Riposte de Memorial contre sa dissolution ordonnée par le régime russe

11/02/2022
Communiqué
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En fin d’année 2021, la communauté russe des droits humains a subi des coups sévères, les tribunaux ayant ordonné la liquidation de deux des institutions de la société civile les plus renommées du pays : Memorial Human Rights Centre (HRC) et International Memorial. Ces remarquables organisations refusent cependant de capituler devant cette menace existentielle et ont déposé des recours. Notre Fédération forte de 192 membres – dont fait partie Memorial HRC – restera mobilisée pour que ces institutions emblématiques puissent poursuivre leur travail courageux et indispensable.

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La communauté russe des droits humains résiste à la dernière menace la plus éhontée du régime.

Le 28 décembre, la Cour suprême de Russie a décidé de fermer l’International Memorial Society, l’une des plus anciennes organisations non gouvernementales (ONG) de Russie, qui révèle et documente les preuves des violations des droits humains commises à l’époque soviétique, localise les lieux de sépulture, rend hommage aux victimes et sensibilise le public aux droits humains.

Le lendemain, le tribunal municipal de Moscou a ordonné la dissolution de son organisation sœur, le Centre des droits humains Memorial, qui représente des milliers de victimes de violations des droits humains devant les tribunaux nationaux et internationaux, maintient une liste de prisonniers politiques et fournit une assistance juridique aux prisonniers politiques, aux réfugié.e.s et aux migrant.e.s. Ces fermetures ne constituent rien de moins qu’un acte politique de représailles contre les défenseur.e.s des droits humains.

Aujourd’hui, Memorial HRC fait appel contre la décision du tribunal municipal de Moscou ordonnant sa fermeture, après le récent appel d’International Memorial contre l’ordre de liquidation de la Cour suprême. Si les appels sont rejetés, les décisions de décembre 2021 marqueraient un nouveau chapitre sombre de l’histoire moderne de la Russie.

Les deux organisations ont été une épine dans le pied des autorités ; la décision de les démanteler n’était pas inattendue et sert à consolider le pouvoir du Kremlin sur les acteurs et actrices indépendant.e.s de la société civile et sur le récit historique.

La FIDH défend résolument les deux institutions Memorial

En novembre 2021, la FIDH, ainsi que des groupes de défense des droits humains russes et internationaux, ont promptement publié une déclaration conjointe dénonçant le dépôt par les procureurs de l’État de poursuites visant à les fermer ; la FIDH et 55 de ses autres organisations membres du monde entier ont publié une déclaration de solidarité avec nos collègues russes.

En réponse à la menace de fermeture, la FIDH a déposé deux amicus curiae distincts auprès de la Cour suprême russe et du tribunal de la ville de Moscou pour soutenir respectivement Memorial international et Memorial HRC, soulignant que les accusations du bureau du procureur général et du procureur de Moscou, respectivement, sont politiquement motivées et doivent être abandonnées. Ces accusations sont en contradiction avec le droit international des droits humains et la Constitution de la Fédération de Russie en matière de liberté d’association et d’expression, et viennent accélérer le démantèlement de la société civile russe.

Un représentant de la FIDH a assisté aux premières audiences des procès contre les deux institutions Memorial afin d’évaluer le respect des normes internationales sur le droit à un procès équitable et de documenter les violations potentielles des droits des accusé.es par les tribunaux. Parallèlement, la FIDH a publié en direct un thread Twitter en anglais sur les audiences.

Alors que les tribunaux se prononçaient sur la liquidation des deux Mémoriaux, la FIDH a fermement condamné ces décisions éhontées, motivées par des considérations politiques, qui s’inscrivent dans la continuité des efforts de l’État pour contrôler le récit historique et priver la société civile de tout pouvoir. La FIDH, par le biais de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, a également lancé un appel urgent aux autorités du pays pour qu’elles annulent immédiatement les décisions de liquidation des ONG et abrogent la problématique loi sur les « agents étrangers » qui a été instrumentalisée pour les incriminer à tort.

L’attitude du gouvernement envers la société civile indépendante, les médias et les défenseur.e.s des droits humains est devenue de plus en plus hostile au cours de la dernière décennie. Le travail de ces deux organisations en matière de droits humains, bastions de la société civile russe de plus en plus vulnérable, est légitime et doit être autorisé à se poursuivre. Dans les jours à venir, la FIDH prévoit de publier un rapport d’observation du procès, soulignant les nombreuses violations des normes et standards internationaux en matière de procès équitable commises par la Cour suprême de Russie et le tribunal de la ville de Moscou dans leur examen des affaires de Memorial International et de HRC Memorial, respectivement.

