France-Inde : des « valeurs partagées », vraiment ?

Daniel Pier / NurPhoto via AFP

Paris, le 30 mai 2022. À l’occasion de la visite en France du Premier ministre indien Narendra Modi, le Président français Emmanuel Macron et le dirigeant indien se sont targués des «  valeurs partagées » par les deux pays, que sont les droits humains et la démocratie. C’est passer sous silence les attaques aux principes démocratiques en Inde. Il est temps que la France dénonce publiquement la situation des droits humains en Inde.

Dans la déclaration commune publiée à l’issue d’une réunion de travail entre le Président français Emmanuel Macron et le Premier ministre indien Narendra Modi le 4 mai 2022, la France et l’Inde ont exprimé leur attachement « aux valeurs partagées de la démocratie, des libertés fondamentales, de l’état de droit et du respect des droits de l’Homme ».

Cette référence aux «  valeurs communes  » est répétée à l’envi comme un mantra par la France et ses partenaires européens depuis plusieurs années. Dans un discours prononcé en avril 2022, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyden décrivait l’Inde et l’Union européenne (UE) comme étant des « démocraties dynamiques » qui « partagent des valeurs fondamentales et des intérêts communs  ». En mai 2021, les dirigeant·es de l’UE et de l’Inde soulignaient leur communion « d’intérêts, de principes et de valeurs partagés en matière de démocratie, de liberté, d’état de droit et de respect des droits de l’Homme ».

Une démocratie muselée

Ces déclarations ignorent une réalité bien plus sombre : depuis l’arrivée au pouvoir en 2014 de Narendra Modi et de son parti, le Bharatiya Janata Party (BJP), les droits humains font l’objet d’attaques systématiques. Des milliers d’ONG ont été visées par une législation répressive sur le financement étranger. Nombre d’entre elles ont été contraintes de cesser leur activité. Des organisations de défense des droits humains ou de protection de l’environnement, comme Amnesty International Inde et Greenpeace Inde, ont vu leur autorisation de recevoir des fonds étrangers révoquée sans motif légitime.

Les défenseur·es des droits humains et les journalistes sont ciblé·es par des lois sur la sédition et la lutte contre le terrorisme.

Ainsi du défenseur des droits humains cachemiri Khurram Parvez, arrêté en novembre 2021 pour son travail d’enquête sur les actes de torture et de disparitions forcées au Cachemire. Il est à ce jour emprisonné arbitrairement depuis plus de 150 jours.

De même, le journaliste Siddique Kappan et trois de ses collègues, ont été arrêtés et accusés de délits antiterroristes et de sédition, pour avoir mis en lumière le viol collectif et le meurtre d’une jeune fille dalit dans l’État d’Uttar Pradesh. Siddique Kappan est également accusé d’avoir dénoncé la répression par la police des manifestations organisées à Delhi en 2020 contre la loi controversée sur la citoyenneté, qui prévoit un processus de citoyenneté « accéléré » excluant spécifiquement les musulman·es.

Violences contre les personnes musulmanes

Les minorités, et en particulier les musulman·es, font l’objet d’attaques incessantes de la part des nationalistes hindou·es, avec le soutien du gouvernement dirigé par le BJP. Des foules violentes et armées attaquent régulièrement les musulman·es et appellent ouvertement à leur génocide, et notamment au viol des femmes musulmanes.
Face à ces dérives alarmantes, la France et les gouvernements européens continuent d’affirmer leur soutien au gouvernement indien, notamment à travers la conclusion d’accords commerciaux et de coopération militaire.

Quand elle est muselée dans un pays, la démocratie doit être défendue par l’ensemble de ses représentant·es. Continuer à s’engager avec le gouvernement de Narendra Modi sans condamner publiquement sa politique de répression des droits humains est une trahison des valeurs et des objectifs déclarés de la France et de l’Union européenne en matière de politique étrangère. Il est temps que la France et ses partenaires européens exigent le respect des droits humains en Inde.

Alice Mogwe, Présidente de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH)
Malik Salemkour, Président de la Ligue des droits de l’Homme (LDH)

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