentatifs des familles des victimes. Il est, notamment, profondément regrettable que des familles soient encore dans l’ignorance du sort exact de leurs proches ou qu’elles ne puissent procéder à l’inhumation des dépouilles des personnes dont le décès est avéré.
· Des discussions approfondies sont actuellement en cours entre les représentants des autorités publiques marocaines et les représentants des victimes afin de donner une réponse au point précédent.
Au total, la FIDH, tout en relevant les efforts importants faits par les autorités publiques marocaines et l’existence d’un débat public libre et démocratique sur ce sujet, regarde le processus en cours comme imparfait et insuffisant.
La FIDH recommande, en conséquence, aux autorités publiques marocaines :
· La création d’un organe indépendante permettant de traiter, dans sa totalité et hors de toute impunité, le phénomène des disparitions forcées mais aussi de toutes les violations graves des droits de l’Homme, d’établir la vérité des faits et les responsabilités encourues. Il appartiendra, ensuite, à la société marocaine d’examiner les conditions dans lesquelles les responsabilités mises à jour seront appréciées.
· Les demandes des victimes portant aussi sur les procès inéquitables dont elles ont pu être l’objet, c’est à l’ensemble des autorités publiques marocaines de s’emparer de ces questions : le parlement ne saurait être écarté d’un processus d’enquête qui permette de faire la vérité sur l’ensemble des faits.
· Le fonctionnement et la composition de la commission d’arbitrage chargée d’indemniser les victimes doivent être repensés et répondre aux critères d’un procès équitable : indépendance de ses membres, respect d’un débat contradictoire et droit à un recours effectif.
· En tout état de cause, le processus d’indemnisation ne saurait être terminé qu’à l’achèvement des travaux de la commission chargée de faire la vérité sur les faits et les responsabilités.
· La FIDH rappelle que la nécessaire réparation des préjudices subis par les victimes ne peut se substituer à l’exigence de vérité et de justice qui est, légitimement, la leur. La reconnaissance publique de leur souffrance et leur réhabilitation sont parmi les conditions essentielles de la construction d’une société démocratique, voie dans laquelle s’engage le peuple marocain.