RDC : Procès des responsables de l’assassinat de Floribert Chebeya et de la disparition de Fidèle Bazana

07/12/2021
Déclaration
RDC
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Paris-Genève-Kinshasa, le 7 décembre 2021 – Onze ans après le meurtre du défenseur des droits humains Floribert Chebeya et la disparition de son chauffeur, Fidèle Bazana, le procès des responsables de ces crimes se poursuit en République démocratique du Congo (RDC). L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains (FIDH-OMCT), et les organisations membres de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et de l’OMCT en RDC, l’Association Africaine des Droits de l’Homme (ASADHO), le Groupe Lotus (GL) et la Ligue des Électeurs (LE), saluent la réouverture du procès et attendent qu’une justice impartiale soit enfin rendue.

Le mercredi 22 septembre 2021 ont commencé les audiences devant la Haute Cour militaire à la prison de Ndolo à Kinshasa, à la suite de la réouverture du procès de l’assassinat du défenseur des droits humains Floribert Chebeya, directeur exécutif de La Voix des Sans-Voix (VSV) et membre de l’Assemblée générale de l’OMCT, et de la disparition de son chauffeur Fidèle Bazana, également membre de la VSV, le 1er juin 2010.

Pour l’heure, seul un semblant de justice a été rendu dans cette affaire. Sur les huit policiers poursuivis au départ, cinq avaient été condamnés le 23 juin 2011 par la Cour militaire de Kinshasa-Gombe. Cependant, le 17 septembre 2015, quatre d’entre eux avaient été acquittés en appel et la peine du cinquième, le colonel Daniel Mukalayi, avait été allégée.

Depuis la reprise des audiences en septembre 2021 à Kinshasa, plusieurs policiers sont entendus par la justice congolaise, notamment le commissaire supérieur Christian Ngoy Kenga Kenga et le sous-commissaire adjoint Jacques Mugabo, condamnés par contumace en première instance et arrêtés récemment en RDC. D’autres, qui n’avaient pas été jugés à l’époque, comme Doudou Ilunga, Jeancy Mulang et le général Zelwa Katanga Djadjidja, sont eux aussi entendus en ce moment comme renseignants. Une descente de la Cour a par ailleurs été autorisée en novembre 2021 sur les lieux où serait enterré le corps de Fidèle Bazana, sur la parcelle du général Djadjidja, chef de la police militaire à l’époque des faits et également poursuivi dans l’affaire.

Les policiers Hergile Ilunga et Alain Kayeye, tous deux actuellement en exil, apparaissent comme deux exécutants de ces crimes. En février 2021, ils ont révélé de nouveaux éléments qui ont permis, après l’arrestation de Christian Ngoy en 2020, la réouverture du dossier le 22 septembre 2021 en RDC. Ces éléments sont venus conforter la version exposée par Paul Mwilambwe, principal témoin dans l’affaire et condamné par contumace à la peine capitale lors du procès en 2011. Ce dernier a pris la décision de comparaître volontairement devant la Cour et sera entendu le 8 décembre 2021. Aujourd’hui donc, tous les condamnés en première instance sont présents à Kinshasa et devant la justice pour comparaître dans l’affaire.

Par ailleurs, une plainte avait été déposée en 2010 devant la justice congolaise par la veuve de M. Chebeya contre l’ancien président de la RDC Joseph Kabila et son bras droit et inspecteur général de la Police nationale congolaise (PNC) le général John Numbi Banza Tambo, actuellement en fuite, dans la même affaire. Suite aux nouvelles arrestations et révélations faites dans l’affaire, une deuxième plainte a été déposée en octobre 2020 par les avocats des parties civiles et le dossier transmis à la Haute Cour militaire pour fixation.

L’Observatoire, la Ligue des Électeurs, le Groupe Lotus et l’ASADHO se sont exprimés à plusieurs reprises sur cette affaire, demandant la réouverture du dossier afin que tous les responsables, y compris les plus hauts responsables, soient jugés et sanctionnés. Les organisations se félicitent de la réouverture du procès et espèrent qu’il donnera lieu à un jugement impartial et transparent. La société civile congolaise et les familles des victimes attendent une condamnation du général John Numbi, considéré comme le commanditaire de ces actes (voir Q&A ci-dessous).

Nos organisations demandent aux autorités congolaises de garantir le droit à un procès équitable dans cette affaire et à ce que justice soit enfin rendue, pour les familles des victimes ainsi que pour toutes les personnes et organisations défendant les droits humains en RDC.

