Irlande du Nord : le gouvernement britannique tente de dissimuler ses crimes

10/04/2023
Communiqué
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Belfast, Paris, 10 avril 2023. 25 ans après l’Accord du Vendredi saint (AGF), les mécanismes de traitement des crimes commis pendant les 30 années de conflit en Irlande du Nord sont fondamentalement remis en question. Le gouvernement britannique n’a cessé de faire de l’obstruction et le projet de loi « Northern Ireland Troubles Bill » (loi sur les troubles en Irlande du Nord) est dans sa dernière ligne droite avant d’être adopté. Si cette politique d’amnistie était appliquée, le Royaume-Uni se rendrait coupable d’impunité orchestrée par l’État.

L’accord qui a mis fin au conflit en Irlande du Nord a 25 ans aujourd’hui. Déposé auprès des Nations unies en 1998, le traité de paix bilatéral (Royaume-Uni et Irlande), dit accord du Vendredi saint (AGF), a officiellement mis fin à 30 ans de conflit ouvert. Suscitant à l’époque un important engagement international, l’image internationale du Royaume-Uni avait énormément bénéficié de cette initiative conjointe. L’héritage de cet engagement international est palpable encore aujourd’hui : le président américain Joe Biden doit prendre part aux commémorations, tout comme les Clinton, les personnalités des gouvernements britannique et irlandais qui ont survécu, ainsi que les acteurs locaux de l’époque. Mais comme beaucoup de changements de paradigme issus des années 1990, l’histoire ne s’est pas révélée aussi simple. Avançant à pas feutrés, le gouvernement britannique s’est efforcé de saper l’application du traité ainsi que des accords de paix ultérieurs.

Un accord de paix historique menacé par un projet de loi d’amnistie « fatalement défectueux » et « illégal »

Après des années de déstabilisation de l’AGF entraînées par le « Brexit », le gouvernement britannique pousse maintenant dans ses dernières étapes avant l’adoption son projet de loi « Northern Ireland Troubles Bill » (loi sur les troubles en Irlande du Nord). Initialement introduit en 2020, le projet du gouvernement de Boris Johnson avait déchiré l’accord de Stormont House de 2014, un autre accord bilatéral sur le processus de paix, qui comprenait un traité et aurait prévu de nouveaux mécanismes de justice transitionnelle. Au lieu de cela, le gouvernement de Boris Johnson avait élaboré des propositions en faveur d’une amnistie générale dont la portée s’était révélée plus large que celle introduite par le général Pinochet au Chili. L’opposition nationale en Irlande du Nord et du Sud avait vivement critiqué ces propositions, tout comme les expert·es de l’ONU qui ont affirmé que cette politique placerait le Royaume-Uni « en violation flagrante de ses obligations internationales ». Ces critiques n’ont donné lieu qu’à des changements superficiels, le texte législatif final ayant été présenté en mai 2022. L’amnistie générale a été remplacée par un « régime d’immunités conditionnelles » avec un seuil manifestement bas et subjectif. S’il était adopté, il empêcherait les responsables de violations des droits humains de devoir rendre des comptes et fermerait la porte à d’autres enquêtes. La Commission officielle des droits de l’homme d’Irlande du Nord, créée par l’AGF, a qualifié le projet de loi de « fatalement défectueux » et d’illégal. Pour Daniel Holder, directeur du Northern Ireland Committee on the administration of Justice (CAJ) « Ce n’est tout simplement pas une situation dans laquelle nous devrions nous trouver 25 ans après l’accord du Vendredi saint ».

« La tentative du gouvernement de Rishi Sunak d’exempter les responsables de torture et d’autres violations des droits humains en Irlande du Nord est un acte inacceptable contre l’histoire. Si le Royaume-Uni souhaite vraiment se séparer de son passé colonial, il doit entreprendre une introspection sincère et permettre enfin la reconnaissance de la vérité et la réparation pour les victimes. C’est le seul moyen d’éviter la répétition de ces crimes », a déclaré Alice Mogwe, présidente de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH).

La décision d’abandonner un traité de paix au profit d’un projet de loi d’amnistie intervient au moment où les victimes obtiennent enfin gain de cause après des années d’obstruction de la part du Royaume-Uni pour empêcher les enquêtes sur les meurtres perpétrés par l’État ou la collusion paramilitaire. Une partie de la presse de droite et du parti conservateur a fait campagne contre ce qu’elle a qualifié de « chasse aux sorcières » à l’encontre des vétérans de l’armée, bien qu’un seul soldat ait été condamné depuis la signature de l’AGF. En plus de ces influences, ce projet de loi est également motivée par le fait que la récupération d’informations permet de mettre au jour des schémas répétés de violations des droits humains.

L’armée britannique a des antécédents inquiétants en matière de torture et d’assassinats systématiques

Plus de 3 700 personnes ont été tuées pendant le conflit, principalement par des groupes armés républicains (irlandais) et des paramilitaires loyalistes (britanniques), mais aussi par les forces de sécurité britanniques. Les violations des droits humain commises par l’État qui ont alimenté le conflit concernent les assassinats militaires directs, mais aussi la collusion des forces de sécurité avec les groupes paramilitaires ainsi que l’utilisation de la torture. Ces pratiques ne sont en aucun cas propres à l’Irlande du Nord. Les stratégies de contre-insurrection « gangs et contre-gangs » de l’armée britannique ont été déployées dans de nombreuses guerres coloniales. Les « cinq techniques » et autres formes de torture, y compris le « waterboarding », pratiquées en Irlande du Nord, ont refait surface en Irak et ailleurs. La nécessité de rendre des comptes pour éviter que l’histoire ne se répète est on ne peut plus claire.

Cette légalisation n’est pas une affaire réglée. Elle fera l’objet de multiples contestations juridiques nationales de la part des victimes et des organismes de défense des droits humains. Le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović a appelé le Royaume-Uni à retirer le projet de loi. Les expert·es des procédures spéciales de l’ONU ont également continué à mettre en garde contre le fait que la législation ne respectait pas les obligations d’enquêter sur les violations graves des droits humains, qu’elle empêcherait les victimes de connaître la vérité et d’obtenir réparation, qu’elle porterait atteinte à l’État de droit et qu’elle violerait les obligations internationales. Jusqu’en 2023, le Haut Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme Volker Türk est également intervenu dans des termes similaires. Le gouvernement irlandais envisage également l’option de porter plainte contre le gouvernement britannique devant la Cour européenne des droits de l’homme dans le cadre d’une affaire interétatique. Si la législation devait prévaloir, elle ne mettrait pas seulement fin à des enquêtes sérieuses en Irlande du Nord, mais créerait un dangereux précédent d’impunité orchestrée par l’État pour d’autres pays.

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