Nasrin Sotoudeh est une des plus emblématiques avocates des droits de l’homme en Iran. Elle est lauréate de nombreuses distinctions très prestigieuses dans le domaine des droits de l’homme, notamment le Prix Sakharov 2012 pour la Liberté de l’esprit décerné par le Parlement européen, qu’elle a partagé avec le cinéaste iranien Jafar Panahi, ainsi que le Prix PEN / Barbara Goldsmith Pour la Liberté d’écrire. Elle est reconnue pour sa participation à la Campagne pour l’égalité des droits des femmes, ainsi que pour sa défense de militantes des droits des femmes, de mineurs condamnés à mort, de journalistes, de militants des droits des Kurdes, et d’autres avocats des droits de l’homme, dont la prix Nobel Shirin Ebadi. Pour beaucoup d’Iraniens, elle est un héroïne nationale.
Avant les élections de 2009, Nasrin Sotoudeh jouait un rôle important au sein de la Coalition des Femmes Iraniennes, créée pour défendre les droits des femmes en Iran. Après les élections truquées et les manifestations qui les ont suivies, elle a défendu les familles de personnes tuées par les forces de sécurité. Son domicile et son bureau ont été l’objet de descentes de police, et en septembre 2010 elle a été arrêtée.
En janvier 2011, elle a été condamnée à 11 ans de prison pour « propagande contre le système » , « atteinte à la sécurité nationale » et pour son appartenance à l’ONG Defenders of Human Rights Center. À la suite de demandes répétées appelant à sa libération de la part des Nations Unies, de gouvernements et d’ONG du monde entier dont la FIDH, sa peine a été réduite à six ans d’emprisonnement dans la prison d’Evin, à la sinistre réputation. Alors qu’elle était incarcérée, elle a été présentée menottée au tribunal qui devait décider si elle devait aussi être interdite d’exercer de sa profession. La scène a provoqué la protestation outragée du président de la FIDH, Karim Lahidji : « Ils ont menotté les mains qui méritent des baisers ! ». Dans un récent entretien avec la FIDH, Sotoudeh a confié que lorsque son mari lui a rapporté ces paroles, elle s’est sentie plus forte.
Libérée de la prison d’Evin, Nasrin Sotoudeh poursuit ses activités
En 2013, ayant purgé trois années de sa peine, Nasrin Sotoudeh a été libérée de façon inattendue et sans explication de la part des autorités. Au cours de son incarcération elle a été maintenue en isolement et a fait plusieurs grèves de la faim pour protester contre les conditions de détention inhumaines et contre l’interdiction de sortie du territoire infligée à son mari et à sa fille de douze ans. Une de ces grèves a duré 49 jours et lui a fait perdre 43 kg. Dès sa sortie de prison, malgré son état général affaibli, Nasrin Sotoudeh a immédiatement repris son combat pour le respect des droits de l’homme en Iran.
Depuis lors, elle a réactivé la Professional Women Lawyers Association et le Children’s Rights Committee, qu’elle avait contribué à fonder avant son incarcération. Toutefois, elle consacre la majeure partie de son énergie à une nouvelle campagne qu’elle a aidé à lancer pour abolir la peine de mort en Iran, Step by Step to Stop the Death Penalty (LEGAM). L’objectif : amender la législation iranienne afin de limiter progressivement le recours à la peine capitale, pour finir par l’abolir tout à fait.
L’engagement de Nasrin Sotoudeh contre la peine de mort revêt une importance particulière, les exécutions étant reparties à la hausse ces dernières années. La Coalition mondiale contre la peine de mort signale 721 exécutions en Iran en 2014, contre 624 en 2013 et 580 en 2012, un nombre qui devrait encore croître en 2015 [1].
La peine de mort est un domaine que Nasrin Sotoudeh connaît bien. En 2007, alors qu’elle était enceinte de son deuxième enfant, elle a pris la défense d’un garçon de 15 ans nommé Sina, condamné à mort pour meurtre. Toutes les voies juridiques étant épuisées, Nasrin Sotoudeh s’est tournée vers les médias, lançant de nombreux appels publics pour éviter son exécution. Grâce à ses efforts, la famille a pu réunir suffisamment d’argent pour éviter que le garçon ne soit exécuté [2]. Nasrin Sotoudeh explique toutefois que la majorité des affaires concernant des mineurs dans le couloir de la mort ne finissent pas aussi bien.
Jusqu’à récemment, son action en faveur de réformes législatives était fortement bridée par la décision de l’Association du barreau iranien qui, sous forte pression des autorités judiciaires, a suspendu pour trois ans sa licence d’exercer en tant qu’avocate en octobre 2014. Pour protester, Nasrin Sotoudeh a organisé des sit-in quotidiens devant le siège de l’Association. Sa persévérance et celle de ses soutiens a fini par payer : le 23 juin, elle a été avisée que l’Association du barreau iranien était revenu sur la durée de son interdiction d’exercer, la ramenant à neuf mois. