Les violations et menaces pesant sur les droits sexuels et reproductifs des femmes

27/08/2016
Déclaration
en es fr

Présentée par l’Association Tunisienne Des Femmes Démocrates (ATFD)

La FIDH, réunie en son 39ème Congrès :
Considérant la décision du Comité des droits de l’Homme des Nations unies du 9 juin 2016 selon laquelle la législation irlandaise prohibant et criminalisant le recours à l’avortement viole les droits humains des femmes à qui l’on a diagnostiqué une anomalie fœtale létale ;
Considérant le jugement historique rendu par la Cour suprême des États-Unis le 27 juin 2016 qui a déclaré qu’une loi texane destinée à limiter le nombre de centres de soin pouvant pratiquer des avortements entravait de manière injustifiée le droit constitutionnel des femmes à solliciter un avortement [1] ;
Considérant que le 5 juillet 2016, des militants anti-avortement ont déposé au parlement polonais un projet de loi citoyen proposant une interdiction totale de l’avortement sauf dans les cas de mort accidentelle du fœtus alors que le médecin tente de sauver la vie de la femme et prévoyant une peine pouvant aller jusqu’à 5 ans d’emprisonnement pour les femmes qui ont recours à l’avortement et les médecins qui le pratiquent ;
Considérant le Pacte international des Nations unies relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international des Nations unies relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la Convention relative aux droits de l’enfant, le programme d’action de la Conférence internationale des Nations unies sur la population et le développement de 1994, la programme d’action de Beijing, le rapport intermédiaire du rapporteur spécial des Nations unies sur le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible [A/HRC/17/25 (2011)], le rapport du rapporteur spécial des Nations unies sur la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants [A/HRC/22/53 (2013)], le commentaire général n°22 du Comité sur les droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies 2016 ;
Rappelant que tout individu a le droit fondamental de décider librement et en toute connaissance de cause du nombre de ses enfants et de l’espacement de leur naissance et de disposer des informations, de l’éducation et des moyens voulus en la matière ;
Rappelant que les droits sexuels et reproductifs sont indivisibles et interdépendants des autres droits humains ;
Considérant que leur déni ou leur restriction,relevant d’une vision stéréotypée et patriarcale de la féminité et de la sexualité féminine, empêchent les femmes de jouir de leurs droits humains et notamment de celui à la santé, à la vie, à la non-discrimination, et limitent leur accès à l’éducation, l’emploi, l’autonomie financière et à la vie publique et politique ;
Considérant que selon l’UNICEF, au moins 200 millions de filles et de femmes ont subi des mutilations génitales dans 30 pays ;
Considérant qu’une éducation sexuelle non-discriminatoire, complète, adaptée à l’âge, culturellement pertinente, fondée sur une information scientifiquement précise, réaliste, luttant contre les stéréotypes, notamment sexistes et contre les personnes LGBTI, et s’abstenant de jugements de valeurs, contribue à : éviter les grossesses non désirées, diminuer le nombre d’avortements, réduire la mortalité maternelle, prévenir le VIH/sida et autres maladies sexuellement transmissibles, limiter la vulnérabilité des femmes aux violences sexistes en renforçant leur autonomisation, réduire les discriminations fondées sur le genre et renforcer l’égalité ;
Considérant que l’autonomisation des femmes est indispensable pour lutter contre la pauvreté, la discrimination, la violence et un élément crucial pour l’égalité des sexes et le développement durable ;
Regrettant, dans de trop nombreux États, l’insuffisance de services de planification familiale, de contraception et d’avortement abordables, disponibles, acceptables, accessibles et de qualité ;
S’inquiétant que sur tous les continents, des États maintiennent des législations répressives interdisant totalement l’interruption volontaire de grossesse (IVG) ou ne l’autorisant que dans des exceptions très limitées (viol, inceste, danger à la vie de la mère ou malformation du fœtus), et comportant des contraintes procédurales (périodes d’attente obligatoires, nécessité d’obtenir plusieurs certificats médicaux, objection de conscience, etc.) qui empêchent trop souvent les femmes de recourir à l’avortement dans la pratique ;
S’inquiétant aussi des politiques infligeant des sanctions pénales aux femmes qui ont recours ou sont soupçonnées d’avoir eu recours à ces interventions et au personnel de santé qui les pratiquent ou fournissent des services liés à l’avortement ;
Rappelant que ces législations répressives et le manque d’accès à des services de santé sexuelle sûrs et légaux qui en résultent ont pour seul effet de conduire les femmes à avorter dans la clandestinité, en prenant des risques considérables pour leur santé, voire au péril de leur vie, que 8 à 18 % des décès maternels dans le monde sont dus à des avortements pratiqués dans de mauvaises conditions sanitaires [2], et que dans les pays en développement, chaque année, près de 7 millions de femmes sont traitées pour des complications liées à des avortements clandestins, et au moins 22 000 décèdent de ces complications [3] ;
Rappelant en outre que ces restrictions pénales et autres sont inefficaces puisque le taux d’avortement n’est pas significativement différent dans les pays qui interdisent l’IVG et dans ceux qui l’autorisent [4] ;
Rappelant que les grossesses non désirées ont des conséquences psychologiques voire sanitaires dévastatrices notamment pour les petites filles dont le corps n’est pas suffisamment développé pour supporter une grossesse et un accouchement ;
Considérant l’épidémie du zika qui sévit dans les Amériques depuis avril 2015 et provoque des microcéphalies ainsi qu’un retard du développement cérébral intra-utérin du fœtus et rappelant l’urgence sanitaire d’autoriser l’accès des femmes à la contraception et à l’avortement dans le contexte d’épidémies comme celle-ci ;
Dénonçant les offensives contre les droits reproductifs et sexuels des femmes menées par des groupes conservateurs et religieux, souvent soutenus à des fins politiques par des gouvernements désireux de se maintenir au pouvoir en apaisant les forces les plus conservatrices ;
Regrettant que les défenseurs des droits sexuels et reproductifs rencontrent de fortes résistances voire soient l’objet de menaces, campagnes de dénigrement, harcèlement ou de violences au prétexte d’être accusés de promouvoir l’agenda des pays occidentaux , de trahir la nation en tentant d’entraver les naissances, ou encore de porter atteinte au « droit à la vie de l’enfant à naître » ;

