Procès de M. Taoufik Ben Brik - une parodie de justice

20/11/2009
Communiqué

Paris-Genève-Copenhague, le 20 novembre 2009. L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, un programme conjoint de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), et le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme (REMDH) expriment leur plus vive inquiétude quant au déroulement du procès mené contre M. Taoufik Ben Brik et les entraves à la participation de plusieurs défenseurs des droits de l’Homme tunisiens qui souhaitaient assister à l’audience.

Le 19 novembre 2009, M. Taoufik Ben Brik, journaliste et co-fondateur du Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT), a comparu devant la chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance de Tunis. Poursuivi pour "atteinte aux bonnes mœurs", "diffamation", "agression", "détérioration des biens d’autrui" et "blasphème", le verdict devrait être rendu public le 26 novembre prochain. Nos organisations considèrent que cette procédure vise en réalité à sanctionner les activités de M. Ben Brik en tant que journaliste indépendant et défenseur des droits de l’Homme.

Plusieurs défenseurs des droits de l’Homme ayant voulu assister à l’audience du procès ont en outre été empêchés d’accéder au tribunal, dont Mme Sihem Bensedrine, porte-parole du CNLT, journaliste et secrétaire générale de l’Observatoire pour la liberté de presse, d’édition et de création (OLPEC), M. Omar Mestiri, directeur de la rédaction du journal en ligne Kalima, membre du CNLT et membre du groupe de travail du REMDH sur la liberté d’association, et M. Lotfi Hajji, journaliste et vice-président le la section de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH) de Bizerte, qui ont été "invités" par la police politique à faire demi-tour à la sortie de l’autoroute. Depuis, Mme Bensedrine et M. Mestiri sont empêchés de quitter le domicile des parents de ce dernier par un important dispositif policier déployé autour de la maison. C’est également le cas de M. Abdelkrim Harrouni, secrétaire général de l’association Liberté et équité. Deux avocats observateurs venant d’Algérie et du Maroc ont par ailleurs été refoulés à l’aéroport de Tunis. En outre, seuls trois membres de la famille de M. Ben Brik ont été autorisés à accéder à la salle d’audience et Me Hocine Bardi, avocat au Barreau de Paris mandaté par le Comité pour le respect des libertés et des droits de l’Homme en Tunisie (CRLDHT), a été empêché d’accéder au palais de justice.

L’Observatoire et le REMDH ont mandaté Me François-Xavier Matteoli, avocat et ancien bâtonnier du Barreau des Hauts-de-Seine, pour observer ce procès. Plusieurs autres observateurs internationaux ont pu assister au procès : la députée européenne Mme Hélène Flautre, le secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF), deux avocats mandatés par RSF, ainsi qu’un représentant de l’ambassade des Etats Unis.

Lors de l’audience, plusieurs violations du droit à un procès équitable ont été constatées. En premier lieu, au vu du filtrage par les forces de police de l’accès à la salle d’audience, l’Observatoire et le REMDH dénoncent vigoureusement le non-respect du principe de publicité des débats. En second lieu, l’Observatoire et le REMDH regrettent que toutes les demandes préliminaires introduites par les avocats de la défense aient été ignorées par le juge. Ces demandes portaient notamment sur la contestation de la régularité des procès verbaux, sur la libération provisoire du prévenu, et sur des demandes d’audition de témoins. Ainsi, l’audience a été levée sans qu’il soit statué sur la demande de mise en liberté et le juge, précisant qu’il en avait assez entendu, a renvoyé l’affaire et fixé au 26 novembre le prononcé du verdict.

Nos organisations rappellent par ailleurs que M. Zouhair Makhlouf, journaliste tunisien indépendant, secrétaire général de Liberté et équité et candidat du parti démocrate progressiste (PDP) lors des élections législatives du 25 octobre 2009, doit quant à lui comparaitre le 24 novembre 2009 devant le Tribunal de première instance de Grombalia.

M. Ben Brik et M. Makhlouf se sont particulièrement mobilisés afin de dénoncer les pratiques et actes contraires aux normes internationales qui se sont multipliés dans le contexte électoral. Le Président tunisien avait en outre stigmatisé, à la veille du scrutin du 25 octobre 2009, ceux qu’il avait qualifié de "minorité infime de Tunisiens qui dénigrent leur pays en s’appuyant sur des parties étrangères", et annoncé "des mesures" "contre quiconque émettra des accusations ou des doutes concernant l’intégrité de l’opération électorale, sans fournir de preuves concrètes".

L’Observatoire et le REMDH soulignent que cette politique de répression contre toutes les voix dissidentes ont visé d’autres défenseurs, dont M. Mohamed Soudani, membre de l’Union générale des étudiants de Tunisie (UGET), qui suite à une interview portant sur la situation des droits de l’Homme dans le contexte électoral avec des journalistes français a été arrêté le 22 octobre 2009 puis condamné le 24 octobre pour "atteinte aux bonnes mœurs", "état d’ébriété" et "blasphème" à quatre mois de prison ferme en violations de toutes les principes du procès équitable.

L’Observatoire et le REMDH déplorent vivement qu’aucun diplomate européen n’ait assisté à l’audience et appellent la Délégation de la Commission européenne à Tunis ainsi que les ambassades des Etats-membres de l’Union Européenne (UE) en Tunisie à prendre publiquement position en faveur des défenseurs des droits de l’Homme, à rendre visite à MM. Ben Brik et Makhlouf en détention, et à observer toutes les audiences à leur encontre, conformément aux Lignes directrices de l’UE relatives aux défenseurs des droits de l’Homme.

Enfin, nos organisations appellent les autorités tunisiennes à veiller à ce qu’un terme soit mis à toute forme de menaces et de harcèlement - y compris judiciaire - à l’encontre de MM. Taoufik Ben Brik, Zouhair Makhlouf, Mohamed Soudani, Abdelkrim Harrouni, Omar Mestiri et Lotfi Hajji et Mme Bensedrine ainsi que de l’ensemble des défenseurs des droits de l’Homme tunisiens.

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