Nos organisations rappellent également que la sécurité du témoin Paul Mwilambwe, de retour en RDC après plus de dix années de cavale, doit être assurée par les autorités congolaises pour permettre le bon déroulé des audiences.

Q/A Affaire Chebeya et Bazana

Quels sont les faits à l’origine de l’affaire ?

Floribert Chebeya et Fidèle Bazana ont disparu le 1er juin 2010 alors qu’ils se rendaient à un rendez-vous avec John Numbi Banza Tambo. Le corps sans vie de Floribert Chebeya a été retrouvé le 2 juin 2010 à Mitendi sur le bord de la route Kongo Central, au volant de la Mazda avec laquelle il était allé voir le général Numbi la veille. Celui de Fidèle Bazana n’a jamais été retrouvé.

Floribert Chebeya, membre fondateur et directeur exécutif de la VSV, multipliait les enquêtes sur des dossiers de violations des droits humains sous le régime de Joseph Kabila. Il a notamment enquêté sur les massacres et les crimes dans la province du Bas-Congo en 2008, impliquant l’armée, la police nationale et les services de renseignements, crimes coordonnés par le général Denis Kalume, le général Raus, un proche du Président de la République Joseph Kabila, ainsi que le général John Numbi. L’enquête devait faire l’objet de la constitution d’un dossier pour la Cour pénale internationale (CPI). Floribert Chebeya avait pris contact avec un avocat belge afin de finaliser cette communication.

Il avait également réalisé une enquête sur le meurtre d’Aimée Kabila, demi-sœur du Président Kabila, assassinée à son domicile à Kinshasa en 2008. Il avait alors affirmé détenir des informations sur le Président de la République, concernant notamment une dispute entre lui et sa demi-sœur au sujet de l’héritage de son père, l’ancien président Laurent-Désiré Kabila, lui-même assassiné en janvier 2001.

M. Chebeya avait déjà reçu des menaces de mort suite à ses révélations, sans aucune réaction officielle ou mesure de protection de la part des autorités. Il avait par ailleurs mené une enquête sur les cas d’officiers, militaires et policiers, originaires de la province de l’Équateur, arrêtés par la Commission de sécurité dirigée par le général John Numbi, et une autre enquête sur les conditions de détention dans les “cachots” de la police.
Fidèle Bazana Edadi, était membre de la VSV depuis 1999, et était le chauffeur et l’ami de Floribert Chebeya.

Comment la procédure judiciaire a-t-elle commencé ?

L’assassinat du défenseur et la disparition de son chauffeur en 2010 ont suscité un élan de mobilisation d’organisations non gouvernementales congolaises et internationales. A l’issue d’un procès irrégulier [1] tenu le 23 juin 2011, la Cour militaire de Kinshasa a reconnu la responsabilité civile de l’État congolais.

Étaient alors prévenus : Daniel Mukalay, directeur adjoint des renseignements et des services spéciaux et inspecteur principal de la PNC ; Georges Kitungwa Amisi, inspecteur de la PNC ; Christian Ngoy Kenga Kenga, inspecteur de la PNC et commandant du Bataillon Simba ; Paul Mwilambwe, inspecteur de la PNC ; François Ngoy Mulongoy, inspecteur adjoint de la PNC ; Michel Mwila wa Kubambo, commissaire de la PNC ; Blaise Mandiangu Buleri, sous-commissaire adjoint de la PNC ; et Jacques Mugabo, sous-commissaire adjoint de la PNC.

Ils étaient poursuivis sur la base des charges suivantes : « association de malfaiteurs » et « assassinat » à charge des huit prévenus ; « terrorisme » et « désertion simple » à charge des trois prévenus en fuite Christian Ngoy Kenga Kenga, Jacques Mugabo et Paul Mwilambwe ; « détournement d’armes » à charge du prévenu Christian Ngoy Kenga Kenga.

A l’issue de ce procès, le colonel Daniel Mukalay Wa Mateso, le lieutenant-colonel Christian Ngoy Kenga Kenga, Jacques Mugabo et Paul Mwilambwe, ont été condamnés à la peine capitale, et le lieutenant Michel Mwila wa Kubambo a été condamné à la prison à perpétuité. Les trois autres prévenus ont pour leur part été acquittés.

