Procès du Queen Boat

13/08/2002
Communiqué

Saisi pour la première fois, par la FIDH, d’un cas de détention pour homosexualité, le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire déclare que la détention au motif de l’orientation sexuelle présumée est arbitraire.

Alors que se prépare le deuxième procès - prévu le 7 septembre au Caire - de 50 Egyptiens poursuivis depuis le mois de mai 2001 pour avoir « exploité la religion afin de promouvoir ou de défendre des idéologies extrémistes en portant atteinte à l’harmonie sociale » (article 98 du Code pénal égyptiens) et pour « débauche » (en vertu de la loi de 1961 sur la prévention de la prostitution), le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire vient de rendre publique une décision sans précédent adoptée le 21 juin 2002.

Le Groupe de travail sur la détention arbitraire livre une démonstration juridique remarquable en deux temps. Il considère d’abord que les individus concernés sont bien poursuivis au motif de leur homosexualité et que ce motif, entouré d’un vide juridique en Egypte, est « habillé » par l’article 98 du Code pénal visant le trouble à l’ordre social. Se fondant sur une jurisprudence constante, bien qu’encore récente, de plusieurs organes de l’ONU mais également du HCR, il rappelle ensuite que l’interdiction posée par le droit international des droits de l’Homme de toute discrimination fondée sur le sexe doit aussi être comprise comme une interdiction de discriminer un individu en raison de son homosexualité.

« La détention [des personnes] poursuivies au motif que, en raison de leur orientation sexuelle, elles ont incité à des troubles de l’ordre social, constitue une privation de liberté arbitraire, parce qu’elle contredit l’article 2(1) de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et les articles 2(1) et 26 du Pacte international sur les droits civils et politiques, auquel l’Egypte est partie », ont déclaré les cinq experts indépendants qui composent ce Groupe de travail, appelant ensuite l’Egypte à remédier à la situation et à amender sa législation.

La FIDH, qui avait mandaté un observateur au procès le 20 août 2001, puis saisi le Groupe de travail sur la détention arbitraire des Nations Unies sur cette affaire, se félicite de cette décision, qui intervient à point nommé puisque sur les 52 inculpés, 50 comparaîtront de nouveau devant la justice égyptienne le 7 septembre 2002.

Contexte

Le 11 mai 2001, cinquante-cinq Égyptiens, parmi lesquels un mineur de 17 ans, étaient arrêtés au Queen Boat, un restaurant-discothèque fréquenté par la communauté gay, puis transférés vers divers postes de police et dans les bureaux des Services de renseignements de la sûreté de l’État (SSI). Le lendemain, ils comparaissaient devant le Procureur de la sûreté de l’État qui ordonnait la détention pendant quinze jours de cinquante-quatre d’entre eux. Les prévenus ont alors déclaré avoir été frappés et agressés verbalement pendant leurs premiers jours de détention. Cinquante-deux ont fait l’objet de poursuites et sont restés emprisonnés jusqu’au 14 novembre 2001, date du verdict prononcé par la Haute Cour de sûreté de l’État, une juridiction instaurée en vertu de l’état d’urgence - en vigueur depuis 1981 - dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours.

Les poursuites étaient fondées sur deux dispositions de la loi égyptienne : d’une part, l’article 98 (f) du Code pénal égyptien visant toute personne ayant « exploité la religion afin de promouvoir ou de défendre des idéologies extrémistes en s’exprimant, par oral, par écrit, ou de toute autre manière, aux fins de provoquer des émeutes, d’insulter ou de dénigrer les religions révélées, ou en portant atteinte à l’unité nationale ou à l’harmonie sociale » ; et, d’autre part, la loi de 1961 sur la prévention de la prostitution, qui prévoit une peine pour « toute personne qui, de manière régulière, est engagée dans la débauche ou dans la prostitution ».

Le 14 novembre 2001, le Président de la Haute Cour de Sûreté de l’Etat a alors prononcé un jugement condamnant 23 d’entre eux à des peines d’emprisonnement allant de un à cinq ans, et acquittant les 29 autres inculpés. Sur les 23 condamnés, 21 le sont pour « pratique de la débauche », 1 pour « mépris de la religion » et 1 pour ces deux chefs d’accusation. Ces deux derniers sont condamnés à des peines respectives de 3 et 5 ans de prison suivis de 3 ans de surveillance policière. L’un d’eux, mineur, a été jugé par un tribunal pour enfants - dont les décisions peuvent cette fois faire l’objet d’un appel - lors d’un procès que la FIDH a également observé. Condamné à 3 ans de prison, il a vu sa peine réduite à 6 mois en appel, le 19 décembre 2001 ; ayant déjà purgé sa peine, il a été libéré.

L’affaire a en effet connu un rebondissement le 23 mai 2002 lorsque, en vertu des prérogatives que lui confère l’état d’urgence en vigueur en Egypte depuis 1981, le Président Moubarak a cassé en partie le verdict rendu le 14 novembre 2001 par la Haute Cour de sûreté de l’État, qui avait condamné vingt-trois personnes à des peines de 1 à 5 ans de prison et avaient acquitté les 29 autres inculpés. En partie seulement puisque, annulant le jugement pour 21 des condamnés, le Président égyptien a ratifié la condamnation des deux personnes condamnées aux plus lourdes peines : 3 et 5 ans de prison. Le motif invoqué était que seules ces deux personnes avaient été poursuivies sur le fondement d’un chef d’inculpation - « mépris de la religion » - relevant effectivement de la Haute Cour de sûreté de l’État. Les dossiers des 50 autres personnes ont été renvoyés par le Président égyptien au parquet, qui a renvoyé l’affaire devant un tribunal correctionnel du Caire, où ils ont comparu, libres, le 27 juillet, accusés de « débauche avec des hommes ». A la demande de la défense, le procès a été reporté au 7 septembre.

La loi égyptienne ne contient aucune disposition réprimant explicitement l’homosexualité. C’est d’ailleurs pourquoi, répondant au Groupe de travail sur la détention arbitraire saisi par la FIDH, le gouvernement égyptien a avancé l’argument selon lequel l’homosexualité n’était pas le motif de la détention. Cet argument n’a pas été retenu par les cinq experts indépendants du Groupe de travail, qui ont rappelé que la Haute Cour de Sûreté de l’Etat avait ordonné la préparation d’une expertise médico-légale portant sur un examen anal de certains inculpés, tendant à établir qu’il s’agissait d’homosexuels.

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