Discours d’ouverture de la session de travail n°3 relative aux libertés fondamentales

par Souhayr Belhassen, au nom de l’Observatoire pour la Protection des Défenseurs

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les délégués,

Ces derniers mois, les agressions physiques et le harcèlement judiciaire contre les défenseurs des droits de l’Homme se sont multipliées à une fréquence très alarmante dans un grand nombre d’Etats participants de l’OSCE.

Je reviens tout juste de Moscou, où j’ai observé vendredi la première audience publique du procès que le président Kadyrov a intenté au mois d’août contre Oleg Orlov, dirigeant du centre des droits de l’Homme Memorial. Un procès pour diffamation, une parodie de la justice en Tchétchénie qui en dit long sur les conditions de travail des défenseurs dans cette république et plus généralement dans le Caucase du Nord.

Un procès qui en dit long également sur le deux poids deux mesures de la justice russe : lorsqu’il s’agit de poursuivre des défenseurs des droits de l’Homme, le parquet sait en effet se montrer actif. Le contraste avec la lenteur des procédures judiciaire ouvertes suite aux attaques ou aux menaces à l’encontre de défenseurs est saisissant.

Ces derniers mois, plusieurs défenseurs ont subi des attaques, parfois mortelles. Mais il a souvent été impossible de mener une enquête efficace et d’identifier les auteurs.

Lorsque l’on parle d’ assassinat et d’ impunité ... un nom me vient aux lèvres : Natalia Estemirova, enlevée puis assassinée le 15 juillet dernier. Natalia Estemirova travaillait pour Memorial en Tchétchénie depuis l’année 2000.

Ici même, le 10 octobre 2006, la FIDH, présidant une telle assemblée, vous avait proposé une minute de silence en l’honneur de Anna Politkovskaya, assassinée le 7 octobre. Trois ans plus tard, c’est avec une profonde émotion que je vous demande d’honorer la mémoire et le courage de Natalia Estemirova, en marquant une minute de silence...

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Je vous remercie.

Depuis de longues années et jusqu’à son assassinat, Natalia Estemirova travaillait sur des cas de disparitions et d’exécutions arbitraires, et recueillait et dénonçait les violations des droits de l’Homme dans cette République. Elle était l’une des rares à contredire, arguments à l’appui et en toute honnêteté, le discours triomphaliste des autorités tchétchènes et russes sur la reconstruction et la "pacification" de la république.

Avec Natalia, nous perdons une partenaire et une amie de longue date. C’était une femme de courage à la détermination exemplaire.

Quelle tristesse, et quelle déception d’avoir dû vous proposer aujourd’hui d’honorer ainsi sa mémoire. La force protectrice des mécanismes de la Dimension Humaine de l’OSCE aurait-elle tant faibli ? Devons-nous nous préparer à une nouvelle minute de silence l’année prochaine à la mémoire des défenseurs des droits de l’Homme ?

Poser cette question en cette année de célébration des 20 ans de la chute du mur de Berlin, et bientôt des 10 ans des instruments sur la Dimension Humaine, est un triste bilan.

Mais le tragique assassinat de Natalia n’est malheureusement pas un événement isolé.

En août dernier, Zarema Sadulayeva et Alik Dzhabrailov, de l’ONG "Sauvons la Génération", ont subi le même sort : kidnapping, assassinat, impunité.

Et puis rappelez-vous : dans les premiers jours de l’année 2009, un autre coup de massue avait été porté à la communauté des droits de l’Homme après que Stanislav Markelov, avocat russe respecté de tous pour son travail contre l’impunité et l’arbitraire en Russie et Anastasia Baburova, collaboratrice de la Novaya Gazeta, aient été abattus en pleine rue à Moscou.

Là encore, où en sont les enquêtes ? Les responsables de ces crimes ont-ils été identifiés ? Malgré nos appels à lutter contre l’impunité, ce fléau persiste et se perpétue.

Ce n’est qu’en luttant fermement contre toute menace et tout acte de harcèlement que l’on parviendra à prévenir les assassinats, que l’on parviendra à créer un environnement propice aux activités des défenseurs, et que les Etats parviendront à honorer leurs engagements.

Je demande donc une enquête immédiate, impartiale et transparente pour que justice soit rendue dans les assassinats de Anna, Stanislav, Natalia, Zarema et d’Alik.

