UE / Pologne : les droits des LGBT+ 
et à l’avortement relégués aux oubliettes ?

Depuis trois ans, les réformes anti-démocratiques et les attaques répétées du gouvernement ultraconservateur polonais contre l’indépendance des institutions judiciaires du pays ont entraîné une réaction forte de l’Union Européenne (UE). L’attention politique et médiatique s’est toutefois jusqu’à présent focalisée sur les risques pesant sur le système judiciaire dans son ensemble. Un nouveau rapport publié aujourd’hui par la FIDH et la PSAL analyse comment ces attaques ont également eu des conséquences graves sur les droits sexuels et reproductifs des femmes, et les droits des personnes LGBT+. C’est pourquoi nos organisations appellent les institutions européennes à inclure enfin ces atteintes dans les discussions en cours.

Pour la première fois de son histoire, la Commission européenne a fait usage en décembre 2017 de l’article 7, déclenchant un processus de discussions possiblement assorti de sanctions contre la Pologne, afin de convaincre le gouvernement de se conformer à nouveau aux principes démocratiques de l’UE. Elle montrait ainsi sa vive inquiétude quant aux atteintes à la séparation des pouvoirs et à l’indépendance de l’appareil judiciaire, objet d’un mouvement de contre-réformes et de purges inédit depuis la chute du régime communiste.

Toutefois, loin de s’être cantonnés aux hautes juridictions, les changements impulsés depuis 3 ans par le Law and Justice Party (PiS), sous couvert d’un retour à des valeurs catholiques et traditionalistes, ont eu des conséquences directes sur l’accès à l’avortement et la contraception et les droits des personnes LGBT+, dans un contexte plus général de libération de propos haineux et stigmatisant contre les minorités, et de harcèlement des ONG de défense des droits humains.

Les reliquats du droit à l’avortement sans cesse attaqués

A l’époque communiste, 500 000 polonaises avaient légalement recours chaque année à l’avortement, alors qu’elles sont moins d’un millier à y recourir aujourd’hui selon les statistiques officielles. Entre-temps, le Family Planning Act a été voté en 1993 sous la pression de l’Église Catholique polonaise, reconnaissant un « droit à la vie » dès la conception, et limitant le droit à l’avortement à trois exceptions (1). Ce droit à l’avortement sous conditions ne peut de plus être obtenu qu’au terme de procédures administratives et médicales longues et restrictives, rendant bien souvent l’intervention impossible. 

Le personnel médical pratiquant un avortement en dehors des trois exceptions reconnues par la loi risque trois années de prison. De plus en plus d’hôpitaux (et pas seulement des médecins), invoquent l’« objection de conscience » pour refuser toute pratique de l’avortement dans leurs murs. Dans certaines régions, il n’y a tout simplement plus d’accès possible à l’avortement.

150 000 polonaises avorteraient chaque année clandestinement dans le pays, 200 000 à l’étranger. Peu après leur victoire électorale, les conservateurs ont tenté de faire passer une loi restreignant et criminalisant davantage l’avortement. Ils ont cherché à interdire l’avortement lorsque le fœtus est atteint d’une grave malformation, alors que 98 % des avortements encore pratiqués en Pologne le sont pour ce motif. Si les manifestations de masse (telles que la « Black Protest ») ont fait reculer temporairement le gouvernement, leurs participants ont parfois fait l’objet de menaces, de sanctions disciplinaires, et d’intimidations. 

Ce qui reste du droit à l’avortement est sans cesse menacé, comme en témoigne le projet de loi « Stop à l’avortement », qui l’aurait rendu quasi impossible. Soumis au Parlement début 2018, son adoption a été empêchée in extremis. Enfin, alors que de plus en plus de pharmaciens invoquent l’objection de conscience pour refuser de vendre des contraceptifs, une loi de 2017 oblige désormais à obtenir une prescription médicale pour obtenir une pilule du lendemain, autrefois librement accessible en pharmacie. En septembre 2018, le gouvernement annonçait qu’il traquerait sur le web les femmes cherchant à obtenir des pilules du lendemain en se rendant sur des forums de discussions et sites de ventes localisés à l’étranger.

Les LGBT+ sommés de se taire ?

Dans les années 2000, la lutte contre les discriminations a progressé en Pologne, ce qui avait pu bénéficier, même imparfaitement, aux personnes LGBT+. Par exemple, le droit du travail polonais proscrit les discriminations en raison de l’orientation sexuelle. Cependant, cela fait figure d’exception en droit polonais. Par exemple, les agressions en raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre de la victime ne sont pas reconnues par la loi comme étant des « crimes de haine ». Cette qualification est laissée à la seule appréciation du juge, alors que les agressions commises en raison de la race, la nationalité ou la religion de la victime sont criminalisées en tant que telles par la loi. Par ailleurs, il n’existe toujours pas de reconnaissance du mariage civil pour les individus de même sexe, et donc d’égalité entre couples hétérosexuels et homosexuels.

Si les procédures de changement de sexe sont toujours autorisées, elles restent insuffisamment remboursées et administrativement toujours très compliquées. Et les tentatives de changements législatifs menées depuis 2012 par la première députée transsexuelle de Pologne, Anna Grodzka, se sont heurtées au veto présidentiel en octobre 2015. 

Depuis 2015, la parole publique est de plus en plus agressive à l’encontre des personnes LGBT+. Par exemple, le ministre de la défense qualifie les gay prides de « parade de sodomites », lorsque le ministre de l’intérieur considère que repeindre le drapeau polonais aux couleurs de l’arc-en-ciel est « un acte criminel ». Des gay prides sont désormais interdites par les autorités régionales, alors que les agressions homo/bi/transphobes se sont multipliées ces dernières années et restent largement sous estimées. Les autorités s’enfoncent dans le déni, comptabilisant par exemple... zéro violence homophobe en 2015. Dans ce contexte, les ONG de défense des droits des personnes LGBT+ se taisent et n’osent plus revendiquer de nouveaux droits.

Tribunaux influencés par l’exécutif, associations menacées

Ces trois dernières années, la mainmise grandissante de l’exécutif polonais sur l’appareil judiciaire a accompagné les attaques publiques et politiques contre les droits sexuels et reproductifs, notamment le droit à l’avortement, et les droits des personnes LGBT+. Certaines catégories déjà stigmatisées sont à la fois victimes de discours publics réactionnaires et véhéments, et soumis aux décisions de tribunaux toujours plus contrôlés par l’exécutif.

Parallèlement, les associations de défense des droits humains et institutions encore indépendantes, comme la Cour suprême ou l’Ombudsman polonais, font l’objet de calomnies, d’attaques verbales ou d’entraves. L’UE ne peut fermer les yeux ni tolérer les graves atteintes aux droits fondamentaux des femmes et des personnes LGBT+ commises dans un pays membre. Il est grand temps que le Conseil de l’UE prenne en compte dans son examen de la situation en Pologne au titre de l’article 7, les reculs et régressions endurés par les femmes et les personnes LGBT+ ces trois dernières années.

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