BEIJING + 5 : Un bilan mitigé mais... "no going back"

02/09/2000
Communiqué

Cinq ans après la conférence mondiale de Beijing sur les femmes, tenue en septembre 1995, la 23ème session extraordinaire des Nations Unies, intitulée " Les Femmes en l’an 2000 : égalité entre les sexes, développement et paix pour le 21ème siècle ", s’est efforcée de faire le point sur les conditions de mise en œuvre du programme d’action, adopté à Beijing.

Cette session, prévue du 5 au 9 juin, a été prolongée d’une journée en raison, notamment, de l’âpreté de la controverse sur certains points.

Les 3000 ONG accréditées ont, au cours du forum des ONG (le 3 juin) et tout au long de la session, multiplié les initiatives et les interventions confirmant leur rôle d’aiguillon et insisté sur les risques réels de régression mais aussi sur les quelques acquis et progrès qui ont pu être enregistrés.

En attendant la " piqûre de rappel " indispensable de la convergence à New York, au mois d’octobre 2000, de la marche mondiale des femmes contre la pauvreté et la violence, le bilan de ces huit journées de débats foisonnants, de controverses, de polémiques et de marchandages, a été plutôt mitigé. Sur l’essentiel, cependant, c’est le mot d’ordre de ralliement des ONG " no going back " qui a fini par prévaloir en dépit de la sainte alliance des états conservateurs.

Les défis du programme d’action de Beijing

Adopté à l’unanimité des 189 Etats représentés, le programme d’action de Beijing avait pour objectif fondamental la réalisation du droit à l’égalité, au développement et à la paix pour les femmes.

Des actions concrètes avaient été préconisées dans " douze domaines critiques " représentatifs des obstacles principaux à la promotion des femmes, dont la pauvreté, l’éducation et formation, la santé, la violence envers les femmes, les conflits armés, structures de pouvoir et prise de décision, mécanismes institutionnels favorisant la promotion des droits fondamentaux des femmes, médias, environnement et protection de la petite fille. En dépit des efforts entrepris, les progrès accomplis en faveur de l’égalité entre les sexes sont demeurés lents et irréguliers. L’étude réalisée par l’ONU et publiée début juin 2000, sous le titre " The world’s women 2000 : trends and statistics. ", en donne une illustration tout à fait significative. Si les femmes ont, en moyenne, moins d’enfants, ont tendance à se marier plus tard, et sont plus scolarisées que par le passé, elles continuent de représenter 70% des pauvres, les 2/3 des 876 millions d’analphabètes de la planète, près de la moitié des personnes infectées par le virus du SIDA dans le monde, et elles font l’objet d’une sous représentation chronique aux niveaux politique, économique et social. De plus en plus présentes sur le marché du travail, les femmes continuent, cependant, d’assumer la plus grande part des responsabilités familiales. Elles sont, la plupart du temps, sous employées et, à travail égal, moins bien payées que les hommes. Enfin, les violences contre les femmes demeurent d’une actualité sans cesse renouvelée.

Cinq ans après Beijing, et le nouveau chapitre amorcé dans la lutte pour l’égalité par la systématisation de l’approche genre dans les stratégies nationales et internationales de développement, les constats qui sont ainsi fait donnent toute la mesure des résistances et des obstacles opposés à la réalisation des défis de Beijing.

Cette systématisation de l’approche "genre" s’est toutefois traduite par des acquis précieux sur le plan institutionnel dans le cadre de la coopération multilatérale initiée par les Nations Unies :

- création d’un mécanisme de la commission des droits de l’Homme concernant les violences faites aux femmes

- impulsion nouvelle donnée aux travaux du comité sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (le CEDAW issu de la Convention de 1979)

- ouverture, le 10 décembre 1999 à la ratification des Etats, d’un protocole facultatif permettant aux femmes victimes de discrimination fondée sur la différence de sexe de porter plainte devant une instance internationale.

Le processus préparatoire

A Beijing, il avait été prévu de charger la " commission de la condition de la femme " d’établir une évaluation annuelle et thématique des conditions de mise en œuvre du programme (plate-forme) d’action adopté à l’issue de la conférence mondiale.

La résolution 52/231 de l’Assemblée Générale de l’ONU a décidé, sur cette base, l’organisation d’une session spéciale d’évaluation intitulée " Beijing +5 ", la commission de la condition de la femme devant jouer le rôle de comité préparatoire à cette session spéciale.

Les gouvernements et les commissions régionales des Nations Unies ont ainsi été appelés à procéder à des évaluations des progrès accomplis dans les douze domaines critiques du programme d’action, et à proposer des actions supplémentaires et des initiatives pour renforcer les progrès accomplis et dépassés les obstacles rencontrés.

Dés l’amorce de ce processus préparatoire, deux questions ont été au cœur des débats.

