Lettre à Ales Bialiatski de Artak Kirakossian, Secrétaire général de la FIDH et Président du Bureau de "Civil Society Institute", Armenie

26/08/2011
Communiqué
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25 août 2011
Erevan

Cher Ales,

J’ai été habité par les sentiments les plus contradictoires depuis cet été, quand j’ai appris qu’une menace terrible planait au-dessus de toi : les autorités du Bélarus avaient reçu un « cadeau » de la part de la Pologne et de la Lituanie, comportant des informations sur tes activités de défenseur des droits de l’homme et sur les activités du Centre de Défense des droits de l’homme « Viasna ». J’ai éprouvé de la compassion et de l’amertume, en pensant que tu risquais fort, à brève échéance, de te retrouver en prison — l’une de ces prisons aux conditions de détention monstrueuses sur lesquelles nous avons toi et moi, au cours de notre récente visite à Minsk, recueilli de nombreux témoignages en interrogeant des activistes et des opposants qui en avaient fait l’expérience. J’ai éprouvé aussi un profond sentiment d’injustice, en songeant qu’un homme comme toi, qui aime si fidèlement et si passionnément son pays, son peuple et sa culture, puisse être trahi par ses « amis » et se retrouver dans les geôles de sa propre patrie.

Mais, dans le même temps, je ressentais une immense admiration envers ton courage inflexible, dénué de tout héroïsme ostentatoire. Envers ta détermination à servir ton pays et à souffrir personnellement pour attirer l’attention sur ce régime cruel et buté, qui parvient à survivre au centre de l’Europe grâce au laxisme des « pays démocratiques » — et, bien sûr, de sa propre population. Tout défenseur des droits de l’homme est quelque peu naïf. Il attend des hommes plus qu’ils sont prêts à faire, il veut qu’ils soient déjà ce qu’ils sont encore à devenir.

Parfaitement au fait du danger que tu encourais, tu es rentré à Minsk. Tu n’as même pas songé qu’il était possible de faire autrement.

Bien sûr, nous espérions que tu serais épargné, que ceux qui prennent les décisions aujourd’hui au Bélarus auraient suffisamment de jugeote pour ne pas aller jusque là. Qu’ils auraient assez d’intelligence pour ne pas embastiller celui qui parle OUVERTEMENT des problèmes du pays, qui défend OUVERTEMENT les citoyens face à l’arbitraire du système, qui parle OUVERTEMENT des maux qui affligent le régime. Car on sait depuis longtemps comment finissent les régimes qui se sont privés de la possibilité d’entendre la vérité. Ils ont beau s’entourer d’un mur constitué de services de sécurité, de délateurs et de flagorneurs, ils finissent toujours par périr. Et pourtant, chaque dictateur veut croire qu’il échappera au destin de Beria, Ceausescu, Pinochet, Saddam Hussein. Hélas, les autorités bélarusses sont en train de chuter dans le même gouffre, sous nos yeux.

Tu es déjà en prison. Cela signifie que si le régime parvient à digérer même un homme tel qu’Ales Bialitski, alors l’appareil répressif ne s’arrêtera plus. Une fois débarrassé de ses « ennemis déclarés », il passsera aux « ennemis cachés », car cet appareil doit en permanence fonctionner et donner des résultats. Cela signifie que les forces de sécurité vont aveuglement s’emparer de tout les citoyens, car le nombre de mécontents va croître, mais personne ne pourra plus protester ouvertement, comme tu l’as fait.

Mais non, Valik a raison quand il dit qu’« ils vont s’étouffer en essayant d’avaler Bialitski ». Je l’espère aussi. J’ai foi en les Bélarusses. J’espère qu’ils ne se laisseront pas aveugler par les accusations montées de toutes pièces par le pouvoir, lequel prétend que les militants des droits de l’homme, qui depuis quinze ans défendent leurs concitoyens de façon désintéressée et au mépris du danger, auraient dissimulé d’énormes sommes d’argent. J’espère que, en dépit des calculs de ce pouvoir pourri jusqu’à la moëlle, les Bélarusses ne te jugeront pas en fonction de leur « moi primaire », qui justifie le conformisme et l’indifférence en partant du principe « tous les mêmes ». Aussi hauts que soient les murs dans lesquels tu seras enfermé, tes concitoyens se souviendront de toi tel que nous te connaissons tous depuis des années : courageux, désintéressé, déterminé, pensant toujours aux autres et jamais à toi-même. Un homme qui fait toujours ce qu’il considère comme étant juste, quel qu’en soit le prix.

Je te serre fermement la main,

Artak Kirakossian,
Secrétaire général de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH)
Président de l’Institut de la société civile
Erevan
Arménie

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