Ces dernières années, le contrôle du récit historique est devenu un outil essentiel pour consolider le pouvoir autoritaire de Moscou. Construisant l’identité collective de la Russie autour de la victoire soviétique dans la Seconde Guerre mondiale, le régime actuel s’en prend aux historiens, aux journalistes, aux militants de la société civile et aux organisations non gouvernementales qui s’efforcent de maintenir vivant un devoir de mémoire, notamment axé sur l’identification des auteurs et des victimes de la Grande Terreur, campagne de répression politique meurtrière menée par Joseph Staline de 1937 à 1938.
Notre dernier rapport intitulé « Russie : Crimes Contre l’Histoire » détaille cette méthode, et l’analyse du point de vue du droit international des droits humains. La FIDH formule des recommandations aux autorités nationales et aux organisations internationales sur la manière d’améliorer la situation de ceux que l’on appelle les « producteurs d’histoire ».
« Notre rapport est la première analyse complète de la question de la manipulation de la mémoire historique en Russie du point de vue du droit des droits de l’homme » souligne Ilya Nuzov, chef du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de la FIDH, qui a conçu et co-rédigé le rapport. « Nos conclusions montrent que les autorités ont créé un climat de peur et de répression pour toutes les voix indépendantes travaillant sur le passé historique en Russie, rappelant les pires pratiques de la période soviétique. »
Plus précisément, le rapport détaille comment, ces dernières années, le gouvernement a méthodiquement tenté de décourager les travaux indépendants dans le domaine historique tout en promouvant activement sa propre lecture de la « vérité historique », fondée sur la victoire soviétique à l’issue de la Seconde Guerre mondiale.
En 2020, ce récit historique officiel a été gravé dans le marbre de la Constitution, qui a été modifiée en contradiction avec le droit national et international. La Russie y est présentée comme le régime « successeur » de l’Union soviétique. Elle doit en conséquence « honorer la mémoire des défenseurs de la patrie » et « protéger la vérité historique ». Ce récit est activement promu par les institutions gouvernementales. Par ailleurs, les autorités ont stigmatisé et pénalisé les organisations de la société civile bénéficiant d’un soutien international, comme le Mémorial international, en adoptant notamment des lois sur les agents étrangers. Le pouvoir criminalise les interprétations qui divergent de l’interprétation de l’histoire par l’État en adoptant des lois sur l’exonération du nazisme et d’autres lois mémorielles. Des procès pour l’exemple sont menés contre des historiens indépendants, comme Yuri Dmitriev, qui a été condamné à une lourde peine de 13 ans, suite à son travail inlassable d’identification et de commémoration des victimes de la Grande Terreur.
« Le rapport est important non seulement pour la Russie » a remarqué Valiantsin Stefanovic, vice-président de la FIDH. « Ses conclusions et recommandations pourraient être appliquées à d’autres pays de la région et du monde qui manipulent la mémoire historique. Au Bélarus par exemple, nous constatons une utilisation similaire des lois mémorielles pour réprimer le mouvement pro-démocratique. »
Notre rapport formule un certain nombre de recommandations, telles que l’établissement de garanties et de protections juridiques pour préserver l’indépendance du travail des historiens. Il propose également la reconnaissance officielle des historiens comme défenseurs des droits de l’homme par les procédures spéciales des Nations unies, ainsi que la création d’une « journée des historiens » par l’UNESCO.