Paris, Dakar le 7 février 2024. Les images des député·es de l’opposition sorti·es par la force de l’hémicycle par la gendarmerie ont indigné bien au-delà des frontières sénégalaises. Dans la nuit du 5 au 6 février 2024, l’Assemblée nationale sénégalaise a adopté la loi reportant l’élection présidentielle prévue le 25 février au 15 décembre 2024, soit près de dix mois après la date légale initialement prévue. Un vote sans l’opposition, à la quasi unanimité (105 voix pour et une voix contre) et dans une atmosphère délétère : sous surveillance des forces de l’ordre, dans une odeur de lacrymogène, abondamment utilisé contre l’opposition qui protestait devant le Parlement.
La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et ses organisations membres au Sénégal, la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’Homme (Raddho), l’Organisation nationale des droits de l’Homme (ONDH) et la Ligue sénégalaise des droits humains (LSDH), condamnent ce report qui viole la Constitution et les engagements régionaux et internationaux de l’État du Sénégal. La FIDH, la RADDHO, l’ONDH et la LSDH expriment leurs vives préoccupations face à l’aggravation des tensions, les atteintes répétées aux libertés fondamentales et les risques d’exacerbation d’une crise politique. Cette crise, provoquée par le chef de l’État, met à mal la démocratie et l’état de droit au Sénégal, et plus largement dans la région ouest-africaine.
« La démocratie doit s’ancrer dans le respect des dispositions légales et institutionnelles au niveau national, mais aussi des engagements régionaux et internationaux. Ce report de l’élection présidentielle est un dangereux précédent qui risque d’aggraver la période d’instabilité, de tensions politiques et la crise de confiance que traverse le pays depuis quelques années. Nous appelons les autorités sénégalaises à rétablir l’ordre constitutionnel dans les meilleurs délais et comme gage d’une reprise effective du dialogue national », a déclaré Alice Mogwe, présidente de la FIDH.
C’est lors d’un discours à la Nation, prononcé le samedi 3 février 2024, la veille du début de la campagne électorale officielle, que Macky Sall, le Président de la République, a annoncé « l’abrogation du décret convoquant le corps électoral pour l’élection présidentielle ». Pour justifier cette décision, Macky Sall a décrit les différents éléments de ce qu’il a qualifié être des « conditions troubles qui pourraient nuire à la crédibilité du scrutin en installant les germes d’un contentieux pré et post-électoral », notamment le conflit entre le Conseil constitutionnel et l’Assemblée nationale et la mise en place d’une commission parlementaire pour enquêter sur le processus électoral.
À la suite de ce discours, le 4 février, les manifestations publiques organisées à l’appel de l’opposition ont été réprimées par les forces de défense et de sécurité, notamment par des tirs de gaz lacrymogène, et marquées par l’arrestation de près de 151 manifestant·es dont Aminata Touré, ancienne Première Ministre et candidate à l’élection présidentielle et Anta Babacar Ngom, elle aussi candidate. Elles ont été relâchées le 5 février 2024. Ce même 4 février, le ministère de la Communication, des Télécommunications et du Numérique a annoncé dans un communiqué, la suspension provisoire d’Internet et des données mobiles. Le 5 février, le groupe de presse privé Walf TV a vu le retrait définitif de sa licence par le ministère de la Communication, pour « incitation à la violence ».
« Nous dénonçons ces graves atteintes portées aux libertés de manifestation, de réunion pacifique, d’expression et de presse. L’État du Sénégal s’est engagé à protéger ces libertés, tant dans sa législation nationale qu’en adhérant à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples et au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Nous appelons les autorités sénégalaises à prendre des mesures concrètes pour garantir le respect des droits humains et des libertés fondamentales et ainsi contribuer à l’apaisement de la situation actuelle », a déclaré Alassane Seck, Président de la LSDH.
Les organisations expriment leurs vives inquiétudes devant ces violations des droits humains, en particulier devant les nombreuses arrestations suivies de détention illégales Les autorités sénégalaises portent la première responsabilité en matière de protection des droits humains.
« Nos organisations exhortent la communauté internationale, notamment la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), l’Union Africaine (UA), l’Union européenne (UE) et les Nations unies à coordonner leur mobilisation pour contribuer au renforcement de l’état de droit et au bon déroulement du processus électoral au Sénégal. Aujourd’hui, ces efforts sont d’autant plus nécessaires pour participer à la promotion de la culture démocratique et du respect des droits humains en Afrique de l’Ouest », a déclaré Sadikh Niass, Secrétaire Général de la Raddho.