61ème session de la CADHP - Intervention orale de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme

Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les commissaires, Mesdames et Messieurs les délégués,

L’OMCT et la FIDH, dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, ainsi que l’ensemble de leur réseau d’organisations membres et partenaires sur le continent africain, remercient la Commission africaine de lui donner l’occasion d’attirer votre attention sur plusieurs développements inquiétants liés à la situation des défenseurs des droits humains sur le continent.

Alors que les États ont l’obligation de protéger les défenseurs et de garantir leur liberté d’action, les législations restrictives, menaces, criminalisation, actes de violence et campagnes de diffamation continuent de proliférer dans un environnement de plus en plus hostile aux défenseurs des droits humains.

1. Dans de nombreux pays africains, les défenseurs continuent d’être victimes de poursuites judiciaires, de menaces et de violences dans le but de les réduire au silence

L’Observatoire a documenté de nombreux cas de criminalisation, dans lesquels les autorités harcèlent sans relâche les défenseurs de droits humains, à l’instar de M. Célestin Yandal, dont le procès continue d’être reporté indéfiniment par les autorités du Cameroun depuis 2013. En Tanzanie , les autorités visent particulièrement les défenseurs travaillant sur les problématiques liées au VIH/SIDA, à l’instar de Mme Sibongile Ndashe, Directrice exécutive de Strategic Litigation in Africa (ISLA) et M. John Kashiha, directeur de Community Health Services and Advocacy (CHESA), arrêtés lors d’une réunion à Dar es Salaam le 17 octobre 2017, depuis libérés.

En Egypte , les détentions arbitraires qui ciblent les défenseurs de droits humains s’accompagnent de violations graves de droits humains, telles que les disparitions forcées et actes de torture, à l’instar de M. Ibrahim Metwally Hegazy, coordinateur de l’Association des Familles de Disparus en Egypte enlevé le 10 septembre 2017 et toujours détenu arbitrairement.

En Ouganda , les membres du Twerwaneho Listeners Club (TLC) font l’objet d’un harcèlement et d’attaques continus, y compris à travers l’assassinat le 23 juin 2017, de M. Erasmus Irumba, coordinateur de TLC.

2. Dans certains pays, les défenseurs et organisations de la société civile travaillant au respect de la démocratie et des droits électoraux font l’objet d’une répression accrue

Depuis le début de la crise que connaît le Burundi , les défenseurs sont la cible d’intimidations, de harcèlements, d’attaques physiques voir de disparitions forcées. Le 31 octobre 2017, le maintien en détention de M. Germain Rukiki, accusé de « rébellion » et d’« atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat » pour avoir collaboré avec l’ACAT Burundi et détenu arbitrairement depuis le 13 juillet 2017, a été confirmé malgré l’absence de preuves tangibles contre lui.

Par ailleurs, en République Démocratique du Congo (RDC), les arrestations arbitraires, harcèlement judiciaire et parfois actes de mauvais traitements se multiplient à l’encontre de membres de mouvements de jeunes citoyens pro-démocratie, y compris Filimbi, Compte à rebours et LUCHA. Parmi ceux-ci, MM. Timothée Mbuya, président de Justicia Asbl, Jean Pierre Tshibitshabu, membre de la Societé Civile du Congo (SOCICO) et journaliste à la Radio télévision Kabekas de Kasumbalesa, Erick Omari Omba et Patrick Mbuya Kwecha, membres de la Fondation Bomoko, et Jean Mulenda, membre de la LUCHA sont détenus depuis le 31 juillet 2017 pour avoir participé à une manifestation pacifique exigeant la publication du calendrier électoral suivant l’accord du 31 décembre 2016.

Au Kenya , suite à l’annonce des résultats de l’élection contestée, le Bureau de coordination des ONGs a décidé de de-enregistrer Kenya Human Rights Commission (KHRC) et Africa Centre for Open Governance (AfriCOG). De plus, de nombreux défenseurs, témoins ou ayant documenté l’usage excessif de la force par les forces de sécurités kenyanes, y compris des exécutions extra-judiciaires, ont été par la suite ciblés par la police, harcelés et menacés.

