Chaque jour, des communautés du monde entier sont exposées aux effets dévastateurs des activités de nombreuses entreprises sur les droits humains et l’environnement. Certains de ses membres vont même jusqu’à payer de leur vie pour lutter contre l’impunité des entreprises. Plusieurs pays ont déjà adopté ou envisagent de se doter d’une législation qui engagerait la responsabilité des entreprises pour les abus qu’elles commettent et les obligeraient à rendre des comptes. La FIDH et sept de ses organisations membres et partenaires au Brésil, Chili, Norvège, Pérou, Afrique du Sud, Corée du Sud, Espagne et Taïwan, réunies à Bruxelles du 25 au 27 avril 2023, ont insisté une fois de plus sur la nécessité pour les législateurs d’adopter des lois efficaces sur les entreprises et les droits humains.
L’Union européenne est sur le point d’adopter une directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CSDDD, Directive on Corporate Sustainability Due Diligence). Il s’agit d’une tentative pour ce groupe de pays de définir les obligations des entreprises en matière de droits humains et d’environnement. Au lendemain du vote décisif du 25 avril au sein de la Commission des affaires juridiques du Parlement européen, les eurodéputé·es impliqué·es dans le processus ont franchi une nouvelle étape en vue de participer, aux côtés de la Commission européenne et du Conseil de l’Union européenne, aux négociations menant au texte définitif. Cette législation aura des répercussions bien au-delà des frontières européennes. Les enjeux sont trop importants pour que l’Union européenne passe à côté de cette opportunité en se contentant d’adopter des normes trop peu contraignantes. Il est encore temps pour l’Europe de montrer clairement l’exemple.
Il est capital que le champ d’application de la directive soit assez étendu et que son soutien soit assez large envers celles et ceux dont les droits et l’environnement sont affectés par les abus des entreprises. Alors que les effets de la crise climatique touchent tous les continents, la directive doit également obliger les entreprises à définir et à atteindre des objectifs ambitieux en matière de réduction d’émissions.
Quels que soient leur secteur d’activité, leur taille, leur lieu d’activité ou d’investissement, les entreprises doivent être tenues de respecter tous les droits humains ainsi que l’environnement. Le devoir de vigilance – processus continu, préventif et fondé sur les risques – est un moyen de les y contraindre. Il doit être appliqué à l’ensemble de la chaîne de valeur, en accord avec les normes internationales. Le fait que l’activité globale ou une partie seulement de l’activité des entreprises s’exerce hors des frontières des pays dans lesquels elles sont présentes, ne saurait justifier leur impunité. En laissant les entreprises se dérober à leurs obligations, ou en les autorisant à porter atteinte aux droits humains, simplement parce qu’elles exercent leur activité à l’étranger, les États enfreignent les normes internationales.
Une directive ambitieuse au service de la justice
Il est fondamental que la CSDDD contienne des dispositions précises sur l’accès à la justice si elle veut défendre les communautés et les individus affectés à travers le monde. Une législation ambitieuse pourrait enfin combler une partie des lacunes qui ont, jusqu’à présent, entravé l’accès aux réparations et aux recours efficaces. La charge de la preuve ne saurait incomber aux titulaires des droits qui subissent des violations de leurs droits fondamentaux et de l’environnement, elle devrait être du ressort de l’entreprise qui est responsable de leur protection. Les plaignant·es doivent avoir accès à l’information ainsi qu’à une aide juridique et financière.
Cette législation ne pourra être réellement efficace que si elle reconnaît la place centrale des individus des communautés affectées en tant que détenteurs des droits, et des représentant·es de la société civile en tant que principales parties prenantes. Cela ne pourra être possible que s’ils sont consultés de manière significative tout au long du processus et si le droit à leur consentement libre, préalable et éclairé est respecté. La législation devra également leur garantir un accès à un recours efficace en vertu des lois existantes qui prévoient la meilleure protection dans leur cas, que ces lois proviennent du pays où la violation a été commise, ou du pays qui abrite le siège social de la société mère.
La directive ne doit pas soumettre à un plafond les règles ambitieuses qui auront vocation à régir la responsabilité des entreprises. Au moment de mettre en œuvre la CSDDD, les États membres ne doivent pas se priver de leur droit d’aller plus loin en matière de protection de l’environnement et des droits humains en adoptant des lois nationales plus étendues. D’autre part, les dispositions de la directive ne doivent pas non plus affaiblir les lois et les normes nationales et internationales, ni servir de prétexte pour diminuer les protections existantes – elles doivent au contraire les renforcer ou les compléter.
Enfin, tout dispositif, comme des clauses contractuelles, des audits réalisés par des tiers ou des initiatives de collaboration entre plusieurs parties prenantes, ne saurait être considéré comme un moyen pour les entreprises d’échapper à leur devoir de vigilance, ni utilisé pour entraver l’accès à un recours efficace.
La volonté d’établir des normes contraignantes en matière de responsabilité des entreprises emporte une adhésion grandissante dans le monde entier. Nos organisations appellent les hommes politiques à travers le monde à élaborer et à mettre en place des lois qui protègent efficacement les droits humains et l’environnement et contribuent à lutter contre le changement climatique. Une fois entrées en vigueur, la directive de l’Union européenne – si elle est ambitieuse – et la législation nationale pourront donner les moyens de lutter aux communautés qui se battent depuis longtemps contre l’impunité des entreprises.
Photo - Juan RESTREPO / AFP : « Vue aérienne de la ville de Caucase, située dans le département d’Antioquia, en Colombie, montrant les effets de l’exploitation illégale de mines sur l’environnement, le 22 mars 2023. Les carcasses géantes des dragueurs d’or calcinés et démantelés jonchent les fleuves dans le nord-ouest de la Colombie, où le gouvernement livre une guerre totale contre l’exploitation illégale des mines. Qualifiées de « dragons » par les locaux, ces énormes machines utilisées pour aspirer l’or du lit des fleuves sont tenues responsables de la destruction de l’environnement et du financement du crime organisé. Mais leur démantèlement dans le cadre d’une importante opération militaire a rencontré l’hostilité des communautés dont la survie dépend des activités minières ».