Seize organisations de défense des droits humains ont appelé aujourd’hui les autorités indiennes à cesser immédiatement toute attaque contre les organisations et les défenseur·es des droits humains du Jammu-et-Cachemire, en particulier Khurram Parvez, Irfan Mehraj et la Coalition de la société civile du Jammu-et-Cachemire (JKCCS). Khurram Parvez est détenu arbitrairement depuis le 22 novembre 2021 en représailles à son travail de documentation des violations des droits humains et de plaidoyer au Jammu-et-Cachemire. Nous exprimons aujourd’hui notre profonde inquiétude au vu des nouvelles procédures pénales ouvertes en mars 2023 contre Khurram Parvez et Irfan Mehraj et des représailles continues contre la JKCCS.
La JKCCS est la principale organisation de défense des droits humains au Jammu-et-Cachemire. Depuis sa création en 2000, elle a mené des enquêtes novatrices sur les droits humains, publié des dizaines de rapports rigoureusement documentés, a mené des activités de contentieux et, par le biais d’une mobilisation non-violente et d’activités de plaidoyer, a réussi à porter la voix des victimes de graves violations des droits au Jammu-et-Cachemire qui n’auraient pas été entendues autrement. Les recherches de l’organisation sont largement reconnues par les universitaires, la société civile internationale et les expert·es en droits humains des Nations unies, qui ont cité les travaux de la JKCCS dans leurs propres rapports sur la situation au Jammu-et-Cachemire. Nos organisations ont également cité et référencé le travail essentiel et de grande qualité de la JKCCS.
Khurram Parvez est le coordinateur de programme de la JKCCS et le président de la Fédération asiatique contre les disparitions forcées (AFAD). En février 2023, M. Parvez a reçu le prestigieux prix Martin Ennals récompensant chaque année les défenseur·es des droits humains. Irfan Mehraj a quant à lui travaillé en tant que chercheur pour la JKCCS. En octobre 2020, les bureaux de la Coalition et le domicile de Khurram Parvez ont été perquisitionnés par l’Agence nationale d’investigation (NIA). Des appareils et des documents, y compris son passeport, ont été saisis. Les autorités indiennes, en criminalisant le travail effectué, ont empêché la JKCCS de poursuivre ses activités. Khurram Parvez fait l’objet de graves accusations de terrorisme portées par la NIA en vertu de la loi (de prévention) des activités illégales (UAPA), une loi antiterroriste violant les normes internationales et systématiquement utilisée par les autorités indiennes pour neutraliser et persécuter les défenseur·es des droits humains et autres personnes dissidentes. La rapporteure spéciale des Nations unies sur la situation des défenseur·es des droits humains, le rapporteur spécial sur les droits humains et la lutte contre le terrorisme et bien d’autres ont déjà fait part de leurs vives inquiétudes concernant l’amendement de 2019 de l’UAPA, en raison de la menace qu’il fait peser sur les défenseur·es et le droit à la liberté d’expression.
Outre les charges retenues contre Khurram en vertu de l’UAPA, la NIA a déposé en octobre 2020 une autre plainte visant spécifiquement la JKCCS et toute personne associée à l’organisation. Le 20 mars 2023, la NIA a arrêté Irfan Mehraj au motif de, comme elle l’a déclaré publiquement, son association étroite avec Khurram Parvez et la JKCCS, cette dernière « finançant des activités terroristes dans la vallée et propageant un programme sécessionniste sous couvert de défense des droits humains ». Les deux défenseurs des droits humains sont toujours détenus dans la prison de haute sécurité de Rohini, à New Delhi. Khurram Parvez s’est vu refuser sa mise en liberté sous caution, malgré de nombreux appels à sa libération.
Au lieu de répondre à ses obligations juridiques internationales et de protéger les droits humains, les autorités indiennes ont explicitement criminalisé le travail critique de la JKCCS, la décrivant comme une organisation qui publie « des documents antinationaux et incriminants pour susciter la haine, le mépris et la désaffection à l’égard du gouvernement indien ». Les autorités indiennes ont perquisitionné à plusieurs reprises le domicile et le bureau de Khurram Parvez. Son arrestation et celle d’Irfan Mehraj mettent en évidence la détermination des autorités indiennes à criminaliser et à délégitimer les défenseur·es des droits humains, ainsi qu’à neutraliser et à punir ceux qui, comme Khurram Parvez et Irfan Mehraj, travaillent dans des circonstances extrêmement difficiles et au prix de lourdes pertes personnelles. Le 24 mars 2023, la rapporteuse spéciale des Nations unies sur la situation des défenseur·es des droits humains, Mary Lawlor, a exprimé son inquiétude quant au ciblage de la JKCCS et a déclaré que l’organisation « effectue un travail de vigilance essentiel. Ses recherches et ses analyses sur les violations des droits humains sont extrêmement précieuses, notamment pour les organisations internationales qui cherchent à faire en sorte que les auteurs d’abus répondent de leurs actes et que ceux-ci ne se reproduisent pas ».
Par ailleurs, les menaces à l’encontre de la JKCCS ne font que croître. Au début du mois de mars 2023, une semaine avant l’arrestation d’Irfan Mehraj, la NIA a interrogé Khurram Parvez pendant deux jours dans l’enceinte de la prison de Rohini et l’a menacé, ses collègues et lui, d’une nouvelle inculpation. Dans les conclusions qu’elle a présentées à la Patiala House Court le 22 mars, lorsque Khurram Parvez et Irfan Mehraj ont été placés en détention provisoire, la NIA a indiqué que d’autres personnes étaient susceptibles d’être arrêtées dans le cadre de la même affaire.
Nous demandons aux autorités indiennes de libérer immédiatement et sans condition Khurram Parvez et Irfan Mehraj, d’abandonner toutes les charges à leur encontre et de mettre fin à la persécution et au ciblage des défenseur·es des droits humains au Jammu-et-Cachemire. Les représailles contre les défenseur·es des droits humains au Jammu-et-Cachemire, y compris les organisations de défense des droits humains et les journalistes indépendant·es, visent à maintenir un silence forcé et à faciliter le maintien de l’impunité pour les violations commises dans une région intensément militarisée que le gouvernement indien a rendue inaccessible à la communauté internationale et où de graves violations des droits humains sont commises depuis longtemps, et ce, de manière continue. Le maintien en détention arbitraire de Khurram Parvez et d’Irfan Mehraj, ainsi que l’utilisation abusive de la législation antiterroriste et des lois connexes pour cibler les défenseur·es des droits humains, constituent une violation des obligations internationales de l’Inde et renforcent les inquiétudes quant à la détérioration de la situation des droits humains dans ce pays. L’Inde se doit de protéger les droits humains et non persécuter celles et ceux qui les défendent. Les autorités indiennes doivent immédiatement respecter leurs obligations juridiques internationales, permettre à la société civile d’opérer librement au Jammu-et-Cachemire et en Inde, et cesser de faire obstruction à la société civile internationale et aux organisations intergouvernementales, y compris aux rapporteur·es spéciaux·ales des Nations unies et aux autres mécanismes de défense des droits humains, qui devraient avoir un accès illimité au Jammu-et-Cachemire et aux détenu·es cachemirien·nes.