L’UE face à ses responsabilités

12/11/2002
Communiqué

La FIDH souhaite interpeller une nouvelle fois l’Union européenne pour qu’elle fasse effectivement prévaloir ses principes et engagements en matière de respect des droits de l’Homme dans le cadre de ses relations avec la Russie. L’exigence de démocratie doit en effet s’appliquer aussi à la Russie.

Sommet Union européenne

Russie, les 11 et 12 novembre 2002

L’Union européenne ne peut accepter que les engagements souscrits par les autorités russes en matière de protection des droits de l’Homme et du droit humanitaire et qui sont censés fonder le partenariat entre l’UE et la Russie soient systématiquement bafoués. La cohérence de la politique étrangère de l’UE exige une fermeté exemplaire à l’égard d’un Etat - aussi grand et puissant soit-il - qui viole massivement et en toute impunité les droits les plus élémentaires de la personne.

En Tchétchénie, la population civile reste la principale victime d’une guerre qui se traduit par des opérations de nettoyages systématiquement accompagnées d’actes de racket, détention arbitraire, torture, viols, disparitions forcées, exécutions sommaires, etc. Comme le Secrétaire général du Conseil de l’Europe l’a rappelé le 5 novembre dernier, " les mesures anti-terroristes doivent être proportionnées et en totale conformité avec les règles de l’Etat de droit. Une des principales tâches des forces de l’Etat est de protéger les civils innocents ". En aucun cas, la lutte contre le terrorisme ne peut servir de prétexte à la perpétration des violations massives en cours en Tchétchénie.

La prise d’otages de Moscou du 23 octobre 2002 que la FIDH a immédiatement condamnée, a rappelé, de façon dramatique, que le discours sur la normalisation en Tchétchénie n’était qu’un leurre destiné uniquement à satisfaire la communauté internationale.
En outre, les conditions dans lesquelles s’est déroulé l’assaut final contredisent les obligations internationales de la Russie et les prescriptions des instruments internationaux, d’autant plus que les forces de l’ordre impliquées dans la conduite de l’assaut ont fait état publiquement de l’exécution de la quasi-totalité des preneurs d’otages. Ces derniers ont été exécutés sommairement, alors qu’ils étaient inconscients et ne représentaient plus un danger pour la vie des otages. L’utilisation d’un gaz toxique, sans que soit mesuré au préalable son impact, a causé la mort de près de 120 otages. De plus, les soins aux personnes asphyxiées n’ont pu être assurés immédiatement, en particulier parce que et les médecins n’ont pu obtenir les informations nécessaires sur la nature du gaz pour procéder aux traitements adéquats.

Depuis trois ans, Moscou promet une solution politique, mais n’a assuré aucun retrait de troupes significatif ; de plus, depuis un décret du 8 octobre 2002 les autorités civiles en Tchétchénie dépendent du commandement militaire et des services spéciaux. L’attitude actuelle de la Russie qui refuse d’ouvrir des négociations politiques avec les autorités tchétchènes, qui les réclament depuis trois ans sans condition préalable, confirme qu’elle ne cherche pas réellement une issue pacifique au conflit.

La guerre en Tchétchénie se déroule en toute impunité sans que la Russie soit l’objet de sanctions de la part des institutions régionales et internationales dont elle est membre et qui ont dans leur mandat la défense des droits de l’Homme. Elle s’accompagne aussi d’un durcissement du régime et d’une nette restriction des libertés fondamentales en Russie.

Ainsi le 1er août, l’ordre a été donné par le service de l’immigration du ministère russe de l’Intérieur de cesser de fournir des produits alimentaires aux Tchétchènes réfugiés dans le centre d’accueil de Serebrianiki (175 km au nord de Moscou). Cette mesure ne constitue qu’un exemple des discriminations dont sont l’objet au quotidien les personnes d’origine caucasienne sur l’ensemble du territoire de la Russie (interpellations abusives, pogroms, discrimination dans l’emploi, dans le domaine de la santé et de l’éducation ?).

Par ailleurs, de façon croissante, des pressions sont exercées sur les personnes déplacées en Ingouchie pour les forcer à rentrer en Tchétchénie. La zone de refuge que constituait jusqu’à présent l’Ingouchie est menacée. Cet été, le déploiement militaire à proximité des camps de déplacés de Sleptovskaya s’est accompagné d’une multiplication d’arrestations et de disparitions parmi la population tchétchène. Le 11 juillet, le chef du gouvernement tchétchène pro-russe a annoncé que, sur ordre de V. Poutine, les camps en toile des réfugiés en Ingouchie devaient être " liquidés ". A cette situation s’ajoutent les déplacements forcés de populations, qui ont eu lieu cet été, dans le nord de la Tchétchénie, à la suite de la fermeture de camps de déplacés à Znamenskoye.

