Les violences sexuelles et sexistes contre les femmes

18/11/2019
Déclaration
en es fr

La FIDH, réunie en son 40ème Congrès :

Alarmée par les offensives actuelles allant à l’encontre de la lutte contre les violences sexuelles et sexistes menées par certains gouvernements et groupes conservateurs, souvent à des fins économiques et politiques.

Rappelant que les restrictions aux droits sexuels et reproductifs des femmes constituent des violences à leur égard et une violation flagrante de leurs droits humains. Rappelant que dans le monde, 25 millions d’avortements clandestins ont lieu chaque année, menant à 13% des décès maternels. Dénonçant les attaques récentes portées à ces droits dans des pays de différents continents, tels que les États-Unis d’Amérique qui, depuis l’élection de Donald Trump, multiplient les régressions législatives et réductions budgétaires en matière de droits sexuels et reproductifs limitant drastiquement l’accès à l’avortement ; la Pologne où le parlement a approuvé en octobre 2019 un projet de loi visant à criminaliser l’éducation sexuelle ; l’Equateur où le parlement a voté en septembre 2019 contre la dépénalisation de l’avortement y compris en cas de viol ; ou encore le Maroc où la journaliste Hajar Raissouni a été condamnée en septembre 2019 à un an de prison ferme pour « avortement illégal et relations sexuelles en dehors du cadre du mariage » avant d’être graciée ;

Alertant sur le fait que, dans le monde, une femme sur trois a subi des violences physiques ou sexuelles au cours de sa vie ; que 15 millions de filles et adolescentes ont été victimes de violences sexuelles en 2017 ; et qu’aux États-Unis d’Amérique, une femme sur 16 est violée lors de sa première expérience sexuelle ;

Rappelant que chaque jour, 137 femmes sont tuées par leur conjoint ou un membre de leur famille, soit six femmes par heure et que sur aucun continent les femmes ne sont à l’abri des féminicides : en Afrique du Sud, une femme est tuée toutes les trois heures ; au Mexique, 10 femmes sont tuées chaque jour ; et en Russie, jusqu’à 14 000 femmes sont assassinées par leur conjoint chaque année, soit 38 femmes chaque jour, une toutes les 40 minutes.

Considérant que ces chiffres sous-estiment largement la réalité des violences sexuelles et sexistes, qui, malgré leur caractère structurel et massif dans l’ensemble des pays du monde, demeurent sous documentées et très peu dénoncées ;

Considérant notamment la déclaration et le programme d’action de la Conférence du Caire sur la population et le développement ; la déclaration et la plateforme d’action de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes de Beijing ; la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) ; la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul) ; la Convention interaméricaine sur la prévention, la sanction et l’élimination de la violence contre les femmes (Convention Belem do Para) ; le Protocole à la Charte africaine des droits humains et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique (Protocole de Maputo) ; la recommandation générale n°35 du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (Comité CEDAW) portant sur la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre, portant actualisation de la recommandation générale n°19 ; l’Observation générale n°36 du Comité des droits humains des Nations unies (CCPR) portant sur le droit à la vie ; les Lignes directrices de la Commission africaine des droits humains et des peuples (CADHP) sur la lutte contre les violences sexuelles et leurs conséquences en Afrique ;

Saluant l’adoption par plusieurs pays, tels que l’Espagne et la Tunisie, de lois intégrales visant l’élimination de toutes les formes de violences à l’égard des femmes, quels que soient leurs auteurs ou l’espace dans lequel elles s’exercent ;

Rappelant que d’autres pays, tels que l’Algérie, le Maroc ou la France, se sont également dotés de législations visant à lutter contre les violences faites aux femmes, mais que ces initiatives, soit en raison de leur caractère partiel, soit de la persistance de dispositions ne permettant pas de lutter efficacement contre l’impunité, ont échoué à prendre en compte les revendications des organisations féministes et de défense des droits des femmes ;

Dénonçant le rejet par l’Assemblée nationale de Mauritanie, en décembre 2018, d’un projet de loi encore largement perfectible, mais qui aurait permis de renforcer la lutte contre les violences faites aux femmes notamment par un durcissement des peines encourues en cas de viol et la pénalisation du harcèlement sexuel ;

Consciente que des pays comme le Mali sont actuellement impliqués dans un processus législatif visant à l’adoption de telles normes, et de l’importance de la mobilisation et vigilance de la société civile afin que ces textes se conforment autant que possible aux standards internationaux les plus élevés en la matière et répondent aux besoins des victimes ;
S’inquiétant de la perspective de graves reculs dans des domaines tels que la lutte contre les violences sexuelles en période de conflits et l’accès des victimes de viols à leurs droits sexuels et reproductifs. Préoccupée en particulier par la résolution 2467 sur les violences sexuelles dans les situations de conflits armés adoptée le 23 avril 2019 par le Conseil de sécurité des Nations unies après que les dispositions concernant la santé sexuelle et reproductive, et notamment les références aux femmes enceintes à la suite de viols, ont été retirées, sous la pression du gouvernement des États-Unis d’Amérique, et alors que la Russie et la Chine se sont abstenues, brisant 25 années de consensus sur ces questions et remettant en cause les acquis des conférences internationales en la matière ;

