Intervention lors de la 59ème session ordinaire de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples

31/10/2016
Evénement
en fr

INTERVENTION ORALE - L’OBSERVATOIRE
COMMISSION AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
59ème session ordinaire
Banjul, Gambie
21 octobre - 4 novembre 2016

Contribution de la FIDH et de l’OMCT

Dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme

Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les commissaires, Mesdames et Messieurs les délégués,

La FIDH et l’OMCT, dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, remercie la Commission africaine pour cette occasion de soulever certaines des questions clés eu égard à la situation des défenseurs des droits de l’Homme en Afrique.

Alors que les États ont l’obligation de protéger les défenseurs des droits de l’Homme et de garantir leur liberté d’action, les législations drastiques, menaces, actes de violence et autres campagnes de diffamation prolifèrent dans un cadre toujours plus hostile à leurs activités.

Sur l’ensemble du continent africain, l’espace pour la société civile et les défenseurs des droits de l’Homme continue de se rétrécir, en raison de quatre défis majeurs qui sont intimement liés : la répression des voix dissidentes et leur criminalisation, particulièrement dans les contextes électoraux ; la pression exercée sur les défenseurs des droits économiques, sociaux et culturels ; les restrictions de plus en plus nombreuses sur les libertés d’association, de rassemblement et d’expression ; ainsi que l’impunité rampante suite aux attaques physiques contre les défenseurs.

1. Dans de nombreux pays africains, les défenseurs sont criminalisés en raison de leurs activités pacifiques, notamment dans les contextes électoraux.

Ainsi, la situation au Burundi ne cesse de se détériorer depuis que le Président Pierre Nkurunziza a décidé de briguer un troisième mandat en avril 2015. Les autorités ont réduit au silence les médias indépendants, et des centaines de défenseurs des droits de l’Homme ont fui le pays par crainte de représailles par les autorités burundaises.

L’Observatoire reste particulièrement préoccupé par la disparition forcée de Mme Marie-Claudette Kwizera, trésorière de la Ligue Iteka, depuis son enlèvement dans un véhicule du Service national de renseignement le 10 décembre 2015. Depuis cette date, les autorités burundaises refusent de communiquer toute information sur son sort ou son lieu de détention.

Le même sort semble réservé à M. Jean Bigirimana arrêté le 22 juillet 2016, sans mandat, par des officiers du SNR.

En Angola, malgré la libération de M. José Marcos Mavungo - et de dix-sept activistes pro-démocratie, l’Observatoire déplore la poursuite du harcèlement judiciaire subi par les 17 en raison de leurs activités de défense des droits humains.

En République démocratique du Congo (RDC), si l’Observatoire se réjouit de la libération longuement attendue de M. Christopher Ngoyi Mutamba, membre de la Synergie Congo culture et développement, et de MM. Yves Makwambala et Fred Bauma, membres de l’initiative citoyenne Filimbi, il est à déplorer que les charges pesant à l’encontre de ces deux derniers et visant à sanctionner leurs activités de défense du pluralisme démocratique n’aient pas été abandonnées. De même, M. Jean de Dieu Kilima, coordinateur du “Front Citoyen 2016”, reste la cible d’un harcèlement judiciaire sanctionnant ses activités en faveur de l’engagement des jeunes dans les processus démocratiques et électoraux.

Au cours des derniers mois, les menaces et actes de harcèlement ont également frappé le pouvoir judiciaire, alors qu’en juillet 2016, la juge Chantal Ramazani Wazuri, Présidente du tribunal de paix de Lubumbashi, s’est vue contrainte de fuir le pays après avoir été forcée de signer un jugement visant à condamner M. Moïse Katumbi Chapwe, opposant déclaré au président Kabila en vue des prochaines élections présidentielles, et après avoir dénoncé publiquement l’extorsion de sa signature ainsi que l’ingérence des autorités exécutives dans les affaires judiciaires.

2. Sur l’ensemble du continent africain, nos organisations restent également préoccupées par l’ampleur des attaques contre les défenseurs des droits économiques, sociaux et culturels

Au Cameroun, neuf membres de l’Esu Youth Development Association (EYDA), MM. Abue Philip Kpwe, Divine Biame, Cyprian Azong, Bernard Fuh, Redemption Godlove, Ephraim Kagha Mbong, Emmanuel Wung, Ivo Meh et Williams Meh, sont la cible d’un harcèlement judiciaire continu depuis plusieurs mois, qui pourrait se solder par une peine de 10 ou 20 ans de prison visant à sanctionner leur opposition pacifique à l’accaparement des terres de la communauté d’Esu par un investisseur privé.

En Sierra Leone, 11 membres ou sympathisants de l’association MALOA restent dans l’attente d’une audience le 28 octobre prochain pour « destruction de plants » et « port d’arme », en lien avec un incident armé survenu le 14 janvier 2015 dans le village de Bamba, alors même que ceux-ci n’étaient pas présents sur les lieux.

