Russie, Peine de mort : lettre ouverte à M. Dmitri Medvedev, Président de la Fédération de Russie.

29/01/2010
Communiqué

Monsieur le Président,

Le 19 novembre 2009, la Cour Constitutionnelle de la Fédération de Russie a rendu son avis concernant le moratoire sur la peine de mort qui doit prendre fin le 1er janvier 2010. La Cour Constitutionnelle a déclaré que « la condamnation à la peine de mort ne sera pas possible en Russie à partir du 1er janvier 2010 » ; date à laquelle les cours d’assises seront introduites sur l’ensemble du territoire de la Russie. La Cour Constitutionnelle rappelle que « la Russie à exprimé par le passé son intention d’établir un moratoire sur la condamnation à la peine capitale, en accord avec les engagements internationaux auxquels elle a souscrit » et appelle la Russie « à ratifier le Protocole n°6 de la Convention Protocole n°6 à la Convention Européenne relative aux droits humains et aux libertés fondamentales, ainsi que la nécessité de modifier la loi de procédure criminelle et pénale dans l’optique d’une abolition de jure de la peine de mort ».

Ainsi, bien que la Cour Constitutionnelle se soit prononcée en faveur de la prolongation du moratoire, la décision d’une abolition définitive de la peine de mort revient à la Douma qui doit voter une loi en ce sens. D’après l’Agence Interfax, votre représentant auprès de la Cour Constitutionnelle M. Mikhaïl Krotov aurait déclaré le 19 novembre dernier, que « l’abolition de la peine de mort est un objectif de la réforme judiciaire ». Vous vous êtes prononcé en faveur de l’abolition, cependant les avis sur la question divergent encore parmi les législateurs, le soutien de la population à la peine de mort étant invoqué par certains pour justifier l’impossibilité d’une abolition de jure. Le 19 novembre 2009, M. Igor Lebedev, président du groupe des libéraux-démocrates au sein de la Douma, a déclaré au journal Gazeta : « la peine de mort est nécessaire dans les conditions actuelles de développement de la société russe, c’est une arme dissuasive pour les criminels potentiels ». Il a également précisé que le LDPR voterait contre la ratification du Protocole n°6. De plus, M Lebedev, ainsi que M Guennadi Semiguine, le responsable du parti « les Patriotes de Russie », proposent d’amender le Code pénal afin d’élargir le champ des crimes capitaux au terrorisme, au viol d’un mineur et au trafic de drogue.

Enfin, le président de la Douma, Boris Gryzlov, dont les propos ont été rapportés sur le site de Edinaya Rossia, a jugé prématurée la ratification du Protocole n°6 car selon lui, cette question nécessite un débat puisque la majorité des députés sont en faveur de la peine de mort et puisque la population russe est plus encline à l’application de la peine de mort qu’à son abolition. Selon lui, « tant qu’il n’y aura pas de consensus au sein de la société, nous ne devons pas aborder la question de la ratification du Protocole n°6 ». En effet, d’après un sondage publié le 20 novembre 2009 par le Centre Levada1, 14% des Russes se prononcent en faveur de l’abolition totale de la peine de mort.

Certains membres de la classe politique font état du fait que l’opinion publique est très majoritairement favorable à la peine capitale et que cette mesure radicale est la seule de nature à dissuader une recrudescence de la violence à l’intérieur du pays. Cependant, la FIDH tient à rappeler que la peine de mort est en contradiction avec l’essence même des notions de liberté et de dignité humaine. La FIDH réaffirme également que le caractère dissuasif de la peine de mort dans les pays où elle est en vigueur reste à démontrer et que l’évolution du droit international montre au contraire une tendance vers l’abolition de cette mesure. Les conditions de détention dans les couloirs de la mort sont souvent assimilables à des traitements inhumains et dégradants, voire à des actes de tortures.

Cela fait 13 ans que la peine de mort n’est plus prononcée en Russie. En abolissant cette peine inhumaine et en ratifiant le Protocole n°6 à la Convention Européenne des droits de l’Homme et le Protocole n°2 au Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques, les autorités russes donneraient enfin un caractère définitif et légalement contraignant à ce moratoire de facto . Une telle avancée devra aller de pair avec des actions de sensibilisations de la population à la peine de mort. Il faut répondre à l’argument de l’opinion publique, et non s’en prévaloir pour justifier l’inaction.

