Kenya : La loi anti-terroriste doit être abrogée.

19/12/2014
Communiqué
en fr

La FIDH et la KHRC expriment leur profonde préoccupation à la suite de l’adoption par le Parlement d’un projet de loi portant amendement de plusieurs lois sur la sécurité et de sa promulgation aujourd’hui par le président du Kenya, ce qui lui donne force de loi. Dans sa forme actuelle, la loi contient plusieurs propositions qui violent les obligations du Kenya en vertu de la Constitution de 2010 et des instruments régionaux et internationaux des droits humains en vigueur. Nos organisations exhortent les autorités kényanes à abroger cette loi draconienne et réclament la libération des individus arbitrairement arrêtés et détenus à la suite des manifestations pacifiques qui ont eu lieu hier devant le parlement.

Le 18 décembre 2014, le Parlement du Kenya a consacré une session extraordinaire à la délibération sur le projet de loi portant amendement aux lois sur la sécurité. Les débats ont été interrompus alors que les députés allaient entamer la troisième lecture du projet de loi. Les députés de l’opposition ont marqué leur forte opposition au texte, mettant en garde contre le retour à un « État policier », et refusant de voter les amendements. Le président du Parlement a suspendu les débats par deux fois, mais l’atmosphère ne s’est guère apaisée à la reprise des discussions dans l’après-midi. Plusieurs députés en sont venus aux mains et la retransmission des débats à la télévision a été interrompue toute l’après-midi. Selon des sources concordantes, le président du Parlement, Justin Muturi, a lourdement insisté pour que les députés procèdent au vote et adoptent les amendements avant la fin de la journée à tout prix, ce qui finit par être fait. Le lendemain, le 19 décembre 2014, le Président Uhuru Kenyatta a promulgué le texte de loi malgré les oppositions persistantes.

“Garantir la sécurité nationale est d’une importance capitale et les autorités kényanes doivent relever ce défi de façon appropriée. Cependant, cela doit être fait en accord avec la loi et dans le plus grand respect des droits humains, des principes de la démocratie et des libertés fondamentales” , déclarent nos organisations.

Les organisations de la société civile ont mis en garde contre l’inconstitutionnalité et les aspects liberticides de plusieurs amendements du projet de loi et appelé les députés à ne pas adopter un tel texte. Des manifestations pacifiques ont été organisées le 18 décembre 2014 afin de protester contre le projet de loi. D’importantes forces de police furent ont été déployées tout autour du Parlement et 8 défenseurs des droits humains ont été brutalement agressés et arrêtés autour de 11 heures. Gacheke Gachihi, Francis Sakwa, Kenneth Kirimi, Wilfred Olal, John Koome, Okello Odhiambo, Denis Okoth et Denis Olema sont actuellement détenus au commissariat central de Nairobi, accusés de participation à un rassemblement illégal et d’incitation à la violence. Selon des informations transmises par la Coalition nationale des défenseurs des droits de l’homme - Kenya, ils ont été présentés ce 19 décembre 2014 à un juge qui a refusé leur remise en liberté provisoire et a fixé une caution de 300 000 shillings kényans par personne.

“Nous condamnons fermement la manière dont les forces de sécurité kényanes ont réprimé les manifestations, agressant plusieurs manifestants. Nous exhortons les autorités kényanes à libérer immédiatement et sans condition toutes les personnes arbitrairement arrêtées et détenues, parmi lesquelles au moins 8 défenseurs des droits humains dont l’unique crime fut de participer à une manifestation pacifique pour la protection des droits humains ” , déclarent nos organisations.

Contexte

Le 10 décembre 2014, le gouvernement kényan a publié le projet de loi portant amendement aux lois sur la sécurité 2014. Ce texte apporte d’importantes modifications à au moins 22 lois et a un impact direct sur plusieurs autres, dont les lois concernant les attributions des autorités des comtés. En particulier, le projet restreint les libertés d’expression et de réunion dans la mesure où il confère au Secrétaire du cabinet du gouvernement la capacité de décider où et quand certains rassemblements publics pourraient avoir lieu ; il limite l’accès à la justice et les droits des personnes arrêtées et prévenues en élargissant les prérogatives des forces de l’ordre en matière d’arrestation et de détention, en violation du droit des citoyens en matière de régularité procédurale ; il accroît les attributions du Service national des renseignements permettant la perquisition et la saisie de biens privés, et l’autorise à procéder à la surveillance des communications sans mandat.

Le projet de loi cherche également à re-classifier arbitrairement les organisations d’utilité publique (ou ONG). Le 16 décembre 2014, le Bureau de coordination des ONG du ministère kényan de la décentralisation et de la planification a organisé une conférence de presse durant laquelle il a annoncé le désenregistrement de 522 ONG. Cette décision a été prise dans un contexte de tentatives répétées visant à entraver le travail de la société civile et des défenseurs des droits humains.

Depuis leur arrivée au pouvoir en 2013, les autorités kényanes n’ont cessé de tenter de faire taire les voix dissidentes, que ce soit par l’adoption de lois restrictives visant à encadrer davantage les ONG ou le secteur des médias, par la répression policière violente des manifestations ou encore par le harcèlement judiciaire des manifestants et des défenseurs des droits humains. Au nom de la protection de la sécurité nationale, les autorités ont déjà conduit des opérations anti-terroristes qui ont, dans certains cas, été marquées par de graves violations des droits humains.

Voir le rapport conjoint de la FIDH et de la KHRC.

Lire la suite