Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples
60ème session ordinaire - Niamey, 8 - 22 mai 2017
Protéger et promouvoir les droits des filles pour garantir leur participation à la construction de « L’Afrique que nous voulons »
Madame la Présidente,
Mesdames et Messieurs les Commissaires,
La FIDH salue le choix de l’Union africaine de faire de 2017 une année axée sur la promotion de la jeunesse. Alors que 60 % de la population africaine a actuellement moins de 25 ans, il est en effet impératif d’investir dans ce capital essentiel pour l’essor du continent et de lui donner les moyens d’agir en faveur des objectifs fixés par l’agenda 2063, notamment le développement, la paix, la démocratie et les droits humains. À cette occasion, nous souhaitons attirer l’attention de la Commission sur la situation spécifique des filles et les violences et discriminations qu’elles subissent, qui freinent, voire empêchent leur pleine participation à cette dynamique. Investir dans la jeunesse nécessite au préalable de libérer les filles des nombreuses entraves qui les empêchent de jouir pleinement de leurs droits sur l’ensemble du continent.
Si les États membres de l’Union africaine ont adopté et largement ratifié plusieurs instruments régionaux et internationaux de protection et promotion des droits des filles, tels que le Protocole de Maputo, la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, la Charte africaine de la jeunesse ou encore la Convention CEDAW, les dispositions de ces textes ne sont, dans leur majorité, pas respectées.
Les mutilations génitales féminines, les mariages précoces et forcés, les violences sexuelles , l’interdiction ou les limites à l’accès à l’avortement, les conceptions et attitudes stéréotypées sont autant d’obstacles à la jouissance par les filles de leurs droits humains. Ces violations les privent du droit à la vie, à l’intégrité physique et morale, à la santé, à la non-discrimination, mais aussi bien souvent entravent leur droit à l’éducation, à l’emploi et les empêchent de participer pleinement, sur un pied d’égalité avec les garçons, à la vie publique et politique de leur pays.
Madame la Présidente,
La FIDH souhaite attirer en particulier l’attention de la Commission sur les mariages précoces – qui devraient également être considérés de manière systématique comme des mariages forcés qui gangrènent notre continent et affectent les filles de manière disproportionnée. Nous saluons à cet égard l’initiative prise par l’Union africaine de consacrer une campagne spécifique visant à lutter contre ce fléau. De telles actions nécessitent d’être soutenues, poursuivies, et renforcées, car les statistiques demeurent alarmantes. En Afrique subsaharienne, 39 % des filles sont mariées avant 18 ans. Le Niger est l’État où le taux de mariage précoce est le plus fort dans le monde : 76 % des filles y sont mariées avant 18 ans, 28 % avant 15 ans. Parmi les 20 États où le taux de mariage précoce est le plus élevé dans le monde, 17 sont africains : pour ne citer que quelques exemples, en République centrafricaine et au Tchad, 68 % des filles sont mariées avant 18 ans, 55 % au Mali, et 52 % au Burkina Faso, en Guinée et au Sud Soudan. Bien que la prévalence des mariages précoces diffère en fonction des régions, aucun État du continent n’est épargné par ce phénomène.
Ces mariages sont favorisés par la pauvreté et l’insécurité, mais sont aussi encouragés par des conceptions sexistes auxquelles s’ajoutent des pratiques traditionnelles néfastes, telles que la dot. Dans certains pays, les mariages précoces sont autorisés par la loi comme au Gabon où l’âge légal du mariage pour les filles est de 15 ans contre 18 ans pour les garçons. Certaines législations prévoient des exceptions pouvant justifier d’abaisser l’âge légal du mariage. Sur tout le continent, indépendamment de la loi, des filles sont mariées en vertu de la coutume ou au nom de la religion, parfois dès 11 ou 12 ans. En Tunisie, les mariages précoces sont même encouragés par la loi puisqu’une disposition du Code pénal particulièrement rétrograde et toujours en vigueur permet l’abandon des poursuites contre un violeur lorsque celui-ci épouse sa victime mineure. Cet article devrait être abrogé avec l’adoption de la nouvelle loi intégrale de lutte contre les violences à l’égard des femmes actuellement en cours d’examen.
Les mariages précoces ont des conséquences tragiques pour les victimes. Il favorisent les risques de violences, notamment sexuelles, qui elles-mêmes augmentent les risques d’infection par le VIH/Sida. Ces mariages favorisent également les risques de grossesses précoces qui ont des conséquences dramatiques, à la fois psychologiques et physiques, pouvant aller jusqu’à la mort. Enfin, les mariages précoces entravent l’accès à l’éducation des filles, et constituent donc un frein considérable à l’accès des femmes à l’emploi, au patrimoine, à leur autonomisation ainsi qu’à leur contribution au développement économique et politique de leur État et de l’ensemble du continent.
Madame la Présidente,
La FIDH salue l’initiative prise par la Commission africaine de développer des Lignes Directrices sur la lutte contre les violences sexuelles et leurs conséquences en Afrique. Cet outil africain, qui permettra de guider les États pour prévenir les violences sexuelles, y compris celles résultant de mariages précoces, de poursuivre les auteurs et de garantir aux victimes un accès effectif à une protection, à un soutien, à la justice et à la réparation, sera également important pour nous, représentant(e)s de la société civile, qui sommes engagé(e)s auprès des victimes.
La FIDH encourage la Commission africaine à poursuivre et renforcer son action contre les discriminations et les violences à l’égard des filles. À ce titre, nous l’appelons en particulier à :
- Continuer de promouvoir la ratification sans réserve des instruments régionaux et internationaux de protection des droits des femmes et des droits des enfants ainsi que leur intégration en droit interne et leur mise en œuvre effective ;
- Appeler les États à éliminer les dispositions législatives légalisant ou encourageant les mariages précoces et forcés, garantir la fixation de l’âge légal du mariage à 18 ans sans exception, ériger les mariages précoces et forcés en infraction pénale et supprimer les obstacles à l’accès des filles à l’avortement légal et sûr ;
- Appeler les États à mener des activités de sensibilisation et d’éducation sur les droits des filles, notamment sur les dispositions des instruments régionaux et internationaux relatives à l’âge du mariage, au consentement, à la nécessité de l’enregistrement des mariages et des naissances (pour prouver l’illégalité des mariages précoces), et aux conséquences des mariages précoces et forcés ;
- Appeler les États à renforcer le soutien et la prise en charge des filles victimes de mariages précoces et forcés, de violences sexuelles ou souhaitant recourir à un avortement notamment en facilitant leur accès à la justice, à une assistance juridique, sociale, à des soins médicaux y compris de santé sexuelle et reproductive, et psychologiques ;
- Appeler les États à s’assurer de l’efficacité des poursuites et de la condamnation des personnes responsables des mariages précoces et forcés, et de l’effectivité et de la rapidité des réparations fournies aux victimes.