En Mauritanie, 13 membres de membres de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), MM. Moussa Biram, Adballahi Abou Diop, Amadou Tidjane Diop, Adballahi Matallah Seck, Hamady Lehbouss, Balla Touré, Ousmane Anne, Jemal Samba Beylil, Mohamed Daty, Ahmed Mohamed Jarroullah, Ousmane Lo, Khatri Rahel Mbareck, et Ahmed Hamdy Hamar Vall, ont été condamnés le 13 août 2016 à des peines de trois à 15 ans de prison ferme, et restent actuellement détenus à Zouérat dans l’attente de leur procès en appel. Cette détention à Zouérat démontre la volonté des autorités d’isoler les détenus de leurs familles et avocats, alors que le bagne est situé dans une zone désertique, difficile d’accès et particulièrement dangereuse. L’Observatoire s’inquiète par ailleurs de l’état de santé de certains d’entre eux suite aux tortures et mauvais traitements subis en détention, et alors que la prison et la ville de Zouérat ne possèdent pas les infrastructures médicales nécessaires à une prise en charge appropriée.

3. Dans certains pays africains, les autorités continuent par ailleurs de restreindre la liberté d’association, de rassemblement et d’expression

L’illustration la plus récente de cette tendance de répression a eu lieu ces tous derniers jours au Burundi, alors que le 24 octobre 2016, le Ministère de l’Intérieur et de la Formation patriotique a publié une ordonnance ministérielle portant suspension provisoire de certaines associations sans but lucratif, et notamment SOS-Torture/Burundi, la Ligue Burundaise des Droits de l’Homme « ITEKA », la Coalition de la Société Civile pour le Monitoring Electorale (COSOME), la Coalition Burundaise pour la CPI (CB-CPI) et l’Union Burundaise des Journalistes (UBJ). Une semaine auparavant, le 19 octobre 2016, ce même ministère avait par ailleurs rendu une ordonnance de même nature, actant la radiation définitive de cinq autres ONG que sont le Forum pour le renforcement de la société civile (FORSC) du Forum pour la conscience et le développement (FOCODE), l’Action chrétienne pour l’abolition de la torture (ACAT), l’Association burundaise pour la protection des droits humains et des personnes détenues (APRODH) et le Réseau des citoyens probes (RCP). Ces deux ordonnances ne sont que les dernières illustrations d’une longue série d’atteintes à la liberté d’expression et d’association visant les défenseurs burundais, et s’inscrit dans une campagne répressive que le gouvernement burundais mène sans relâche contre sa société civile depuis un an et demi.

L’Observatoire est en outre extrêmement préoccupé par la répression sans précédent qui a ciblé ces derniers mois les organisations et les défenseurs des droits de l’Homme en Égypte, où des dizaines d’organisations et de défenseurs feraient l’objet d’enquêtes dans le cadre de l’« affaire 173 sur les financements étrangers », ouverte depuis près de cinq ans pour enquêter sur le financement et l’enregistrement des organisations indépendantes de défense des droits humains. Dans ce contexte, le 17 septembre dernier, les comptes bancaires de MM. Gamal Eid, directeur de l’Arabic Network for Human Rights Information (ANHRI), Hossam Bahgat, fondateur de l’Egyptian Initiative for Personal Rights (EIPR), Abdel Hafiz Tayel, directeur exécutif du Center for the Right to Education (CRE), Moustafa El Hassan, directeur du Hisham Mubarak Law Center (HMLC), et Bahey Eldin Hassan, directeur du Cairo Institute for Human Rights Studies (CIHRS), ainsi que ceux du CRE, du CIHRS et du HMLC, ont été gelés par décision de justice. Par ailleurs, les autorités égyptiennes prépareraient actuellement un nouveau projet de loi sur les ONG qui, en cas d’adoption, conduirait à l’éradication de tout travail indépendant en faveur des droits humains dans le pays.

En Éthiopie, suite à l’adoption ces dernières années d’une série de lois à l’encontre des médias et de la société civile qui ont rendu le travail indépendant de défense des droits de l’Homme dans le pays presque impossible, trois défenseurs des droits humains, M. Tesfa Burayu, Président du Comité régional ouest éthiopien du Conseil des droits de l’Homme (HRCO) ainsi que MM. Abebe Wakene et Tesfaye Takele, ont été arrêtés en août dernier, en lien notamment avec les manifestations de résistance pacifique à l’expansion de la ville d’Addis-Abeba dans la région d’Oromia. Si tous trois ont été libérés quelques jours plus tard, M. Bulti Tesema, membre d’HRCO arrêté le 8 juillet, reste détenu à ce jour, sans accès à sa famille ou à son avocat.

Au Rwanda, où les organisations indépendantes de la société civile ont été la cible ces dernières années d’un noyautage orchestré par les autorités, M.Epimack Kwokwo, ancien secrétaire exécutif de la Ligue des droits de la personne dans la région des Grands Lacs (LDGL) a été déporté le 28 mai dernier vers la RDC, après avoir été déclaré persona non grata sans notification préalable par le gouvernement.