La première a tourné autour des remises en cause implicites de certaines dispositions essentielles du programme de Beijing. La sainte alliance qui avait vu le jour en septembre 1994, au Caire, à l’occasion de la conférence mondiale sur la population et le développement et qui avait multiplié, à Beijing, les manœuvres dilatoires, a essayé de mettre à profit le processus préparatoire à Beijing +5 pour exprimer à nouveau, et de façon encore plus agressive, son opposition aux choix faits sur les plans de :

- l’égalité des droits dans la sphère familiale (Code du statut personnel)

- la santé reproductive (contraception et avortement)

- la reconnaissance de la violence domestique à l’égard des femmes

- la diversité sexuelle

Tout ceci au nom de l’alibi des spécificités culturelles et religieuses et dans une approche tendant à substituer la notion d’équité aux notions de droits humains et d’égalité.

A ce noyau dur, regroupant aussi bien le Vatican que les pays musulmans conservateurs, se sont ajoutées les réticences et les ambiguïtés des gouvernements opposés à la notion de droit au développement ou au droit des femmes à la terre et à l’héritage. Cette offensive n’a pas abouti aux résultats escomptés puisque l’ultime réunion en mars 2000 a clairement réaffirmé que le programme d’action de Beijing ne pouvait pas être renégocié.

A défaut d’une bataille frontale, la sainte alliance, usant et abusant de l’arme des " entrecrochets ", a opté pour la guérilla de procédure dont la 23ème assemblée générale extraordinaire a été le théâtre.

A ces thèmes de controverse se sont ajoutées les tensions concernant la lancinante question de la participation des ONG.

Cette question a été évoquée à l’occasion des réunions préparatoires générales gouvernementales et non gouvernementales qui se sont déroulées fin 1999 début 2000 [1].

Aux revendications légitimes des ONG, les Etats ont opposé une attitude le plus souvent négative qui a abouti, à New York, à un dispositif plutôt frustrant. Les 3000 ONG accréditées pouvaient déléguer un maximum de 3 membres pour chacune, dont 2 seulement pouvaient accéder à l’enceinte des Nation Unies. Cela a donc contraint le plus grand nombre des ONG à mettre au point un système de rotation.

Seules 50 représentantes d’ONG avaient la possibilité d’assister aux plénières de l’assemblée générale, munies d’un coupe fil spécial quotidiennement renouvelable !

L’accès aux groupes de travail, au nombre de 2 (réalisation, obstacles et défis actuels d’une part, et les nouvelles actions et initiatives d’autre part), était ouvert à l’ensemble des délégués ONG, mais à partir des balcons sans contact direct avec les représentants gouvernementaux. Enfin les groupes de contacts émanant des groupes de travail pour négocier les points les plus délicats et les plus controversés n’étaient pas ouverts aux ONG.

Ces conditions contraignantes ont compliqué la tâche des ONG dont l’action de " lobby " a pu toutefois se développer tout au long des travaux.

Parallèlement à ce dispositif toutes les initiatives de " sit-in " ou de rassemblement ont été interdites à l’intérieur de l’enceinte des Nations Unies et soumises à une autorisation de la mairie de New York à l’extérieur de cette enceinte.

Une activité foisonnante et des tractations laborieuses

Il y a eu, tout d’abord, la présentation des rapports alternatifs des ONG (au nombre desquels le rapport sur le monde arabe a été particulièrement contesté pour sa présentation inconditionnellement pro gouvernementale d’une évolution qualifiée par la consultante désignée à cette fin de " success story ", alors que nul n’ignore les difficultés auxquelles sont confrontées les femmes de la région notamment en matière de statut personnel.

Plus de 60 " panels " ont par ailleurs permis de débattre de l’ensemble des thèmes relatifs aux douze domaines critiques avec des témoignages poignants sur les violences subies particulièrement par les petites filles et le sort réservé aux femmes dans les zones de conflits armés.

Malgré le cloisonnement entre les délégués à l’Assemblée générale extraordinaire et les représentantes des ONG, ces dernières ont pu, par un actif travail de couloir, des publications de qualité et l’écho suscité par les panels, exercer une influence non négligeable sur le cours des débats et la formulation du document final.

Le document final en 4 parties, intitulé " nouvelles mesures et initiatives pour la mise en œuvre de la déclaration et du programme d’action de Beijing " a été adopté sans vote mais plusieurs Etats ont émis des réserves à la formulation de certaines parties du texte et ce en dépit d’un marathon de plus de 200 interventions à la tribune et de dizaines de réunions des groupes de travail et de contact.

