Face au terrorisme, non au retour en force de la peine de mort

10/10/2016
Tribune
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Tribune écrite par Florence Bellivier, ancienne présidente de la Coalition mondiale contre la peine de mort et Dimitris Christopoulos, président de la FIDH, et publiée sur le site de Libération le 10 octobre 2016.

L’abolition de la peine capitale va dans le sens de l’histoire. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 1977, seuls seize pays avaient supprimé la peine de mort. Près de quarante ans plus tard, deux-tiers des États l’ont abolie en droit ou en pratique, preuve de la lucidité des opinions publiques et des gouvernants à l’égard d’une sentence aussi inhumaine qu’inutile. Mais qu’on ne s’y trompe pas, cette tendance globale à l’abolition n’a rien d’inéluctable. Ces dernières années, un phénomène particulièrement inquiétant s’est même développé : au nom de la lutte contre le terrorisme, un nombre croissant d’États ont de nouveau recours à la peine ultime.

Le Nigeria, le Bangladesh et la Tunisie ont ainsi récemment ajouté certains actes terroristes à la liste des infractions passibles de la mort. D’autres, qui respectaient un moratoire sur les exécutions depuis de longues années, ont repris leurs macabres pratiques. C’est notamment le cas du Tchad qui, aux prises avec Boko Haram, exécute à nouveau depuis 2015, et ce, après un moratoire de douze années. Au Pakistan, les exécutions s’enchaînent à nouveau depuis décembre 2014. Mais pour Karachi, la lutte contre le terrorisme ne sert que d’alibi pour réintroduire plus globalement la peine capitale. Pour preuve, seuls 10% des condamnations à mort prononcées ces deux dernières années visaient des terroristes. Les couloirs de la mort pakistanais sont avant tout peuplés de milliers de délinquants de droit commun. 

Ailleurs, on instrumentalise le terrorisme - notion aux contours très flous - pour empêcher toute forme de dissidence. C’est, par exemple, sous ce chef d’accusation que l’Iran exécute des individus dont le seul crime est d’appartenir à certaines minorités ethniques ou religieuses.

Sous d’autres latitudes, la lutte contre le terrorisme sert avant tout à museler l’opposition. En Égypte, une loi d’août 2015 rend passibles de la peine de mort les dirigeants "d’entités terroristes". Des centaines de Frères musulmans ont ainsi été condamnés à la peine capitale, après des procès souvent expéditifs, parfois sur la base d’aveux extorqués.

C’est du reste la marque de fabrique des pays pratiquant la peine de mort que de faire fi des règles du procès équitable.

Consciente de cet arbitraire, la société civile a appris au fil des ans à se mobiliser. Ici, pour faire commuer la peine d’un condamné atteint de troubles mentaux. Là, pour obtenir la réouverture d’un procès compte tenu d’une probable erreur judiciaire. Mais qui se mobilisera pour sauver d’une exécution imminente un terroriste ? Pas grand monde... Et pourtant. Nos exigences morales ne peuvent être à géométrie variable : le respect du droit à la vie doit valoir en toute circonstance. Il faut bien évidemment condamner ceux qui sèment la terreur... mais sans reproduire mimétiquement leurs actes. L’exécution est l’outil des terroristes, il ne peut être celui d’un État de droit. « Si une démocratie utilise la peine de mort contre des terroristes, elle fait sienne les méthodes des terroristes », insiste régulièrement Françoise Rudetzki, fondatrice de SOS attentats.

Les partisans de la peine capitale n’ont souvent qu’un mot en bouche : la dissuasion. A les entendre, brandir le spectre de la mort préviendrait de nombreux passages à l’acte. A tort. La corrélation entre baisse de la criminalité et pratique du châtiment capital n’a non seulement jamais été démontrée, et, à supposer qu’elle le soit un jour, ce ne serait certainement pas à propos du terrorisme. Les poseurs de bombe ne redoutent apparemment pas la mort. Comble de l’ironie, la peine capitale peut être instrumentalisée par ces mêmes terroristes pour justifier auprès de leurs troupes d’éventuelles représailles, au risque d’alimenter ainsi le cycle de la violence. 

S’il est facile de jouer sur l’émotion collective après un événement sanglant pour justifier un retour de la peine capitale - comme en témoignent les propos du président Erdogan après le coup d’État manqué en Turquie cet été - il est autrement plus ardu de convaincre l’opinion publique d’emprunter le chemin de l’abolition. Ce combat peut prendre des décennies. L’exemple français l’illustre bien : entre le discours enflammé de Jaurès déclarant - dès 1908 - que la peine capitale est "contraire à ce que l’humanité a pensé de plus haut et rêvé de plus noble" et l’abolition votée en 1981, que de vies sacrifiées ! Gardons-nous de ce grand bond en arrière auxquels nous invitent les terroristes qui, en versant le sang, éprouvent nos valeurs.

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