Je demande également une enquête dans les mêmes conditions d’immédiateté, d’impartialité et de transparence suite aux menaces subies par les autres défenseurs russes, que ce soit les autres collaborateurs de Memorial ou Galina Kozevnikova, directrice adjointe du centre SOVA, nommément menacée de mort par une lettre anonyme en février. Je demande l’ouverture d’une enquête pour Alexander Verkhovsky, Directeur du Centre SOVA, et Valentina Uzunova, experte sur des questions de minorités, tous deux victimes de menaces à caractère nazi.

L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, un programme que la FIDH mène conjointement depuis 1997 avec l’Organisation mondiale contre la torture, a suivi et compte continuer à suivre de très près les suites données aux cas de harcèlement des défenseurs en Russie. L’observatoire continuera à faire un rapport régulier des démarches entreprises devant la justice et de l’avancement des enquêtes, et à apporter un soutien aussi concret que possible aux défenseurs des droits de l’Homme.

Au delà de la problématique de l’impunité des attaques et des actes de harcèlement, permettez-moi d’insister sur l’ampleur du phénomène de la détention arbitraire de défenseurs dans l’espace OSCE. Rien qu’en 2009, l’Observatoire a recensé des cas de détention de défenseurs en Ouzbékistan, où huit représentants de notre organisation membre purgent de lourdes peines de prison, en Azerbaïdjan, au Kazakhstan, au Kirghizstan, ou encore en Turquie.

Et puis, dans certains pays comme le Turkménistan, les activités de défenseurs des droits de l’Homme ne sont pas du tout praticables en raison des menaces qui pèsent sur leurs activités.

Or tous ces Etats ont des engagements clairs en matière de défense des droits de l’Homme et de protection des défenseurs des droits de l’Homme. Je demande donc solennellement la libération immédiate et inconditionnelle de toutes les personnes détenues par les autorités d’Etats Participants de l’OSCE en raison de leurs activités de défense des droits de l’Homme. A cette occasion, j’aimerais rappeler la mort en détention du défenseur azéri Novrazuli Mammadov en août dernier, que toute notre mobilisation n’a pas permis de sauver.

A quelques mois de la présidence Kazakh de l’OSCE, j’ajouterai que le caractère juste et équitable du procès en appel contre Evgenyi Zhovtis, Président du Bureau international du Kazakhstan pour les droits de l’Homme et l’état de droit, la libération des défenseurs détenus et la fin des obstacles aux activités de défense des droits de l’Homme dans le pays seraient le signal que le Kazakhstan pourrait donner quant à sa volonté d’honorer ses engagements. Je tiens à rappeler qu’en décembre 2008 lors du Conseil ministériel de Madrid le Kazakhstan s’est également engagé à :
 incorporer les recommandations de l’ODIHR dans sa législation, notamment électorale,
 maintenir l’ODIHR et son mandat existant,
 s’abstenir de toute action visant à affaiblir cette institution
...

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les délégués, j’aimerais plus généralement attirer votre attention sur le fait qu’en 2009, les méthodes utilisées par de nombreux Etats ont continué à violer également le droit de se rassembler pacifiquement, le droit de former des associations et de recevoir des financements pour promouvoir les droits de l’Homme, le droit de recueillir et de diffuser des informations relatives aux droits de l’Homme.

J’espère donc que cette session de la réunion sur la mise en oeuvre de la dimension humaine dédiée aux libertés fondamentales permettra de réfléchir effectivement aux moyens de mettre un terme aux entraves posées aux activités des défenseurs des droits de l’Homme.

J’espère que les Etats prendront enfin toutes les mesures nécessaires :

 pour mettre fin au climat d’impunité des menaces, attaques et harcèlement à l’encontre des défenseurs des droits de l’Homme et de leurs organisations,
 pour libérer de façon immédiate et inconditionnelle toute personne détenue en raison de ses activités légitimes de défense des droits de l’Homme,
 pour reconnaître pleinement le rôle primordial des défenseurs des droits de l’Homme dans l’avènement de la démocratie et de l’Etat de droit,
 pour se conformer aux dispositions du Document final de la réunion de Copenhague de 1990 et de la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme de 1998.

J’appelle enfin les Etats à soutenir le point focal pour les défenseurs et les institutions nationales du Bureau pour les institutions démocratiques et les droits de l’Homme, afin que sa capacité de protection soit renforcée.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les délégués, je vous remercie.

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