Le rapport est intitulé « Le Kirghizistan à la croisée des chemins : resserrer ou desserrer l’étau autour des défenseurs des droits humains » (disponible en anglais). Celui ci résulte d’une mission d’observation effectuée en septembre 2015 sur la situation des défenseurs des droits humains dans le pays. Il cite de nombreux exemples de la pression croissante à laquelle ces derniers doivent faire face depuis quelques années, de la part de responsables gouvernementaux ainsi que de groupes nationalistes. Les différents types de harcèlement peuvent prendre la forme de perquisitions illégales de leur bureau, de surveillance et d’intimidation de la part des services de renseignements, de menaces d’application abusive de la législation pénale en matière de lutte contre l’extrémisme, d’agressions physiques et de campagnes de diffamation dans les médias.
Le rapport analyse l’ambivalence qui règne en matière de défense des droits humains au Kirghizistan. En effet, si plusieurs représentants du gouvernement rencontrés lors de la mission ont reconnu le rôle légitime, nécessaire et positif que jouent les défenseurs des droits humains dans la société et ont clairement fait part de leur volonté d’améliorer la situation en matière de droits humains dans le pays, des déclarations officielles et initiatives récentes semblent indiquer le contraire.
Bien que l’Observatoire salue la décision récente du Parlement de rejeter un projet de loi prenant pour cible les ONG et s’inspirant de la loi russe tristement célèbre sur les « agents étrangers », il déplore que cet épisode ait instauré une atmosphère de méfiance et d’animosité à l’égard de la société civile, et surtout envers les défenseurs des droits humains.
Par ailleurs, le rapport dénonce entre autres le projet de loi interdisant « l’incitation à des relations sexuelles non traditionnelles », qui est encore en débat au Parlement kirghize. En cas d’adoption, cette loi prévoirait des sanctions allant jusqu’à un an de prison pour toute déclaration, tout rassemblement ou toute action publique en faveur de l’égalité et des droits des minorités sexuelles, ce qui limiterait considérablement les libertés d’association, d’expression et de rassemblement pacifique. La loi étant rédigée de manière vague, elle aurait un impact sur les personnes travaillant dans le domaine de la santé sexuelle et des minorités sexuelles. Plusieurs lois actuelles ont eu un effet restrictif sur le contexte dans lequel travaille la société civile, à l’instar de la loi sur la lutte contre l’extrémisme et de la loi sur les fausses accusations visant à criminaliser la diffamation.
L’Observatoire s’inquiète également des déclarations faites à l’occasion de la Fête des Mères par le Président kirghize Almazbek Atambayev. Le 14 mai 2016, le Président a mentionné le nom des dirigeantes des organisations de défense des droits humains « Bir Duino Kyrgyzstan » et « Kylym Shamy », à savoir Tolekan Ismailova et Aziza Abdirasulova, en évoquant un prétendu soulèvement contre le gouvernement. Il les a accusées de porter atteinte à la stabilité de l’état avec l’aide de fonds étrangers.
« Actuellement, la société civile ne sait plus que faire. On ne sait pas ce qui va se passer à l’avenir. Il est temps que les autorités décident ce qu’elles veulent vraiment pour le pays : une véritable démocratie, fondée sur le respect des droits humains, ou bien un retour aux années sombres de notre pays. »
L’Observatoire demande instamment aux autorités kirghizes qu’elles garantissent aux défenseurs de pouvoir exercer leur activités légitimes en toutes circonstances sans entrave et sans crainte de représailles.
Le rapport souligne en particulier la situation du défenseur des droits humains Azimjan Askarov, directeur de l’ONG « Vosduh », qui avait décrit la violence policière et les conditions de détention dans le sud du Kirghizistan avant d’être lui-même incarcéré lors des affrontements ethniques de 2010. Il a été injustement condamné à la réclusion à perpétuité lors d’un procès qui n’a pas respecté les normes internationales, comme l’a confirmé le Comité des droits de l’Homme des Nations unies (CCPR) en avril 2016.
La situation d’Azimjan Askarov est particulièrement grave si on la compare à celle des autres défenseurs des droits humains dans le pays. Cependant, elle reflète bien la répression à laquelle font face celles et ceux qui s’attaquent à des questions considérées comme trop sensibles. Au cours de sa mission, l’Observatoire s’est vu refuser le droit de rendre visite à Azimjan Askarov en prison.
« Le Kirghizstan a l’obligation légale d’appliquer les décisions du Comité des droits de l’Homme des Nations unies. Il doit libérer sur le champ le défenseur des droits humains Azimjan Askarov et annuler sa condamnation. Le non respect de ses obligations internationales jetterait le discrédit sur le Kighizistan. »
Sous couvert de lutter contre « la haine ethnique » et « l’extrémisme », plusieurs ONG et leur personnel ont été l’objet de descentes de police et de poursuites injustifiées. Comme Azimjan Askarov, leur travail consistait à défendre les droits des minorités ethniques, dans le sud du Kirghizistan. La persécution des avocats qui défendent les droits des Ouzbeks au Kirghizistan n’est pas limitée aux perquisitions et aux confiscations de documents. Dans certain cas, comme reflété dans le rapport, les avocats ont été agressés dans l’enceinte d’un tribunal, et même dans une salle d’audience.
Le Kirghizistan a ratifié les principaux instruments de l’ONU en matière de droits humains. Les autorités doivent désormais les appliquer et notamment garantir un environnement favorable et sûr à tous les défenseurs des droits humains.
L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme (l’Obervatoire) a été créé en 1997 par la FIDH et l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT). Ce programme vise à prévenir la répression contre les défenseurs des droits de l’homme ou à y remédier. |