Face à une contestation sociale montante dans la région du Rif, les autorités du Maroc ont arrêté plusieurs défenseurs y compris M. Hamid El Mahdaoui, directeur du site d’information Baldil.info, et M. Rabie Al-Albak, journaliste pour ce site. L’Observatoire est particulièrement inquiet pour leur santé physique.

En Ouganda , les autorités visent les organisations de la société civile s’opposant à la réforme constitutionnelle permettant au Président Yoweri Museveni de se représenter en 2021, y compris en gelant les avoirs d’ActionAid Uganda (AAU).

3. Enfin, un nombre grandissant de restrictions législatives et administratives sont imposées au droit à la liberté d’association et de rassemblement et à l’accès aux financements des ONG

Ainsi, l’Observatoire continue d’être extrêmement préoccupé par la répression sans précédent ciblant les défenseurs et organisations de droits humains en Égypte , notamment dans l’« affaire 173 sur les financements étrangers », dans le cadre de laquelle M. Mohamed Zaree, directeur du Cairo Institute for Human Rights Studies (CIHRS) est visé. Le harcèlement s’est accru à l’encontre de certaines organisations, telles que Egyptian Commission for Rights and Freedoms (ECRF), visée par une tentative de fermeture le 20 septembre 2017. Le 30 mai 2017, le Président Al Sissi a par ailleurs ratifié une loi très restrictive permettant d’accroître la mainmise des autorités égyptiennes sur les ONG, y compris sur leurs financements. Une loi similaire, visant à restreindre l’espace dans lequel opère la société civile est en préparation au Nigéria .

4. Recommandations :

1) Au vu de ces éléments, l’Observatoire rappelle aux États parties leur obligation de se conformer à toutes les dispositions de la Charte africaine, en particulier celles relatives à la protection des défenseurs. A cet égard, les États devraient de manière immédiate et inconditionnelle :

 Cesser tout acte de harcèlement à l’encontre des défenseurs, et libérer tous les défenseurs arbitrairement détenus ;

 Développer des mesures différenciées pour la protection des groupes de défenseurs les plus vulnérables tels que les défenseurs du droit à la terre et à l’environnement, les défenseurs travaillant dans les zones rurales, les femmes défenseures ou les défenseurs des droits des LGBTI ;

 Ne pas adopter, abroger et réviser toute disposition ou tout projet de loi non conforme aux normes internationales et africaines relatives aux libertés d’expression, de réunion pacifique et d’association, y compris restreignant l’accès aux financements des ONG ;

 Adresser une invitation permanente aux Rapporteurs spéciaux de la CADHP et des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme et faciliter leurs visites.

3) L’Observatoire appelle également la CADHP à :

 Souligner l’importance du rôle joué par les défenseurs et la nécessité de les protéger contre tout acte de harcèlement ;

 Soulever de manière systématique la question des défenseurs, et dénoncer et condamner les violations lors de l’examen des rapports périodiques et à l’occasion de toute visite pays ;

 Dénoncer l’impunité qui prévaut, et appeler les États à mener des enquêtes promptes, impartiales et transparentes, et à sanctionner tous les responsables ;

 Garantir la mise en œuvre effective de ses résolutions, conclusions et décisions sur les communications, et renforcer sa capacité à répondre aux situations urgentes ;

 Poursuivre et renforcer la collaboration avec le Rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des défenseurs, ainsi qu’avec les autres mécanismes régionaux dédiés à la protection des défenseurs.

Je vous remercie de votre attention.

***
Banjul, novembre 2017

Pour contacter l’Observatoire :
Email : Appeals@fidh-omct.org
Tel et fax OMCT : + 41 22 809 49 39 / + 41 22 809 49 29
Tel et fax FIDH : + 33 1 43 55 25 18 / +33 1 43 55 18 80

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