S’inquiétant de la politique d’ encouragement de la prohibition de l’avortement dans le monde de certains États qui interdisent d’affecter les fonds qu’ils déboursent au titre de l’aide au développement au financement d’IVG ;
1. Affirme que le respect et la jouissance des droits sexuels et reproductifs sont essentiels pour garantir les droits des femmes notamment à la santé, à la vie et à la non-discrimination ainsi que leur pleine participation à la vie publique et politique dans des conditions d’égalité avec les hommes, conformément à la Convention des Nations sur toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ;
2. Condamne toute violation des droits reproductifs et sexuels ainsi que les pratiques néfastes ayant pour finalité de contrôler la sexualité des femmes et notamment les mutilations génitales féminines ;
3. Appelle les États à retirer les restrictions pénales et autres limitant la jouissance des droits sexuels et reproductifs et à prendre des mesures pour garantir, sans discrimination, la disponibilité, l’accessibilité et la qualité de services acceptables et abordables de planification familiale, de contraception et d’avortement en prenant en compte les besoins des femmes vulnérables ;
4. Exhorte les États à garantir la protection des défenseurs des droits sexuels et reproductifs contre toute forme de harcèlement et de répression, et afin de leur permettre d’exercer leur activité légitime et pacifique de défense des droits humains, conformément à la Déclaration sur les défenseurs des droits humains adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1998 [5] et aux autres textes internationaux et régionaux pertinents.
5. Appelle les États à ratifier les instruments régionaux pertinents en la matière comme la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique et le Protocole à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique.
6. Appelle les États à adopter une approche de l’aide publique au développement fondée sur les droits fondamentaux qui n’inclut pas de restriction en matière d’accès à l’avortement.
7. Appelle à se mobiliser pour le respect des droits reproductifs et sexuels des femmes, en faveur de la reconnaissance de ces droits dans la loi comme dans la pratique.

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