Ce qui se passe vraiment en Turquie

Une situation en matière de droits humains qui se dégrade globalement
Fin janvier, lorsque j’ai participé à une mission conjointe de haut niveau FIDH/EuroMed Droits, nous avons constaté que la situation en matière de droits humains en Turquie était indubitablement la pire qu’ait connue le pays depuis plusieurs décennies. Dans tout le sud-est du pays, les violations des droits humains sont monnaie courante dans le cadre du conflit meurtrier, y compris pour la population civile, qui oppose les forces armées du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) aux forces de sécurité turques. En outre, le pays est en proie à une répression massive de la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association. Les défenseurs des droits humains, les avocats, les universitaires, les médias en ligne et hors ligne ainsi que les membres de l’opposition font l’objet d’attaques de plus en plus fréquentes : campagnes de dénigrement, stigmatisation, diffamation, intimidation, menaces, harcèlement judiciaire et incrimination, ce qui se traduit souvent par des interpellations et des détentions arbitraires ainsi que des violences physiques exercées par les agents des forces de l’ordre.

La situation déplorable des migrants et demandeurs d’asile en Turquie
Actuellement, la Turquie est le pays au monde qui accueille le plus de réfugiés, avec 2,7 millions de réfugiés syriens. La plupart d’entre eux vivent dans des conditions déplorables en dehors des camps officiels, quasiment sans la moindre assistance. L’adoption de la Loi de 2014 sur les étrangers et la protection internationale n’a guère amélioré la situation en matière de violations des droits des migrants et des demandeurs d’asile. Malgré quelques avancées bienvenues, qui n’ont pas encore été pleinement mises en œuvre, cette loi reproduit nombre des lacunes juridiques de l’acquis européen en matière de droit d’asile, notamment le recours accru aux procédures accélérées de traitement des demandes d’asile ainsi que le placement en rétention jusqu’à 12 mois des personnes en attente de reconduite, et ceci en violation du droit international. L’accès aux procédures d’asile en Turquie reste particulièrement difficile. La Turquie maintient ses réserves géographiques à la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés, qui excluent des procédures d’asile les ressortissants non-européens. De ce fait, les Syriens, les Irakiens et les Afghans ne peuvent prétendre à une pleine reconnaissance de leur statut de réfugié ni jouir des droits garantis par la Convention. En Turquie, la procédure d’obtention d’un permis de travail est extrêmement stricte pour les ressortissants étrangers. Rares sont les demandeurs d’asile qui parviennent à se faire délivrer un permis de travail. De ce fait, ils sont souvent exploités, et beaucoup de femmes et d’enfants sont réduits à la mendicité. Les enfants sont privés de leur droit à l’éducation. Les autorités turques ont reconduit par la force des Syriens dans leur pays d’origine, au mépris du principe de non refoulement en vertu duquel les États n’ont pas le droit de reconduire des personnes vers un pays où elles sont exposées à des risques de persécution ou d’autres violations des droits humains.

Accord UE-Turquie : la Turquie instrumentalise les réfugiés
Les autorités turques, dans le cadre de leurs négociations avec l’UE, ont instrumentalisé la lutte contre le terrorisme ainsi que la présence sur le territoire turc d’un nombre élevé de demandeurs d’asile et de réfugiés. La Turquie voulait une aide financière, la libéralisation du régime des visas ainsi que des avancées sur les pourparlers d’adhésion. Mais surtout, les autorités turques voulaient que l’UE arrête d’adresser des critiques à la Turquie au sujet des violations des droits humains commises sur son territoire. Or c’est exactement ce à quoi elles sont parvenues grâce à l’accord. L’Union européenne et ses Etats membres ferment les yeux sur la dégradation de la situation en matière de droits humains en Turquie, en contrepartie de quoi la Turquie s’engage à contribuer à endiguer les flux migratoires en direction de l’UE. C’est, de la part des dirigeants de l’UE, faire preuve d’un cynisme et d’un opportunisme scandaleux que de se montrer prêts, au nom de la protection des frontières, à donner un blanc-seing à la Turquie en tant que « pays sûr » pour les réfugiés, alors que cela est démenti par les faits. Céder sur les droits humains, tel est le prix que la Forteresse Europe semble prête à payer pour verrouiller hermétiquement ses frontières, quitte à se soustraire à ses responsabilités en matière de respect des droits humains.

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