Le 7 mai 2013, la Haute Cour militaire, saisie en tant que juridiction d’appel, s’est déclarée incompétente pour instruire des questions procédurales et a décidé de saisir la Cour suprême de justice, qui fait office de Cour constitutionnelle, ce qui a suspendu de fait la procédure judiciaire d’appel. Le 21 avril 2015, après près de deux ans d’interruption, le procès en appel a repris devant la Haute cour militaire.

Le 17 septembre 2015, la justice congolaise a acquitté en appel Christian Ngoy Kenga Kenga, Jacques Mugabo, Paul Mwilambwe, tous trois toujours en fuite, et Michel Mwila, et allégé la condamnation de Daniel Mukalay, laissant un fort sentiment d’impunité pour les familles et les organisations de défense des droits humains en RDC. Par ailleurs, une plainte avec constitution de partie civile avait été déposée le 2 juin 2014, devant la justice sénégalaise, sur la base de sa compétence extraterritoriale, contre Paul Mwilambwe, exilé au Sénégal et condamné en première instance par la Haute Cour militaire de RDC par contumace. Le 26 août 2014, la justice sénégalaise a ouvert une information judiciaire sur ce double assassinat, alors que l’affaire était bloquée en RDC. À ce jour, aucune décision n’a cependant été rendue par la justice du Sénégal.

Où en est-on ?

Le 3 septembre 2020, Christian Ngoy Kenga Kenga, condamné par contumace en première instance et en cavale depuis les faits, a été arrêté à Lubumbashi, pour des accusations de « détention d’armes de guerre », puis transféré à Kinshasa.

Hergile Ilunga wa Ilunga, à l’époque des faits adjudant de la police au service du colonel Daniel Mukalay et Alain Kayeye Longwa, lui-même chauffeur du major Christian Ngoy Kenga Kenga, tous deux actuellement en exil, ont fait de nouvelles révélations sur l’affaire à Radio France Internationale (RFI) au début de l’année 2021. En effet, tous deux sont apparus comme deux exécutants dans l’assassinat de M. Chebeya et la disparition de M. Bazana. Ils ont notamment expliqué comment Floribert Chebeya et Fidèle Bazana ont été tués le 1er juin 2010 par une équipe de policiers mise sur pied par les haut gradés de l’Inspection générale de la PNC à Kinshasa, Daniel Mukalay et Christian Ngoy, sur ordre du général John Numbi, alors Inspecteur général de la PNC, protégé de Joseph Kabila, à l’époque président de la RDC. Ces révélations sont ainsi venues conforter les déclarations déjà faites par Paul Mwilambwe à RFI en 2012.

Le major Christian Ngoy Kenga Kenga et le colonel Daniel Mukalay auraient alors constitué un commando exécutif de policiers composé entre autres de Hergil Ilunga, Jacques Mugabo, Bruno Nyembo Soti, Alain Kayeye Longwa, Jeancy Mulang et Doudou Ngoy Ilunga, qui aurait procédé à la mise à mort des deux défenseurs. Le policier Paul Mwilambwe est le principal témoin de ces assassinats, qu’il a pu observer depuis ses caméras de surveillance. Également cité dans le cadre de cet assassinat politique, le général Djadjidja est accusé d’avoir cédé une parcelle de sa concession privée sur les hauteurs de Mitendi, dans la banlieue de Kinshasa, pour enterrer le corps de Fidèle Bazana.

A la suite des déclarations d’Hergile Ilunga et d’Alain Kayeye Longwa en 2021, d’autres policiers ont été arrêtés. En octobre 2021, au cours de son audience, le lieutenant Jacques Mugabo, condamné par contumace en 2011 et arrêté et emprisonné en février 2021 à Lubumbashi,a avoué avoir participé au meurtre des deux défenseurs. En août 2021, c’est le brigadier-chef Ngoy Ilunga Doudou qui était arrêté à Lubumbashi, et transféré à Kinshasa, où il est détenu depuis. Le général Djadjidja, qui serait le propriétaire des parcelles où serait enterré le corps de Fidèle Bazana, a quant à lui été placé en détention en juin 2021, à la prison militaire de Ndolo.

Depuis la reprise du procès en septembre 2021, plusieurs des policiers inquiétés et des témoins ont été entendus tous les mercredis, dans le cadre de l’instruction :

· Le mercredi 13 octobre 2021, Jacques Mugabo a reconnu avoir exécuté les deux défenseurs des droits humains. Il a détaillé comment, tour à tour, Fidèle Bazana et Floribert Chebeya ont été maîtrisés, les mains menottées derrière le dos et comment ils ont été exécutés par asphyxie avec des sacs sur la tête.

