Départ de la Monusco en RDC : la protection des civil·es et des droits humains doit être au centre des préoccupations

13/12/2023
Déclaration
RDC
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Alexis Huguet / AFP

Suite à l’accord de désengagement signé en novembre 2023 entre les autorités de la République démocratique du Congo (RDC) et la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en RDC (Monusco), la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et ses organisations membres en RDC, le Groupe Lotus, l’Asadho et la Ligue des électeurs, demandent au Conseil de sécurité des Nations unies et aux autorités congolaises de mettre tout en œuvre pour protéger les civil·es et les droits humains dans le pays.

Kinshasa, Kisangani, Paris, 13 décembre 2023. Le 20 décembre 2023, comme chaque année depuis la création de la Mission de maintien de la paix en RDC, le Conseil de sécurité des Nations unies se réunit pour décider du sort de la mission, en votant une résolution sur son mandat. Cette résolution très attendue cette année prendra en compte les dispositions de l’accord de désengagement signé entre le gouvernement congolais et la Représentante spéciale du Secrétaire général de l’Organisation des Nations unies en RDC en novembre 2023.

Cet accord semble refléter les positions à la fois internes à l’Onu sur la nécessaire refonte du système des missions de la paix et du financement de l’organisation (pressions budgétaires des États membres), mais également les demandes d’une partie des Congolais·es qui réclame son départ depuis plusieurs années, pour manque d’efficacité. Des épisodes de violence contre la Monusco se sont déroulés à plusieurs reprises, notamment à l’Est, où son efficacité quant à la protection des civil·es (une des tâches prioritaire de son mandat) a été remise en cause régulièrement par la population dans un contexte de conflits armés depuis près de 30 ans.

Cet accord a été signé alors que des élections générales se préparent dans le pays, pour le 20 décembre 2023. S’il est certain que cela reflète des positions à la fois internes et externes à la mission de longue date et bien ancrées, nos organisations espèrent que ces élections n’auront pas d’impact négatif sur la sauvegarde des droits humains qui découleraient de l’application de cet accord.

Cette décision s’inscrit également dans une tendance générale face aux missions de maintien de la paix de l’Onu au niveau du continent africain, malgré les contextes différents comme au Mali avec la Mission des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) au Mali ou encore au Soudan avec Unitams, où les autorités ont clairement exprimé leur souhait de voir la mission partir au plus vite.

Un plan de retrait progressif de la mission est en cours depuis 2019, soit après l’investiture du Président Tshisekedi à la magistrature suprême, se basant sur une série d’indicateurs mesurables, en particulier l’amélioration de la situation sécuritaire.

Ce plan progressif répondait aux recommandations des organisations membres de la FIDH, qui demandaient que « ce départ ne soit pas précipité, et donc qu’il repose sur des indicateurs objectifs quant à la situation générale en RDC, afin de ne pas mettre en péril la transition déjà engagée dans le pays ». Depuis, ce plan a entraîné la fermeture des bureaux de la mission dans les provinces des Kasaïs et du Tanganyika. Ce qui semble différer du plan précédent alors, c’est son aspect accéléré qui ne repose plus sur des indicateurs objectifs liés à l’évolution de la situation et des progrès accomplis, avec un départ des contingents armés prévus en même temps que la fermeture des bureaux de la mission dans le pays.

Un des risques de ce désengagement accéléré est le transfert des tâches assumées par la Monusco, et notamment celles jugées prioritaires, comme la protection des civil·es et des droits humains. L’État congolais est le premier responsable de la protection des civil⋅es, mais compte-tenu de l’étendue du pays et des problèmes de sécurité devenus incessants, la Monusco a joué un rôle important, même si imparfait, dans la réalisation de cette tâche. Le départ des casques bleus dans certaines zones reculées, où l’État est très peu présent, et où les groupes armés continuent d’opérer, est une inquiétude.

La Monusco et l’État congolais doivent pouvoir tirer les leçons, s’il y en a, du retrait de la mission des Kasaïs et du Tanganyika par exemple. De même, pour les tâches qui sont « transférables » à l’État et aux autres agences des Nations unies et à la société civile, la planification est cruciale. Enfin, concernant les droits humains, une présence du Bureau des droits de l’homme devrait pouvoir se maintenir en RDC, avec les tâches essentielles et difficilement transférables de monitoring, reporting et l’application de la politique des Nations unies de diligence voulue en matière de droits de l’homme dans le secteur de la sécurité et de la défense par exemple.

Sur la base des progrès réalisés dans le cadre de la justice transitionnelle, le travail avec l’équipe d’expert⋅es doit pouvoir se maintenir, notamment le travail d’enquête en matière médico-légale. La protection des défenseur⋅es des droits humains et des journalistes doit également être au centre des préoccupations du maintien du mandat du Bureau des droits de l’homme du Haut-Commissariat aux droits de l’homme. Quant à l’arrivée des troupes de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC en anglais) à l’est, il est important qu’une coordination avec les troupes de la Monusco, mais aussi des autres armées des pays voisins présentes dans la zone, puisse se faire, avec un commandement clairement identifiable et des troupes professionnelles et responsables, notamment après que des violations des droits humains commises par les troupes de la SADC engagées au Nord du Mozambique ont été rapportées récemment.

En parallèle de ce désengagement, est aussi en cours le départ des troupes armées de la force régionale de la Communauté de l’Afrique de l’Est Cette force est présente à l’est de la RDC depuis un an, mais son mandat est jugé insuffisant par Kinshasa, qui réclame un mandat offensif contre les groupes armés, et notamment le Mouvement du 23 mars (M23). Ce sont les troupes de la SADC, qui devraient les remplacer à l’est du pays, puisque son déploiement a été décidé récemment entre Kinshasa et la SADC. Des troupes des pays de l’Afrique australe sont déjà présentes à l’est dans le cadre de la Brigade d’intervention rapide (FIB en anglais) de la Monusco qui a un mandat offensif contre les groupes armés. La coordination entre ces troupes composant la FIB et le nouveau commandement de la SADC devrait donc avoir lieu. En choisissant la SADC, la RDC s’affranchit de tout lien avec le Rwanda, accusé de soutenir le M23 à l’est du pays, et donc de tentative de blocage diplomatique au niveau des décisions sur son mandat. Ces forces de la SADC devront côtoyer, en plus des Forces armées de la RDC (FARDC), d’autres contingents armés présents à l’est sur la base d’accords bilatéraux, les ougandais en Ituri et au Nord-Kivu et les burundais au Sud-Kivu, qui combattent des groupes armés dans ces provinces.

C’est pourquoi la FIDH, le Groupe Lotus, l’Asadho et la Ligue des électeurs recommandent au Conseil de sécurité, au Haut-Commissariat aux droits de l’homme, aux troupes de la SADC, à l’Union africaine, et au Gouvernement congolais de :
 maintenir les effectifs et d’allouer des ressources suffisantes au Bureau des droits de l’homme pour opérer sur l’ensemble du pays, même en l’absence de la Monusco ;
 renforcer la présence de l’État, et notamment de la police, dans les provinces tout en garantissant une application des lois conforme aux droits humains ;
 planifier de manière responsable le transfert de tâches de la Monusco aux agences, à la société civile et aux autres acteurs et actrices pertinent·es ;
 mener des consultations régulières avec la société civile congolaise sur le retrait de la Monusco et le transfert des tâches ;
 respecter les droits humains dans la conduite des opérations, notamment le cadre de conformité aux droits humains de l’Union africaine.

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