Deux dates butoirs ont été adoptées : 2015 pour l’accès à toutes et à tous à l’éducation primaire ; 2005 pour l’élimination des lois discriminatoires qui devront être supprimées des législations nationales. Le document final prend acte des éléments de consensus concernant l’élimination de la pauvreté, l’éducation et la santé, les conséquences des conflits armés (viols, assassinats) sur le sort des femmes, leur place dans les médias et leur rôle dans la préservation de l’environnement.

Autres domaines qui ont suscité des débats conclus positivement : les mesures d’allégement de la dette, la création de fonds pour le développement social afin de réduire les effets indésirables des programmes d’ajustement structurel et de la libéralisation du commerce sur les femmes, ainsi que des mesures visant à limiter les effets sociaux de la mondialisation des économies (les fameux filets sociaux). Les pays développés sont plus particulièrement incités à atteindre l’objectif de 0,7% de leur PNB pour l’aide publique au développement et l’accent a été mis sur la mise en œuvre effective de l’initiative dite 20/20 [2]. De même la question du transfert des technologies vers le pays en développement et l’importance de la maîtrise des nouvelles technologies de l’information et de la communication ont été soulignés avec insistance.

Dans le domaine juridique les gouvernements sont encouragés à instaurer un contexte non discriminatoire, et de combler les lacunes juridiques qui font que certains droits des femmes ne sont pas protégés et que celles-ci ne disposent d’aucun recours contre les discriminations fondées sur le sexe.

Les gouvernements sont appelés à réformer leurs législations dans un sens égalitaire en ce qui concerne les biens fonciers, le droit de propriété, le droit à l’héritage, l’accès au crédit et les systèmes traditionnels d’épargne. Toutes les formes de violence à l’égard des femmes et des filles doivent par ailleurs être traitées comme des atteintes à l’ordre public par la loi. Dans ce contexte, des législations renforcées sont encouragées en ce qui concerne la violence au foyer, les mutilations génitales, les mariages forcés et les prétendus crimes d’honneur. Des mesures renforcées sont aussi recommandées en vue d’éliminer la traite des femmes et des filles.

L’ensemble de ces mesures, et en particulier la réduction croissante de la pauvreté, en général et des femmes en particulier, exigent une volonté politique et des moyens financiers qui ne sont guère acquis en dépit des professions de foi des gouvernements.

S’agissant de l’un des points les plus controversés, de longues négociations ont, en définitive, permis de parvenir à la formulation finale concernant les droits en matière de procréation.

Ceux-ci reposent sur la reconnaissance du droit fondamental de tous les couples et de toutes les personnes de décider librement , et de façon responsable, du nombre de leurs enfants et de l’espacement des naissances tout en étant informés sur les moyens de le faire. Le texte souligne en particulier que les femmes ont le droit d’être maîtresses de leur sexualité et de prendre librement des décisions dans ce domaine. En ce qui concerne l’avortement (qui ne peut être promu comme méthode de planification familiale) le document rappelle les programmes d’action du Caire et de Beijing, il invite les gouvernements et les OING intéressés à renforcer leur engagement en faveur de la santé de la femme, à traiter les conséquences des avortements pratiqués dans de mauvaises conditions de sécurité en tant que problématique majeure de santé publique et à réduire le recours à l’avortement en étendant et en améliorant les services de planification familiale.

Les fausses ONG

Pour l’application de l’ensemble des mesures préconisées les gouvernements sont encouragés à collaborer avec les ONG, le secteur privé, les collectivités locales et les chefs traditionnels et communautaires ainsi que tous les acteurs de la société civile. Cette référence et la reconnaissance du rôle crucial des ONG en tant que partenaires actifs des gouvernements et de l’ONU, dans la promotion de l’égalité entre les sexes, risque d’être un vœu pieux compte tenu des liens de vassalité constatés une fois de plus à New York entre les représentants officiels de certains gouvernements et les délégations pléthoriques de fausses ONG ou plutôt d’OVG (Organisations Véritablement Gouvernementales) chargées notamment de tâches d’information d’un type très particulier dans les " panels " et les réunions des ONG.

Au delà de l’analyse détaillée qu’il conviendra de faire du document final de New York, deux conclusions s’imposent.

La première est que, malgré la fermeté de l’offensive conservatrice, le programme d’action de Beijing n’a pas été négocié et que les traditions et mentalités patriarcales ont été clairement identifiées comme des obstacles majeurs à la promotion des droits des femmes.

La seconde concerne la nécessité de rappeler, pour reprendre le commentaire d’Agnès CALLAMARD [3], " dans les termes les plus farouches que rien ne peut justifier, la persistance des discriminations et des brutalités faites aux femmes, et de réaffirmer que l’abdication des responsabilités des Etats ne peut être tolérée. S’attaquer au système d’oppression, de discrimination et de persécution fondé sur le sexe coûte quelques sous, mais cela demande avant tout une volonté et celle-ci semble manquer bien plus que les budgets ! ".

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