Par conséquent, la FIDH vous appelle à prendre les mesures nécessaires afin que la Russie
 abolisse la peine de mort en droit interne,
 ratifie le protocole n°6 et se conforme ainsi aux engagements souscrits lors de son adhésion au Conseil de l’Europe,
 ratifie le Protocole n°2 au Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques,
 envisage la possibilité de ratifier le Protocole n°13 à la Convention Européenne des droits de l’Homme, relatif à l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances, entré en vigueur en 2003.

Vous remerciant pour l’attention que vous voudrez bien porter à cette requête, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma haute considération.

Souhayr Belhassen
Présidente

Rappel des faits

Lors de son entrée au Conseil de l’Europe le 28 février 1996, la Russie a dû s’engager à abolir la peine de mort. Elle aurait en principe dû ratifier le Protocole n°6 à la Convention Européenne des droits de l’Homme dans un délai de 3 ans.
En 1982, le Conseil de l’Europe a adopté le Protocole n°6 à la Convention européenne des droits de l’homme, premier instrument juridiquement contraignant relatif à l’abolition de la peine de mort en temps de paix. En 1989, l’adhésion au Conseil de l’Europe devient subordonnée à l’abolition de la peine de mort et à la signature du protocole n°6 que la Russie a effectivement signé en avril 1997, mais non ratifié.

Ainsi, en 1996, pour se conformer aux obligations internationales de la Fédération de Russie, l’exécution des condamnations à mort a cessé. En effet, le président Boris Eltsine a décidé de ne plus examiner les recours en grâce des condamnés, qui constituaient la dernière étape avant l’exécution des condamnations à mort. Le décret présidentiel n°724 du 16 mai 1996 intitulé « Sur la suppression progressive de l’application de la peine de mort en lien avec l’entrée de la Russie dans le Conseil de l’Europe » est considéré comme étant un moratoire sur l’exécution de la peine de mort. En réalité ce décret prévoit la préparation d’un projet de loi sur la ratification du Protocole n°6 et recommande l’accélération de l’introduction du Code pénal de la Fédération russe qui réduit le nombre des crimes capitaux de 33 à 5, pour ne garder que l’homicide prémédité avec circonstances aggravantes, la tentative d’homicide contre un personnage public ou un fonctionnaire, la tentative d’homicide d’un administrateur de la justice ou d’un enquêteur, la tentative d’homicide d’un fonctionnaire de la loi, et enfin le génocide.

Le moratoire de 1999 qui prévaut aujourd’hui en Russie n’est pas un moratoire de jure mais un moratoire de facto.

La Constitution de la Fédération de Russie de 1993 (dans la 2ème partie de l’article 20) garantit à toute personne accusée de crimes particulièrement graves et qui risque la peine de mort, l’examen de son cas par une cour d’assises. Or, les cours d’assises n’existaient que dans neuf des sujets2 de la Fédération de Russie.
Ainsi, la condamnation à la peine de mort a été interdite jusqu’à l’introduction des cours d’assises sur tout le territoire de la Russie, par le décret N°3-P de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie du 2 février 1999, selon lequel « la peine de mort ne peut pas être prononcée quelle que soit la composition du tribunal qui examine l’affaire, que ce soit un jury criminel, un collège composé de 3 juges professionnels ou un tribunal composé d’un juge et de deux jurés populaires ». La décision de la Cour constitutionnelle prévoit « qu’il faut immédiatement apporter à la législation les changements garantissant, sur l’ensemble du territoire de la Fédération de Russie, à tout inculpé de crimes pouvant tomber sous le coup de la peine de mort selon la loi fédérale, la possibilité de faire examiner son cas par une cour d’assises ».
C’est pourquoi la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie a interdit les condamnations à mort jusqu’à l’introduction des cours d’assises sur l’ensemble du territoire russe. En 2006, seule la République de Tchétchénie ne disposait pas de cour d’assises. Le 26 octobre 2006, le président de la Cour Constitutionnelle de Russie M. Valeriï Zorkin a déclaré que l’introduction des cours d’assises en Tchétchénie pouvait être reportée à 2010. Ainsi le 1er janvier 2010 les cours d’assises seront présentes sur tout le territoire de la Fédération de Russie, levant les obstacles juridiques qui empêchaient jusque là l’application de la peine de mort.
Le 29 octobre 2009, l’assemblée plénière de la Cour suprême de Russie a saisi la Cour constitutionnelle pour qu’elle se prononce sur cette question avec pour objectif de savoir si l’on peut avoir recours à la peine de mort alors que la Russie doit tenir ses engagements envers le Conseil de l’Europe.
Les différents organes internationaux de défense des droits de l’Homme ont à de nombreuses reprises rappelé à la Fédération de Russie la nécessité de respecter ses engagements. Ainsi, le 24 octobre 2007, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a rappelé à la Fédération de Russie l’urgence de prendre les mesures nécessaires afin de transformer le moratoire existant en abolition définitive de la peine de mort par la ratification du Protocole n°6. Le 17 janvier 2009, le président de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe René van der Linden en visite en Russie a déclaré que la position adoptée par M Poutine contre la peine de mort devait être confirmée formellement par la ratification du Protocole.3