S’alarmant des formes particulièrement atroces que prennent les violences sexuelles et sexistes dans les contextes de conflits et crises – et de migration qui en découlent – où les femmes sont victimes de viols, souvent commis en réunion, d’esclavage sexuel, de mutilations sexuelles, des crimes commis aussi bien par les forces de défense et de sécurité et leurs supplétifs que par des groupes non étatiques extrémistes ;

S’inquiétant de la persistance de certaines législations tolérant l’achat d’actes sexuels, et de leur impact sur la banalisation des violences sexuelles et la perpétuation de la culture du viol. Convaincue que l’élimination des violences sexuelles et sexistes requiert de bannir la marchandisation du corps des femmes et de prendre des mesures pour lutter contre l’appropriation du corps des femmes par les hommes. Se félicitant de l’introduction, au cours des dernières décennies, de législations dans plusieurs pays, tels que la Suède et la France, décriminalisant la prostitution et interdisant l’achat d’actes sexuels afin de lutter contre l’exploitation sexuelle des femmes ;

Regrettant que dans l’ensemble des États du monde, les victimes sont confrontées à de multiples obstacles pour accéder à la justice : lois inadéquates, culture du viol, culture de l’impunité, stigmatisation et remise en question de la crédibilité des témoignages des victimes, manque de formation du personnel judiciaire et des forces de l’ordre, règlements à l’amiable, coût des procédures, lacunes dans la protection et la prise en charge médicale, psychologique et social des victimes, entre autres ;

S’inquiétant des charges parfois portées contre les victimes de violences sexuelles et sexistes, alors considérées comme complices des violences qu’elles subissent, et pouvant être accusées d’atteinte aux bonnes mœurs, d’attentat à la pudeur ou encore d’adultère ;

Considérant que les violences sexuelles et sexistes à l’égard des femmes et des filles sont massivement commises par des hommes et, dans la mesure où elles font peser la menace de la violence masculine sur l’ensemble des femmes, peuvent être qualifiées de terrorisme patriarcal ;

Rappelant que les violences patriarcales sont favorisées par toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, notamment dans le domaine du mariage, du divorce, de l’héritage, de l’éducation, du travail, du politique ou encore de l’accès à la propriété, et que ces violences sont fondées sur la négation du principe d’égalité des sexes ;

Rappelant que les violences sexuelles et sexistes peuvent avoir des conséquences graves, multiples, immédiates ou non, et parfois de long terme sur la santé et la vie des survivantes, notamment des conséquences médicales, psychologiques, sociales et matérielles comprenant par exemple les déchirures vaginales et anales, les grossesses non désirées, les mariages précoces et forcés, les infections sexuellement transmissibles telles que le VIH/SIDA, la stigmatisation et la honte, le syndrome du stress post-traumatique, la dépression, les comportements à risque y compris suicidaires, l’abandon scolaire, la perte d’emploi, les crimes « d’honneur », la mort, la destruction des communautés dans le cas des violences liées aux crises et aux conflits ;

Déplorant que les défenseur.ses des droits des femmes impliqué.es dans le combat contre les violences sexuelles et sexistes rencontrent de fortes résistances et soient l’objet de menaces, campagnes de dénigrement, harcèlement ou de violences ;

1. Affirme que le droit des femmes de vivre une vie sans violence est un droit fondamental qui conditionne la jouissance de leurs autres droits humains tels que le droit à la vie, à la santé, à la non-discrimination, au travail ou encore à la participation à la vie sociale, publique et politique.

2. Condamne toutes les formes de violences sexuelles et sexistes à l’égard des femmes et s’engage à continuer de prioriser la lutte contre ces violences dans ses actions sur tous les continents, notamment en les documentant, en les dénonçant, en accompagnant les victimes, en plaidant auprès des décideur.ses en faveur de leur élimination et en mobilisant ses membres.

3. Appelle les États à adopter et mettre en œuvre des législations spécifiques, fondées sur une approche de droits humains, en faveur de l’élimination de toutes les formes de violences à l’égard des femmes afin de mieux définir et appréhender les différentes formes de violences, et de garantir l’efficacité du système de prévention, de répression et de réparation de ces violences, et de soutien aux survivantes.
4. Exhorte les États à garantir la protection des défenseur.ses impliqué.es dans la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, afin de leur permettre d’exercer leur activité légitime et pacifique de défense des droits humains, conformément à la Déclaration sur les défenseurs des droits humains adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1998 et aux autres textes internationaux et régionaux pertinents.

5. Appelle les États à ratifier et mettre en œuvre au plus vite les instruments internationaux et régionaux pertinents en la matière.

6. Affirme son soutien sans faille aux femmes, aux organisations féministes et spécialisées dans la défense des droits des femmes, et à toutes les défenseuses des droits des femmes qui luttent quotidiennement contre les violences sexuelles et sexistes ; S’oppose fermement à toute forme de culpabilisation visant à faire porter aux défenseuses la responsabilité des attaques et menaces qu’elles subissent ; et Appelle le mouvement généraliste de défense des droits humains à renforcer sa solidarité et son soutien aux mouvements féministes et à la lutte contre l’impunité de toutes les formes de violences à l’égard des femmes.

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