Innover pour lutter contre les violences faites aux femmes en période de COVID-19

La FIDH a organisé le 17 juin 2020 un échange entre des défenseuses et défenseur des droits des femmes d’Afrique du Sud, de France, du Mexique et de Tunisie, quatre pays où les organisations féministes ont su réagir rapidement à l’exacerbation des violences contre les femmes liée à la crise de COVID19. La discussion visait à partager des pratiques innovantes afin d’améliorer la réponse des associations en temps de pandémie. Plus de 300 personnes nous ont rejoint lors de ce webinaire, ce qui démontre le besoin de multiplier les espaces d’échanges, mutualiser les expériences et soutenir les associations et professionnel.les en première ligne pour combattre les violences et soutenir les victimes.

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En Tunisie, les appels des femmes victimes de violence sur la hotline nationale ont été multipliés par plus de sept dès le début du confinement. Le nombre de cas a augmenté et la sévérité des violences s’est amplifiée. L’ATFD, organisation membre de la FIDH et principale organisation féministe en Tunisie, a réagi très rapidement sur 3 aspects :
 le renforcement de ses lignes d’écoute téléphonique et de l’assistance psychologique et juridique à distance ;
 l’alerte des pouvoirs publics très tôt en leur faisant remonter les données de terrain et en les appelant à prendre des décisions urgentes : intégrer les droits des femmes et leur protection dans toutes les mesures adoptées pour répondre à la crise, fournir une assistance sociale aux femmes, garantir que des femmes occupent des postes de décisions dans la construction de la réponse à la pandémie, activer et soutenir les services de protection des femmes locaux et communautaires, etc.
 une campagne sur les réseaux sociaux et notamment sur instagram pour informer le grand public de la situation, en mobilisant des artistes, des femmes connues.

Les pistes d’amélioration évoquées par Ahlem Belhadj dans la réponse à la crise sont : la coordination inter-sectorielle, la prise en compte de certaines formes de violences telles que les violences économiques, notamment dans les mesures d’assistance sociale fournies aux femmes.

" À la moindre crise, on assiste à des reculs pour les droits des femmes. Nos droits et nos acquis sont vraiment fragiles. La police, la justice, considèrent que ce ne sont pas des urgences. Dès que le patriarcat trouve une brèche, il est là."

Ahlem Belhadj, pédopsychiatre et membre de l’ATFD

En Afrique du sud, les femmes ont également été impactées de façon disproportionnée par un confinement très strict. A chaque nouvelle étape du confinement, les associations faisaient un état des lieux des nouvelles restrictions pour adapter au mieux leur prise en charge médicale, judiciaire, et psychosociale des femmes survivantes de violence.

La première innovation de la société civile en Afrique du Sud a été la création d’un Fonds de Solidarité, une plateforme indépendante des gouvernements et des entreprises, dédiée au soutien à la crise sanitaire et à l’effort humanitaire. Ce fonds initialement créé pour soutenir l’aide alimentaire, a élargi son mandat et décidé de contribuer à la lutte contre les violences basées sur le genre. Les premières priorités du Fonds ont été de fournir des équipements de protection individuelle, pour les centres d’accueil et les centres de soins Thuthuzela et de financer du personnel et des équipements supplémentaires à un service d’assistance par téléphone et mécanisme d’orientation du ministère du Développement social.

La seconde innovation des organisations féministes de terrain a consisté à faciliter les démarches et la protection pour les femmes, par exemple à travers des mécanismes d’alerte sous forme de messages codés ou de groupes whatsapp secrets. Certaines ont pris en charge le coût des données mobiles pour assurer que les femmes aient accès aux services disponibles sur leurs smartphones. Le groupe d’action communautaire Data4Women par exemple, a créé des groupes de soutien WhatsApp présidés par des travailleur.euses sociales qui a pu aider directement les femmes qui en avaient besoin et a acheté des données pour les victimes. Des groupes ont également mis en place des services de transports en utilisant leurs voitures personnelles pour conduire des femmes dans des refuges lorsque les transports publics étaient inaccessibles.

Sanja Bornman, avocate et membre de l’association Lawyers for Human Rights, a également rappelé l’importance d’échanger des expériences de différents contextes et pays afin d’identifier des stratégies efficaces pour lutter contre la violence à l’égard des femmes, et selon elle «  la mobilisation régionale et internationale permet de renforcer la pression sur nos gouvernements ».