Au Sudan, l’Observatoire est consterné par le harcèlement judiciaire continu de M. Al Hassan Kheiry, Mme Arwa Elrabie, Mme Imani-Leyla Raye, MM. Khalafalla Al-Afif Mukhtar, Midhat A Hamdan membres du Centre for Training and Human Development in Sudan (TRACKs) et de M. Mustafa Adam, directeur de la Zarqa Organisation for Rural Development (ZORD), tous poursuivis sous des motifs malicieux en raison de leur travail de défenseurs des droits humains, et confrontés aujourd’hui à la peine capitale.

En Ouganda, les défenseurs des personnes LGBTI continuent par ailleurs d’opérer dans un environnement hostile, à l’instar de Mme Clare Byarugaba (Chapter Four Uganda), de M. Pepe Julian Onziema et de M. Franck Mugisha (Sexual Minorities Uganda – SMUG), brièvement arrêtés à l’occasion de célébration de la Pride LGBTI à Kampala, et victimes de mauvais traitements au cours de leur détention.

Toujours en Ouganda, le 22 mai 2016, les locaux du Human Rights Awareness and Promotion Forum (HRAPF) ont été la cible d’un raid lors duquel un garde de sécurité de l’organisation a été tué, et qui s’est soldé par le pillage des bureaux des directeur et directeur exécutif, MM. Adrian Jjuuko et Edward Mwebaza.

Enfin, l’Observatoire tient à dénoncer le harcèlement judiciaire, en Tunisie, de la blogueuse Lina Ben Mhenni, brièvement arrêtée le 3 août dernier, et qui reste poursuivie en lien avec des faits de violence policière remontant à 2014, qu’elle a elle-même subis et dénoncés en déposant plainte auprès des autorités concernées.

4. L’Observatoire s’alarme enfin du contexte d’impunité prévalant dans certains pays où des défenseurs sont victimes d’assassinats ou de tentatives d’assassinats

Ainsi, au Kenya, le 1er juillet 2016, les corps torturés de l’avocat des droits humains Me Willie Kimani, de sont client M. Josephat Mwenda, et de leur chauffeur, ont été retrouvés dans la rivière de l’Ol-Donyo Sabuk dans la région de Machakos. Quatre accusés dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat doivent comparaître le 31 octobre prochain, et pourraient bénéficier d’une liberté sous caution.

Au Lesotho, l’Observatoire exprime sa préoccupation quant à la tentative d’assassinat, le 9 juillet 2016, du journaliste zimbabwéen M. Lloyd Mutungamiri, rédacteur-en-chef du Lesotho Times, peu après qu’il eut publié un article accusant le Lieutenant General Tlali Kamoli, actuel commandant de la Lesotho Defence Force (LDF), d’une série de violations des droits humains.

5. Recommandations :

1) Au vu de ces éléments, l’Observatoire rappelle aux États parties leur obligation de se conformer à toutes les dispositions de la Charte africaine, en particulier celles relatives à la protection des défenseurs. A cet égard, les États devraient de manière immédiate et inconditionnelle :

 Mettre en œuvre toutes les dispositions de la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme ;

 Libérer à cet effet tous les défenseurs qui sont arbitrairement détenus en raison de leurs activités de promotion et de protection des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ;

 Développer des mesures différenciées pour la protection des groupes les plus vulnérables de défenseurs tels que les défenseurs du droit à la terre et à l’environnement, les défenseurs travaillant dans les zones rurales, les femme défenseures ou les défenseurs des droits des LGBTI ;

 Mettre un terme à tous les actes de harcèlement à l’encontre des défenseurs ;

 Ne pas adopter, abroger et réviser toute disposition ou tout projet de loi non conforme aux normes internationales et africaines relatives aux libertés d’expression, de réunion pacifique et d’association ;

 Adresser une invitation permanente aux Rapporteurs spéciaux de la CADHP et des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme et faciliter leurs visites.

2) L’Observatoire appelle également la CADHP à :

 Reconnaître les activités légitimes des défenseurs, ainsi que la nécessité de les protéger contre les actes de harcèlement et attaques ;

 De manière systématique, soulever la question de la situation des défenseurs, et dénoncer et condamner les violations auxquelles ils sont confrontés lors de l’examen des rapports périodique des États parties à la CADHP et à l’occasion de toute visite dans les États parties ;

 Dénoncer l’impunité qui prévaut à l’égard de ces violations, et appeler les États à mener des enquêtes promptes, impartiales et transparentes, et à sanctionner tous les responsables ;

 Renforcer sa capacité à répondre aux situations urgentes auxquelles les défenseurs sont confrontés ;

 Garantir la mise en œuvre effective de ses résolutions, de ses conclusions et de ses décisions sur les communications ;

 Poursuivre et renforcer la collaboration avec le Rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des défenseurs, ainsi qu’avec les autres mécanismes régionaux dédiés à la protection des défenseurs des droits de l’Homme, notamment dans le cadre du processus dit « inter-mécanismes », piloté et coordonné par l’Observatoire.

Je vous remercie de votre attention.

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