Amal, une jeune femme condamnée à la lapidation au Soudan

19/10/2022
Dossier
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AFP

Paris, 19 October 2022. Le 26 juin 2022, le Tribunal pénal de Kosti, dans l’État du Nil blanc au Soudan, a condamné à la mort par lapidation, Amal [1], une femme de 20 ans, après qu’elle a été reconnue coupable d’avoir violé l’article 146 (2) (adultère) du code pénal soudanais de 1991. African center for justice and peace studies (ACJPS) et le Sudan human rights Monitor (SHRM), la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et ses partenaires - Darfur women action group USA, Nora organisation for combatting violence against women’s and girls, No to women’s oppression, Redress, Strategic initiative for women in the horn of Africa (Siha Network) et Sudanese women rights action (Suwra) - demandent aux autorités soudanaises d’annuler la condamnation et de garantir à M. une libération immédiate et inconditionnelle.

Signez et partagez la pétition (en anglais uniquement).

L’application de la peine de mort par lapidation pour le crime d’adultère (zina) constitue une violation grave du droit international, plus spécifiquement du droit à la vie et de l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, tels qu’énoncés dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et dans la Convention des Nations unies contre la torture (CNUT), auxquels le Soudan est partie.

La plupart des cas d’adultères au Soudan sont prononcés contre des femmes, démontrant ainsi l’application discriminatoire de la législation criminelle soudanaise, en violation du droit international qui garantit l’égalité devant la loi et la non-discrimination fondée sur le genre.

Amal est une Soudanaise de 20 ans, qui vit dans l’État du Nil blanc. Après s’être séparée de son mari, elle est retournée au domicile de sa famille, à contrecœur. L’ACJPS a été informée de source fiable qu’elle a été interrogée par un enquêteur de police, qui aurait obtenu des aveux de sa part, de manière illégale. Il n’a pas informé Amal que les informations qu’elle a partagées au cours de son interrogatoire seraient utilisées comme preuves contre elle lors de son procès. [2]

Le procès d’Amal a également été entaché de plusieurs irrégularités. Par exemple, son procès s’est ouvert sans que la police de Kotsi ait pu déposer une plainte officielle. Amal s’est également vu refuser l’accès à une représentation légale lors de la phase de procès, malgré les garanties de représentation énoncées à l’article 135(3) du Code de procédure pénale soudanais de 1991, qui prévoit qu’un·e défendeur·e a droit à une représentation légale dans toute affaire pénale passible d’une peine de dix ans d’emprisonnement ou plus, d’une amputation ou de la mort. Depuis que le tribunal pénal de Kosti a prononcé la décision, les autorités n’ont pas transmis le dossier à la haute cour pour approbation.

L’avocate d’Amal a fait appel de cette décision devant la haute cour. Au cours des dix dernières années, le Soudan a connu plusieurs cas similaires au sien, dans lesquels les sentences ont été annulées en appel.

Les organisations signataires condamnent le recours à la peine de mort dans tous les cas. Le cas d’Amal met en évidence l’urgence pour les autorités soudanaises de décréter un moratoire immédiat sur toutes les exécutions dans le pays, en vue d’abolir la peine de mort en droit et de réviser toute législation ayant pour objet ou pour effet de discriminer les femmes.

Contexte juridique de la peine de mort au titre de l’article 146 au Soudan

L’article 146 du droit pénal soudanais repose sur les lois de la charia. Les femmes mariées accusées d’adultère sont condamnées à la mort par lapidation, tandis que les femmes non mariées sont punies de 100 coups de fouet. Pendant la période de transition, certaines réformes juridiques ont été adoptées. Bien que le gouvernement de transition ait interdit certains châtiments corporels, les lois de la charia relatives à l’adultère demeurent inchangées.

