Condamnation arbitraire d’un défenseur des droits de l’Homme

28/10/2007
Communiqué

L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, programme conjoint de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), a été informé de la décision rendue le 26 octobre 2007 par la Cour de Relizane à l’encontre de M. Mohamed Smain, responsable de la section de Relizane de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’Homme (LADDH), le condamnant à deux mois de prison ferme, 5000 dinars d’amende et 10 000 dinars de dommages et intérêts à verser à chacun des neufs plaignants pour dénonciation de crimes imaginaires. M. Smain a été relaxé des faits de diffamation et outrage. Il a informé l’Observatoire de son intention de se pourvoir en cassation contre cette décision.

Lors de l’audience, qui s’est tenue le 20 octobre 2007 et pour laquelle l’Observatoire avait mandaté un avocat français qui a plaidé aux côtés des avocats algériens de M. Smain, le président a refusé l’audition des témoins de la défense, des parents de disparus qui s’étaient pourtant exprimés, lors de l’audience de février 2002, sur les violations des droits de l’Homme - exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires, disparitions, torture, pillages, etc. - perpétrées par Fergane et sa milice depuis 1993.

A l’origine de ce procès, se trouve une plainte déposée par Hadj Fergane, ex-maire de Rélizane, ainsi que huit autres ex-membres d’une milice dite de légitime défense. Cette plainte avait été introduite après que M. Smaïn ait alerté la presse algérienne, le 3 février 2001, sur la découverte et l’exhumation de charniers par les services de gendarmerie et la milice de Fergane. M. Smain avait été appelé à comparaître le 29 décembre 2001 devant le tribunal de Rélizane (une ville située à l’Ouest de l’Algérie, près d’Oran). Il était poursuivi pour diffamation, outrage et dénonciation de crimes imaginaires. Le tribunal l’avait condamné le 5 janvier 2002 à deux mois de prison ferme, 5000 dinars d’amende et 10 000 dinars de dommages et intérêts à verser à chacun des neufs plaignants (peine identique à celle qui vient d’être prononcée).

M. Smain avait fait appel de cette condamnation et la Cour de Relizane l’avait condamné le 24 février 2002 à une année de prison ferme, soit une peine 6 fois plus longue que celle prononcée en première instance, et à 210 000 dinars d’amende - presque cinq fois plus qu’en première instance.

M. Smain s’était pourvu en cassation contre cette décision et la Cour suprême avait renvoyé l’affaire devant la Cour de Relizane au motif que les règles du procès équitable n’avaient pas été respectées.

Le procès de Mohamed Smaïn est exemplaire du climat d’impunité qui prévaut en Algérie, renforcé par l’ordonnance algérienne du 26 février 2006 portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Alors que, selon les estimations les plus basses, 7200 personnes au moins ont disparu en Algérie au cours du conflit qui a ensanglanté le pays dans les années 90, les familles de disparus et des défenseurs des droits de l’Homme comme Mohamed Smaïn continuent de demander en vain la vérité et la justice sur le sort de leurs proches. Non seulement les auteurs de violations des droits de l’Homme - dont certains, comme Fergane et ses miliciens qui sont pourtant connus de tous - ne sont pas inquiétés, mais ce sont les défenseurs des droits de l’Homme eux-mêmes, qui demandent, au nom des victimes, que des enquêtes soient diligentées afin d’identifier et de punir les responsables, qui se trouvent poursuivis et condamnés à de lourdes peines par une justice aux ordres.

L’Observatoire dénonce avec la plus grande fermeté la condamnation arbitraire de M. Smaïn, qui vise à restreindre son action de protection des droits de l’Homme et sanctionne l’exercice par un défenseur des droits de l’Homme de son droit à " promouvoir la protection et la réalisation des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ", conformément à la Déclaration des Nations Unies sur les défenseurs des droits de l’Homme.

Les activités de M. Smaïn à Oran et Relizane en faveur des familles de disparus et son action pour que la vérité soit faite sur les violations perpétrées en Algérie sont reconnues au niveau international et national et lui valent d’être la cible des autorités. Il a aidé plusieurs ONG internationales lors de leurs missions d’enquête en Algérie courant 2000.
L’Observatoire saisit immédiatement la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies sur les défenseurs des droits de l’Homme et la Rapporteure spéciale de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples sur les défenseurs des droits de l’Homme.

L’Observatoire demande plus généralement aux autorités algériennes de se conformer, en toutes circonstances, aux instruments internationaux et régionaux de protection des droits de l’Homme, ainsi qu’aux dispositions de la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme, qui prévoit notamment en son article 6.b que « chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, d’étudier, discuter, apprécier et évaluer le respect, tant en droit qu’en pratique, de tous les droits de l’Homme et de toutes les libertés fondamentales, et par ces moyens et autres moyens appropriés d’appeler l’attention du public sur la question ».

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