Loi sur les « agents étrangers »

L’attaque coordonnée contre les deux organisations Memorial est l’aboutissement d’une tendance répressive qui ne cesse de s’aggraver depuis près d’une décennie. Les motifs juridiques inventés pour justifier les fermetures comprenaient le non-respect de la loi sur les soi-disant « agents étrangers », qui exige que les entités recevant des fonds de l’étranger s’étiquettent en tant qu’ « agents étrangers », ce qui porte le stigmate de l’époque soviétique d’être un espion ou un traître. L’avènement de cette législation, qui contredit à la fois le droit national et international, remonte à 2012, lorsque le président Vladimir Poutine a supervisé l’adoption d’une flopée de lois répressives pour réprimer la société civile après sa réélection (voir un aperçu de la législation 2012-2017).

Ces dernières années, des lois supplémentaires ont élargi le champ d’application de la législation sur les agents étrangers pour inclure les défenseur.e.s des droits humains, les journalistes et même de simples citoyen.ne.s. Les personnes qui font de la politique et reçoivent des fonds de pays étrangers risquent des amendes et des peines de prison.

Les ordonnances dissolvant les deux organisations Memorial constituent une menace existentielle pour une communauté des droits humains déjà assiégée en Russie [1]. Elles doivent être contestées. Memorial conteste ces décisions motivées par des considérations politiques, et la FIDH demande instamment aux tribunaux de les annuler. Memorial a fait appel à la Cour européenne des droits de l’Homme, qui a demandé à la Russie de suspendre la décision suite à une décision de mesures provisoires en vertu de l’article 39 du Règlement de la Cour européenne des droits de l’Homme.

La législation russe sur les agents étrangers reflète celle de plusieurs autres pays, une tendance que la FIDH a récemment recensée et dénoncée. Ces lois, de l’Ethiopie au Nicaragua et au-delà, visent à freiner les activités des ONG en les privant de moyens et en les discréditant.

Un monopole sur la mémoire historique

La fermeture d’International Memorial tente de neutraliser un défi à l’homogénéité du récit historique officiel en Russie – celui d’un passé soviétique glorieux. L’organisation s’efforce depuis plus de trois décennies de préserver la mémoire de la répression de l’ère soviétique, notamment la famine, les purges politiques, les exécutions sommaires et les goulags. De tels efforts sont perçus comme des menaces hostiles qui contredisent et sapent la version officielle de l’histoire : celle d’une superpuissance respectée qui a sauvé l’Europe du fléau nazi.

Le contrôle du récit historique du passé soviétique a été utilisé comme un outil pour consolider le régime autoritaire. En construisant l’identité collective de la Russie autour de la victoire soviétique dans la Seconde Guerre mondiale, le régime s’en prend aux militant.e.s de la société civile, aux ONG, aux historien.nes – comme Youri Dmitriev – et à toutes les personnes qui s’efforcent de maintenir vivante la mémoire historique en identifiant les auteurs et les victimes d’événements tels que la Grande Terreur, la campagne de répression politique meurtrière menée par Joseph Staline en 1937-1938. Étant donné la nature historique d’une grande partie du travail d’International Memorial, sa fermeture ciblée par les autorités peut être considérée dans un contexte plus large de crimes contre l’Histoire (voir le rapport 2021 de la FIDH à ce sujet).

Pour en savoir plus et découvrir ce que vous pouvez faire, consultez la page d’OVD-Info, un projet médiatique indépendant : https://memorial.ovdinfo.org/en

Mémorial international a été créé à la fin des années 1980 par le prix Nobel de la paix Andreï Sakharov et d’autres dissident.e.s de l’ère soviétique pour enquêter sur les millions de meurtres perpétrés sous Joseph Staline et faire campagne pour les droits des prisonnièr.e.s politiques et des opprimé.e.s politiques. Le Centre des droits humains Memorial, membre de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) depuis 2016, se consacre à la persécution politique dans la Russie actuelle, en particulier dans le Caucase du Nord, en assurant la représentation juridique des victimes de violations des droits, en défendant des droits des migrant.e.s et en soutenant les prisonnièr.e.s politiques.

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