La police a procédé à l’arrestation de Wazizi, un journaliste anglophone âgé de 36 ans de la chaîne privée Chillen Muzik and TV (CMTV), le 2 août 2019 à Buea, dans la région du Sud-Ouest, et l’a transféré le 7 août dans une installation militaire de la même ville. Les 2, 3 et 4 juin, des médias camerounais et internationaux, ainsi que Reporters sans frontières et le Syndicat national des journalistes camerounais ont dit avoir appris que Wazizi était mort en détention après avoir été torturé, à une date indéterminée.
« Nous sommes toujours choqués que les autorités aient fait disparaître Wazizi et dissimulé sa mort durant 10 mois, mais nous saluons l’ouverture d’une enquête et appelons le gouvernement du Cameroun à rendre publiques ses conclusions et à veiller à ce que tous les responsables soient traduits en justice », a déclaré Felix Agbor Nkongho, également connu sous le nom d’Agbor-Balla, Président du Centre pour les droits de l’homme et la démocratie en Afrique (CHRDA).
Le transfert de Wazizi le 7 août dans une installation militaire était la dernière fois qu’un membre de sa famille, des amis, des collègues ou des avocats l’ont vu ou ont obtenu des autorités la moindre information sur son sort, ce qui a fait de sa détention continue une disparition forcée. Accusé de « collaboration avec des séparatistes », il n’a été inculpé d’aucune infraction avant sa disparition selon ses avocats.
Le 5 juin, l’ambassadeur de France au Cameroun a déclaré aux médias que le président Paul Biya lui avait assuré qu’une enquête serait ouverte sur la mort de Wazizi. La déclaration a été faite le même jour que celle du porte-parole de l’armée, le colonel Serge Cyrille Atonfack, qui a annoncé que Wazizi était décédé d’une grave sepsis le 17 août 2019 à l’hôpital militaire de Yaoundé, la capitale du Cameroun. Aucune autopsie n’a été réalisée et on ne sait pas sur quelle base Atonfack a fait cette déclaration.
Les autorités camerounaises n’ont fait aucune déclaration officielle sur la mort de Wazizi et, jusqu’au 5 juin, n’ont pas répondu aux multiples demandes d’informations déposées par ses avocats, des organisations telles que le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), et des journalistes de Radio France Internationale.
« Il a fallu au gouvernement dix mois après la disparition forcée de Wazizi pour reconnaître sa mort en détention, et les autorités ne l’ont fait qu’à la suite de fortes pressions nationales et internationales », a déclaré Cyrille Bechon, directrice exécutive de l’organisation Nouveaux Droits de l’Homme-Cameroun. « Les autorités camerounaises étaient responsables de sa vie et de sa sécurité pendant sa détention et doivent fournir un compte rendu complet des circonstances de sa détention et de sa mort. »
Atonfack a déclaré que la famille de Wazizi avait été informée de son décès, ce que les membres de la famille réfutent, affirmant qu’ils n’en avaient jamais été notifiés et étaient en quête d’informations sur son sort depuis son arrestation. Le 13 août 2019, les avocats de Wazizi ont déposé une demande d’habeas corpus devant le président de la haute cour de la division de Fako, Buea, dans la région du Sud-Ouest. La demande avait été rejetée pour des raisons techniques. Une autre demande habeas corpus avait ensuite été déposée le 13 novembre, et même à ce stade, le gouvernement n’avait pas révélé qu’il était mort.
Au moment d’annoncer sa mort, Atonfack a également soutenu que Wazizi était actif au sein de l’un des nombreux groupes séparatistes opérant dans la région du Sud-Ouest. Ses avocats ont confirmé qu’aucune preuve n’avait été produite à l’appui de ces allégations.
« Si une personne est arrêtée en vertu de la loi antiterroriste, les garanties d’une procédure régulière doivent être respectées et des preuves présentées au tribunal », a déclaré Emmanuel Nkea, un avocat de la défense. « Mais cela n’a jamais été le cas et le gouvernement tente de dissimuler les faits ».
Les circonstances de la mort de Wazizi soulignent les dangers auxquels sont confrontés les journalistes camerounais, en particulier ceux qui dénoncent et enquêtent sur la crise qui secoue les régions anglophones du pays. Les organisations ont documenté à plusieurs reprises la vulnérabilité des journalistes au Cameroun face au harcèlement, à l’intimidation, aux menaces, à la torture, aux arrestations et aux détentions arbitraires par les forces de sécurité et autorités nationales.
En vertu des droits national et international des droits humains, les autorités camerounaises ont l’obligation d’établir les responsabilités pour chaque décès survenu en détention et doivent mener une enquête efficace, approfondie et indépendante sur la disparition forcée et la mort de Wazizi. L’enquête devrait être en mesure d’établir les faits entourant sa disparition et sa mort, notamment s’il est décédé des suites de torture ou d’autres mauvais traitements subis en détention, et identifier tous les responsables en vue de les traduire en justice. Le fait de ne pas enquêter et de poursuivre les responsables violerait les obligations du Cameroun de protéger les personnes contre la détention arbitraire et la privation de vie et de fournir un recours efficace, a déclaré la coalition.
La situation au Cameroun doit être abordée au Conseil de sécurité de l’ONU le 12 juin, dans le cadre de l’examen des activités de l’UNOCA. Les partenaires internationaux du Cameroun et les Nations Unies devraient exprimer publiquement leurs préoccupations au sujet des graves violations des droits humains commises au Cameroun, notamment contre les journalistes, les opposants politiques et les défenseurs des droits humains. Le Conseil devrait également prendre la mesure attendue de longue date d’ajouter officiellement la situation au Cameroun à son ordre du jour afin de pouvoir la suivre de plus près.
« S’agissent du respect des droits humains, les membres du Conseil de sécurité de l’ONU et les partenaires internationaux du Cameroun devraient prendre position et s’exprimer », a déclaré Maximilienne Ngo Mbe, directrice exécutive du Réseau des défenseurs des droits de l’homme de l’Afrique centrale (REDHAC). « Ils devraient exiger des comptes pour la mort de Wazizi. Ouvrir une enquête approfondie, impartiale et transparente sur la mort de Wazizi est la moindre des choses que le gouvernement camerounais pourrait faire pour démontrer que son engagement à protéger la fragile liberté des médias du pays n’est pas vaine. »