Au Mexique, au cours des trois premiers mois de l’année 2020, près de 1000 femmes et filles ont été assassinées, dont 25 % sont des féminicides, c’est à dire, des crimes basés sur la haine et les discriminations de genre. 54 000 cas de violence intra-familiale ont été rapportés, et plus de 15 000 cas de violences sexuelles. Ces chiffres ne prennent pas en considération le très grand nombre de cas non rapportés ou non déclarés, que l’on estime être trois à huit fois supérieur aux chiffres officiels.

"nous sommes confronté.es à une situation extrême, complexe et diverse, nous avons besoin de réponses innovantes. Nous devons donner la priorité aux femmes qui sont confrontées non seulement à la crise sanitaire mais aussi à la violence sexiste au quotidien. Les femmes et les mouvements féministes doivent montrer la voie."

Rodolfo Dominguez, avocat et coordinateur de l’association Justicia, Derechos humanos y Género,

En réaction à la pandémie de Covid-19, l’organisation Justicia, Derechos humanos y Género s’est attelée à faire mettre en application des ordonnances de protection, afin de protéger les femmes en situation de violence et de prévenir les violences extrêmes et les féminicides. Pour s’adapter à la situation, l’association est en train de développer un outil en ligne, qui met à disposition des victimes un formulaire de demande d’ordonnance de protection adressé aux autorités, de façon urgente et immédiate. Les ordonnances de protection doivent être accordées par l’autorité compétente, il peut s’agir d’un juge ou du ministère public. Ce document comporte des rubriques qui doivent être remplies par les victimes, dans lesquelles elles décrivent les actes de violence et répondent à un court questionnaire sur l’évaluation des risques. Par le biais de ce document, des mesures de protection spécifiques sont demandées, y compris le départ forcé de l’agresseur du domicile où vit la victime et l’interdiction de commettre des actes de violence, de communiquer ou d’approcher la victime.

En France, le niveau de violence dans la société est encore très élevé. 250 femmes sont victimes de viol chaque jour, et une femme meurt assassinée par son partenaire ou ex tous les deux jours et demi. Le collectif #NousToutes a utilisé des outils en ligne particulièrement pertinents en période de confinement pour agir sur la question des violences.

Tout d’abord, le collectif NousToutes a mené un peu avant le confinement une enquête sur le consentement dans les couples, qui a montré la prévalence des violences sexistes et sexuelles prenant racine dans les rapports heterosexuels au sein du couple. En 10 jours, plus de 100 000 personnes, en majorité des jeunes femmes, ont répondu à l’enquête. Les résultats ont notamment montré que 9 femmes sur 10 ont déjà subi une pression de la part de leur partenaire, et qu’une femme sur deux a déjà subi un rapport sexuel avec pénétration sans consentement – ce qui constitue un viol. 80% ont affirmé avoir déjà subi des violence de la part de leur partenaire, qu’elle soit verbale, physique ou sexuelle.

Cette enquête a eu un impact fort dans la société à deux moments : d’une part au moment de la mise en ligne du questionnaire, puisque de nombreux témoignages de personnes qui ont pris conscience des violences qu’elles avaient subi en replissant le questionnaire ont été reçus ; et d’autre part au moment de la sortie du rapport et de la présentation de ses résultats, puisque quasiment la totalité des jeunes femmes répondantes ont subi des pressions pendant les rapports sexuels. Cette enquête, basée sur un formulaire robuste (réalisé par des chercheuses spécialistes du consentement, des statisticiennes, des activistes et testé par 8000 personnes avant son lancement), est un outil puissant de viralisation et a permis grâce à une mobilisation entièrement en ligne, de mettre ce sujet au devant de la scène publique.

Le deuxième outil dont s’est saisi #NousToutes a été la mise en place de formations en ligne gratuites et ouvertes à tout le monde. Entre avril et mai, 20 000 personnes ont été formées en ligne sur la question des violences. La formation a été mise en ligne sur la page #NousToutes et vue par 68 000 personnes. Cela a permis de donner des outils aux citoyen.ne.s, à nouveau uniquement à travers des outils numériques et un travail entièrement bénévole.

"Le caractère massif de la formation a permis de faire monter le niveau de conscience sur les violences au sein de la population."

Caroline de Haas, formatrice et coordinatrice du collectif #NousToutes,

Visionnez le séminaire :

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