Le 1er novembre, la Douma a adopté de nouvelles mesures législatives - qui doivent être encore confirmées par la seconde chambre - renforçant le contrôle des médias par les autorités en cas d’opérations anti-terroristes. La presse se voit interdire de publier des informations ayant trait à la technologie, aux armes, aux munitions, aux explosifs et susceptibles de perturber le déroulement d’opérations anti-terroristes. Toute diffusion de propos relevant " de la propagande ou la justification d’activités extrémistes y compris des déclarations de personnes visant à empêcher une opération antiterroriste, à faire la propagande de l’opposition à une telle opération ou à justifier cette opposition " est également interdite. Ces réformes législatives abrogent de fait le droit de critiquer la guerre en Tchétchénie, puisque officiellement il s’agit d’une opération antiterroriste. De nouvelles directives adoptées le 4 novembre sont venues renforcer ce dispositif. Elles établissent une véritable censure de la presse lors de prises d’otages, les journalistes devant, en de telles circonstances, obligatoirement consulter les autorités avant toute publication. Ces mesures sont contraires à l’article 29.5 de la Constitution qui dispose que "La liberté de l’information de masse est garantie. La censure est interdite."

La loi sur l’extrémisme politique adoptée en quelques jours en juin 2002 ne donne aucune définition claire de "l’extrémisme politique", laissant ainsi la porte ouverte à de nombreuses interprétations arbitraires. Malgré cela, une personne peut encourir jusqu’à 5 ans de prison ferme, pour ce seul motif, ou même pour un simple "appel à l’extrémisme politique". En outre, le procureur ou toute autre institution de justice, peut fermer une organisation, un syndicat ou un groupe religieux soupçonné d’"extrémisme". Cette loi constitue une réelle menace pour toute la société civile russe.

En outre, récemment, les subventions accordées par des fondations ou organisations étrangères pour des programmes en matière de défense des droits de l’Homme, d’éducation ? ont été soumises à un taux d’imposition supérieur à 30% entravant bien évidemment le déroulement de ces projets associatifs. De plus, alors que l’accès au territoire de la République de Tchétchénie est restreint pour les ONG, celles qui toutefois réussissent à travailler sur le terrain sont victimes d’actes d’intimidation. Un groupe armé a attaqué les locaux de Memorial à Grozny le 18 juillet dernier, quelques jours après que cette organisation a annoncé qu’elle cessait toute forme de coopération avec les forces fédérales. Risquant des prises d’otages comme celle d’un collaborateur de MSF en août 2002, les organisations humanitaires sont en outre soumises à un harcèlement constant, à des menaces et à des atteintes physiques aux biens et aux personnes de la part des forces armées russes.

La loi adoptée cet été par la Douma et le Conseil de la Fédération sur le service civil alternatif prévoit la possibilité de transférer, selon une procédure partiale et des critères particulièrement flous, les objecteurs des institutions sociales ou médicales où ils auraient été placés dans des unités militaires. Cette disposition expose les objecteurs de conscience à tous types de chantage financier compte tenu des risques de mauvais traitements qu’ils encourraient dans le cas d’un tel transfert. En outre, la durée du service alternatif est de trois ans et demi alors que le service militaire traditionnel est de deux ans, et enfin les objecteurs doivent prouver leurs convictions pacifistes devant un comité militaire dont on peut douter de la neutralité.

Enfin, les traitements dégradants et inhumains sont toujours récurrents dans les prisons russes comme l’a constaté la Cour européenne des droits de l’Homme qui a condamné la Russie le 15 juillet 2002 pour ce motif. Le Comité de l’ONU contre la Torture, dans ses conclusions en mai 2002, a également condamné la perpétration généralisée d’actes de tortures contre les détenus et au sein de l’armée à l’égard des appelés, actes restant très largement impunis. Par ailleurs, ni le terme de torture ni les actes qui lui sont assimilés ne sont définis en droit russe.

Pourtant, face à cette situation, l’indifférence de l’Union européenne prévaut. Lors du dernier sommet entre la Russie et l’UE, en mai 2002, aucune référence n’a été faite à la situation des droits de l’Homme ni au conflit en Tchétchénie.

Le sommet du 11 novembre 2002 doit marquer une rupture avec cette politique dangereuse et à courte vue de l’UE. Elle doit publiquement et clairement condamner les violations des droits de l’homme commises en Russie. La position de UE a clairement montré ses limites et l’UE, à poursuivre dans cette voie, signerait sa complicité avec la politique criminelle menée par Moscou. Le sommet sera un test décisif à cet égard.

L’Union européenne doit exiger des autorités russes qu’elles entament de réelles négociations avec les autorités tchétchènes afin qu’une issue politique et pacifique - la seule possible - soit enfin trouvée. A cette fin, l’UE doit se poser en médiateur privilégié.

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