Loi de « compétence universelle » deuxième mouture : un arrêt en demi-teinte

24/03/2005
Communiqué

Suite à une action conjointe des deux ligues affiliées à la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) en Belgique, la Ligue belge des droits de l’Homme et de la Liga voor Mensenrechten, la Cour d’Arbitrage de Belgique annule partiellement la loi du 5 août 2003 relative aux violations graves du droit international humanitaire, qui remplace la loi dite de « compétence universelle ».

La Ligue belge des droits de l’Homme (LDH) et la Liga voor Mensenrechten (Liga) ont demandé à la Cour d’arbitrage l’annulation partielle de la loi du 5 août 2003 relative aux violations graves du droit international humanitaire, qui remplace la loi dite de « compétence universelle ».

Ce recours, introduit le 9 février 2004, poursuivait deux objectifs : assurer une meilleure protection des droits de l’Homme en garantissant l’effectivité des poursuites en Belgique des crimes de génocide, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité et éliminer une discrimination flagrante à l’égard des victimes de ces violations1.
Cette loi du 5 août 2003 modifie la loi du 16 juin 1993 relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire, dite loi de « compétence universelle ». Cette seconde mouture de la loi de compétence universelle diminue le champ d’application de la loi de 1993 de manière telle que l’intention initiale du législateur s’en trouve complètement vidée. Entre autres choses, cette loi institue un « système de filtrage des plaintes » qui sont introduites par les victimes des violations du droit international humanitaire lorsque l’auteur n’est ni belge ni résident en Belgique : des poursuites ne peuvent être engagées qu’à la requête du procureur fédéral qui apprécie, de manière discrétionnaire, l’opportunité de poursuivre ou non l’auteur présumé de ces violations.

De plus, la décision du parquet fédéral de poursuivre ou non les violations qui lui sont rapportées ne sont « pas susceptible de recours ». Une mesure considérée par la LDH et la Liga comme discriminatoire et contraire à l’article 6 § 1er de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui prévoit que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue
La LDH et la Liga ont demandé à la Cour d’arbitrage l’annulation des dispositions précitées afin de mettre un terme à la discrimination existant dans la loi et ainsi garantir une meilleure protection des droits de l’Homme.

L’Arrêt de la Cour d’Arbitrage :
La Cour affirme qu’un système de filtrage des plaintes introduites par des victimes des violations graves du droit international humanitaire n’est acceptable que pour autant que la décision de ne pas poursuivre soit prise « par un juge indépendant et impartial ».

La Cour estime donc « que le contrôle exercé par le procureur fédéral ne présente pas de garanties suffisantes » : le procureur fédéral étant inséré dans un lien hiérarchique et dépendant du pouvoir exécutif, le risque est réel que celui-ci ait en vue d’autres éléments que la bonne administration de la justice, comme par exemple les intérêts diplomatiques et économiques de l’Etat. On se souvient des pressions exercées par certains Etats, principalement les Etats-Unis et Israël, qui ont mené à l’immixtion du pouvoir exécutif dans les prérogatives du pouvoir judiciaire afin que soient retirées certaines plaintes gênantes contre les chefs d’Etat de ces pays, suspectés d’être les auteurs de violations massives des droits fondamentaux. En réaffirmant la nécessité d’un contrôle indépendant, la Cour souligne également l’importance du principe de la séparation des pouvoirs.
Toutefois, la Cour n’a suivi que partiellement cette logique. En effet, la loi querellée donne pouvoir au procureur de rejeter une requête pour quatre motifs :
1. la requête est manifestement mal fondée ;
2. elle est entachée d’une erreur de qualification ;
3. elle est irrecevable ;
4. les circonstances concrètes de l’affaire révèlent qu’une autre juridiction est davantage indiquée pour connaître de l’affaire (soit une juridiction internationale, soit une juridiction nationale d’un autre Etat).

Dans le présent arrêt, la Cour affirme qu’un contrôle par un juge indépendant et impartial doit avoir lieu lorsque la requête a été rejetée pour les trois premières raisons précitées.

Cependant, la Cour estime que la décision du procureur de rejeter le recours en raison du fait qu’il existe une autre juridiction plus compétente n’est susceptible d’aucun contrôle par un juge indépendant et impartial. La raison invoquée est que, dans ce cas de figure, l’affaire est renvoyée vers une juridiction étrangère ou internationale qui est elle-même indépendante et impartiale.
Un problème pourrait résulter du fait que le procureur pourrait utiliser à l’envi le quatrième motif (juridiction davantage indiquée) pour évacuer toutes les plaintes qui présenteraient un caractère gênant pour l’image de marque de la Belgique et ne déclarer recevable que les plaintes qui n’auraient pas pour effet de nuire aux bonnes relations économiques et diplomatiques de l’Etat.

En outre, il n’existe aucune garantie que la plainte sera traitée par les juridictions vers lesquelles elle est renvoyée. Or, il est impérieux de s’assurer que le juge vers lequel l’affaire est renvoyée traitera celle-ci et ne se bornera pas à effectuer un examen de surface.
Afin d’éviter cet écueil, la LDH et la Liga souhaitent que, si l’affaire n’est pas traitée par la juridiction étrangère ou internationale saisie, le juge belge redevienne compétent.

Exemple : une plainte déposée contre Ariel Sharon et Amos Yaron pour leur implication dans les massacres de Sabra et Chatila pourrait être renvoyée vers les juridictions israéliennes par le procureur fédéral. Par contre, lorsque la plainte est dirigée contre des particuliers impliqués dans le génocide rwandais, il est permis de penser que le procureur donnera son aval aux poursuites.

Par ailleurs, Il est important de noter que de nombreux Etats (parmi lesquels se trouvent les Etats-Unis et Israël) ne reconnaissent pas la compétence de la Cour pénale internationale, et que celle-ci n’est compétente que pour les violations survenues après le 1er juillet 2002.
Un autre inconvénient pourrait surgir du fait que le procureur fédéral doit juger, pour pouvoir refuser l’examen d’une plainte par les juridictions belges, des qualités d’indépendance, d’impartialité et d’équité des juridictions étrangères ou internationales. De quelle légitimité bénéficie le procureur fédéral belge pour juger les juridictions étrangères ? Certes, une juridiction indépendante et impartiale serait confrontée au même inconvénient, mais celle-ci bénéficie, à nos yeux, d’une plus grande légitimité du fait, d’une part, qu’il s’agit d’un organe collégial et surtout, d’autre part, qu’elle ne peut recevoir d’injonctions du pouvoir exécutif.
La Cour d’arbitrage a décidé de maintenir les effets des dispositions annulées jusqu’au 31 mars 2006, afin de laisser au législateur le temps nécessaire pour modifier la loi.

La LDH et la Liga - auxquelles se joint la Fédération internationale des droits de l’Homme - estiment indispensable que le législateur mette à profit ce laps de temps pour trouver une solution aux problèmes précités, notamment en prévoyant un système de suivi des affaires renvoyées vers des juridictions internationales ou étrangères et ce, dans un souci de bonne administration de la justice et afin d’assurer la protection la plus efficace possible aux victimes de violations graves du droit international humanitaire.

Pour plus d’informations :
FIDH +331 43 55 25 18
Ligue belge des droits de l’Homme : Dan Van Raemdonck, président : 0478-29.64.28 / Manuel Lambert, conseiller juridique : 02-209.62.87
Liga voor mensenrechten : Paul Pataer, administrateur :* 0478-23.43.32.

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