· Le mercredi 20 octobre 2021, Daniel Mukalay a comparu en audience publique, à titre de renseignant et a accusé le général John Numbi d’avoir commandité l’assassinat. Doudou Ilunga, membre du commando d’exécution, a quant à lui avoué avoir mis les menottes aux deux victimes et Jacques Mugabo a confirmé avoir pris part à leur mise à mort par étouffement.

· Le mercredi 27 octobre 2021, le lieutenant Katebere a été entendu comme témoin. Il supervisait les travaux de construction de deux parcelles du général Djadjidja où serait enfouie la dépouille de Fidèle Bazana, mais a affirmé qu’il était absent le jour du meurtre pour des raisons familiales.

· Le mercredi 3 novembre 2021, le général Djadjidja a comparu comme renseignant. Il devait déposer des documents démontrant qu’il n’était plus le propriétaire de certaines de ses parcelles à Mitendi mais a déposé à la place un mémo indiquant ne pas pouvoir s’exprimer sans la présence de son avocat, une démarche rejetée par la Haute Cour militaire. Il a par ailleurs réfuté la thèse selon laquelle il serait complice de l’assassinat de Fidèle Bazana et que le corps de ce dernier aurait été enterré sur une de ses parcelles à Mitendi.

· Le mercredi 10 novembre 2021, la Haute Cour militaire a effectué une descente sur une des cinq parcelles du général Djadjidja à Mitendi, lieu où serait enfouie la dépouille de Fidèle Bazana. Cependant, le général lui-même est resté évasif dans ses réponses aux questions de la Cour. Les parties civiles dénoncent le fait qu’à ce jour, malgré la clôture de l’instruction, le général Djadidja n’ait toujours pas déposé les titres des propriétés de ses parcelles de Mitendi à la Haute Cour militaire.

· Le mercredi 17 novembre 2021, le policier Jeancy Mulang a été auditionné. Il est l’un des gardes à l’Inspection générale de la police, affirmant avoir remis « Chebeya entre les mains de Jacques Mugabo sur ordre de Christian Ngoy Kenga Kenga ».

Quelles sont les prochaines étapes ?

· Paul Milwambe, condamné par contumace en première instance et de retour à Kinshasa, doit être entendu comme prévenu dans l’affaire, le mercredi 8 décembre 2021.

· Un verdict dans l’affaire est attendu dans les prochaines semaines.

· La deuxième plainte déposée par les avocats des parties civiles contre John Numbi a été transmise à la Haute Cour militaire et la fixation d’un deuxième procès est donc attendue.

L’Observatoire, partenariat de la FIDH et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), a vocation à protéger les défenseurs des droits de l’Homme victimes de violations et à leur apporter une aide aussi concrète que possible. L’OMCT et la FIDH sont membres de ProtectDefenders.eu, le mécanisme de l’Union européenne pour les défenseurs des droits de l’Homme mis en œuvre par la société civile internationale.

La Ligue des Électeurs (LE), créée en 1990, a pour objectif le soutien au développement démocratique, notamment par la défense des droits de l’Homme et la promotion de la culture électorale. La Ligue effectue des activités de formation de membres des associations de la société civile en qualité d’animateurs du mouvement démocratique ; des activités de sensibilisation populaire sur les droits de l’Homme ; des missions internationales d’évaluation et d’observation électorale.

Le Groupe Lotus est une organisation non gouvernementale basée à Kisangani. Il dénonce les violations des droits de l’Homme, alerte l’opinion publique, enquête sur les pratiques des autorités pour contraindre les gouvernants à respecter la règle de droit. Il soutient ceux et celles qui souffrent de discrimination et de l’oppression en raison de leur appartenance à un groupe social, national ou religieux ou de leur opinion politique. Il informe, enseigne et promeut les valeurs des droits de l’Homme et les principes démocratiques pour les faire avancer en RDC.

L’ASADHO, créée en 1991, poursuit les objectifs de défense, promotion et sauvegarde des droits et libertés individuelles et collectives ; du respect de la primauté de la loi et l’indépendance de la Justice en vue de la consolidation de l’État de droit, base d’une société démocratique ; de contribuer à l’approfondissement de la sensibilisation aux droits de l’Homme.

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