L’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques stipule que « la peine de mort ne peut être prononcée que pour les crimes les plus graves », tandis que le Comité contre la torture et le Comité des droits de l’homme ont interprété l’interdiction de la torture énoncée à l’article premier de l’UNCAT comme s’étendant aux châtiments corporels tels que la lapidation. Le droit international reconnaît également que les menaces de torture peuvent constituer un acte de torture. Dans le cas d’Amal, sa condamnation à mort par lapidation la laisse dans l’incertitude quant à son avenir, provoquant une angoisse et une souffrance mentale graves, qui peuvent constituer une torture ou un autre traitement cruel, inhumain ou dégradant.

Contexte de la lutte contre l’impunité au Soudan

Cela faisait dix ans qu’une femme n’avait pas été condamnée à la lapidation à mort au Soudan.

Depuis le coup d’État militaire du 25 octobre 2021, les autorités militaires ont entièrement repris le pouvoir au Soudan, exerçant un contrôle sur toutes les branches, y compris sur le système judiciaire. Les procès inéquitables et politisés sont la norme dans toutes les régions du Soudan. La lutte contre l’impunité est au plus bas avec les responsables des violations passées, notamment les forces de sécurité au pouvoir. Les avocat·es sont constamment la cible d’attaques et sont menacé·es par les autorités. Malgré une forte demande de justice, les victimes n’ont aucun recours judiciaire au Soudan.

La situation est particulièrement grave pour les femmes qui subissent une violence systémique, dans tout le pays. Au cours des dix derniers mois, au moins 13 cas de violences sexuelles et basées sur le genre commises par les forces de sécurité ont été signalés par le Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) lors des manifestations qui ont eu lieu à Khartoum le 19 décembre 2021. Le récent rapport de United Nations Integrated Transition Assistance Mission in Sudan (Unitams) souligne que les violences sexuelles et basées sur le genre persistent au Darfour, particulièrement les violences sexuelles liées au conflit, qui ont fait 25 victimes (15 femmes et 10 filles). Aucune survivante n’a obtenu justice ou réparation. Dans une culture dominée par le concept de la honte et sans accès à la justice, le silence est l’option privilégiée.

On assiste à un recul des droits des femmes dans tout le Soudan. De 1996 à 2019, la loi sur l’ordre public de l’État de Khartoum a conféré à la police des pouvoirs discrétionnaires étendus en matière d’arrestation, et s’est attaquée en particulier aux femmes. De nombreuses femmes ont été battues et arrêtées pour leur tenue vestimentaire ou encore pour avoir vendu des produits dans la rue. Abolie pendant la transition, les autorités ont décidé en août 2022 de réinstaurer cette loi sous un nouveau nom, le « Service de police communautaire ». Les femmes et les filles sont une fois de plus la cible de lois oppressives qui violent les libertés et les droits humains.

Nos organisations demandent aux autorités soudanaises, en particulier au Conseil souverain et au Ministère de la Justice de :
 veiller à ce que la peine de mort par lapidation prononcée à l’encontre d’Amal le 26 juin 2022 soit suspendue et ne soit pas exécutée, quelle que soit l’issue finale de l’affaire ;
 veiller à ce qu’Amal reçoive des soins médicaux et un soutien psychosocial adéquats pour tout préjudice subi pendant sa détention ;
 supprimer immédiatement la peine de lapidation prévue à l’article 146(2) du Code pénal soudanais et abolir la peine de mort en tant que sanction dans le système juridique soudanais ;
 donner la priorité aux réformes juridiques et institutionnelles, notamment en entreprenant la cartographie juridique complète et nécessaire pour modifier les lois soudanaises, afin de garantir l’interdiction absolue de la torture, y compris les châtiments corporels judiciaires.

Nous avons alerté la plateforme de pétition Avaaz qui a lancé une pétition sur cette affaire. Aidez Amal en signant la pétition et faites part de votre indignation aux autorités soudanaises :
https://secure.avaaz.org/campaign/en/sudan_death_by_stoning_loc/

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