La FIDH enjoint les autorités à inscrire les droits humains au cœur de sa réponse au terrorisme

Farouk Ben Houriya

A l’occasion de la tenue d’une Conférence sur la lutte contre le terrorisme et le respect des droits humains, organisée conjointement avec le réseau Dourtourna à Gammarth les 25 et 26 novembre, une délégation de la FIDH a rencontré le bureau du Président de la République Tunisienne afin d’appeler au renforcement du respect des droits humains dans la lutte contre le terrorisme.

Depuis les attentats du 11 septembre 2001 à New York et le déploiement d’une stratégie internationale de lutte contre le terrorisme, la communauté internationale en général et les Etats en particulier n’ont pas été en mesure d’endiguer le terrorisme. Pour la FIDH, la cause réside dans la faillite des États a respecter et garantir les droits humains.

« C’est dans un équilibre fragile, que réside véritablement l’un des enjeux majeurs de la lutte contre le terrorisme : le respect de l’Etat de droit, la garantie d’une justice équitable, le déploiement d’une justice sociale. C’est dans cette balance-là que réside la difficulté et la grandeur du combat pour les libertés, ne jamais plier devant le terrorisme, ne jamais faire céder nos principes au terrorisme. »

Karim Lahidji, président d’honneur de la FIDH

Pour la Tunisie, la délégation a notamment précisé trois points :

1/ La loi contre le terrorisme et le blanchiment d’argent n°26 de 2015, ne garantit pas le respect des droits humains, notamment :

 la définition employée pour criminaliser le terrorisme est trop large et peut être utilisée pour réprimer la liberté d’association et de rassemblement. Son application a eu pour conséquence de remettre en cause des mouvements sociaux légitimes en les assimilant à des organisations terroristes.
 la loi ne garantit pas la protection des sources des journalistes, entravant ainsi le travail fondamental des enquêteurs et lanceurs d’alerte, éléments essentiels de toute démocratie. En conséquence, plusieurs journalistes sont interpellés par la justice.
 l’introduction de la peine de mort dans 17 articles de la nouvelle loi est une régression sociétale, un réflexe sécuritaire dont l’efficacité dans la lutte contre la criminalité n’a jamais été démontrée, et qui vient à l’encontre des engagements internationaux de la Tunisie en matière de droits humains. En outre le rétablissement de la peine de mort en Tunisie entrave la coopération judiciaire avec de nombreux pays soucieux de ne pas contribuer à de possibles condamnations à mort : ce recul entrave donc une coopération internationale pourtant essentielle à une lutte efficace et effective contre une gangrène mondiale.

2/ La Stratégie nationale de lutte contre le terrorisme, annoncée le 7 novembre dernier, a été élaborée en toute confidentialité, sans consultation de la société civile active dans la promotion des droits humains. Elle reste aujourd’hui inconnue. A l’aune du recrutement croissant de jeunes tunisiens par les organisations terroristes, et face à l’ampleur des mesures à prendre pour endiguer le terrorisme dans le pays, ce manque de concertation révèle une politique négligente au regard de la richesse des propositions formulées par la société civile tunisienne, notamment à l’occasion de l’appel du 28 avril publié par 60 organisations de la société civile (lettre adressée au tunisiennes et aux tunisiens "Non au terrorisme ; Oui aux droits humains"). En outre elle met les autorités tunisiennes en porte-à-faux du Comité Exécutif contre le Terrorisme du Conseil de Sécurité des Nations unies, qui enjoignait aux autorités de développer cette stratégie dans le cadre d’un dialogue sociétal inclusif.

3/ Le traitement judiciaire des dossiers d’assassinats politiques et de terrorisme révèle la carence de l’autorité judiciaire à mettre en évidence la vérité sur ces crimes et à stopper les organisations terroristes. Le non-lieu dans l’affaire de l’assassinat de Loutfi Naguedh en est une démonstration flagrante. Cet échec doit être redressé d’urgence, afin de rétablir l’État de droit dans un pays attaqué.

La Conférence « Lutte antiterroriste et Droits Humains : Le faux contraste » était organisée par la FIDH et le Réseau Doustourna, avec le soutien de l’Agence Française de Développement et l’Ambassade de la République fédérale d’Allemagne en Tunisie. Elle visait à consolider le dialogue entre la société civile tunisienne et les autorités autour des modalités à mettre en œuvre pour renforcer l’État de droit dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, en mettant en évidence les bonnes pratiques de respect des droits humains dans le contexte de la lutte contre le terrorisme.

110 avocats, juristes, défenseurs des droits humains et experts internationaux et membres de la société civile tunisienne, en présence de représentants des autorités tunisiennes et d’institutions nationales, ont tenu à cet effet,9 tables rondes alimentant des échanges stratégiques en la matière.

La délégation de la FIDH était composée de Souhayr Belhassen et Karim Lahidji, tous deux présidents d’honneur de la FIDH, d’Antoine Madelin, directeur du plaidoyer international de la FIDH et de Khitem Bargaoui, chef de projet au bureau de la FIDH-Tunis.

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