Le 24 juin 2009, l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) a rappelé à la Russie la non tenue de ses engagements. Dans la résolution 1676 intitulée Situation des droits de l’Homme en Europe et évolution de la procédure de suivi de l’Assemblée, l’APCE précise que : « La Russie étant le seul État membre à n’avoir pas encore ratifié ces deux importants protocoles ( n°6 et n°144 ), cette question est une pierre d’achoppement essentielle dans sa coopération avec le Conseil de l’Europe ». Thomas Hammarberg, Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, a déclaré le 5 octobre 2009, « Un moratoire a été instauré mais la Douma ne semble pas encore mûre pour l’abolition de jure ».

Les 15 et 16 octobre dernier, lors de la 97° session du Comité pour les droits de l’Homme de l’ONU, Georgy Matyushkin, Vice-ministre de la Justice de la Fédération de Russie a mentionné que l’opinion publique n’était pas favorable à l’abolition de la peine de mort, qu’un long travail préparatoire devrait être entamé en vue de l’abolition mais que ce n’était qu’une question de temps. Cependant il n’était pas en mesure de préciser dans quel délai l’abolition pourrait intervenir. En réponse aux questions des membres du Comité sur l’opinion publique hostile à l’abolition, il a précisé que les autorités ne voulaient pas déclencher un conflit social.

Cependant, le Comité note dans ses observations finales du 29 octobre 2009, que la peine de mort n’a toujours pas été abolie malgré le moratoire et exprime sa préoccupation quant à l’expiration du moratoire le 1er janvier 2010. Le Comité conclut que « l’État doit prendre les mesures nécessaire pour abolir de jure la peine de mort et ceci le plus tôt possible » et qu’ « il doit également envisager la ratification du deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte International relatif aux droits civils et politiques. »

La FIDH rappelle que la Russie s’est engagée à respecter ses obligations générales au titre du Statut du Conseil de l’Europe dont l’article 3 précise les conditions requises pour pouvoir adhérer au Conseil de l’Europe, à savoir la prééminence du droit et le respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales de toutes les personnes placées sous sa juridiction. La Russie a aussi accepté de respecter, dans des délais définis, un certain nombre d’engagements spécifiques énumérés dans l’Avis N° 193 (1996), à savoir de « signer dans l’année et de ratifier dans les trois ans suivant son adhésion le Protocole n°6 à la Convention européenne des droits de l’Homme concernant l’abolition de la peine de mort en temps de paix, et de mettre en place un moratoire sur les exécutions prenant effet le jour de l’adhésion ». Cependant, le Protocole n°6, signé par la fédération de Russie en avril 1997 n’a à ce jour pas été ratifié.

Par ailleurs la Russie a ratifié en 1973 le Pacte International relatif aux droits civils et politiques dont l’article 6 consacre le droit à la vie et dont l’esprit est abolitionniste. La Russie a également ratifié la Convention contre la Torture et les traitements et punitions cruels, inhumains ou dégradants en 1987. Elle a également voté en faveur de la Résolution des Nations Unies pour un moratoire mondial sur les exécutions, le 18 décembre 2008.

Lire la suite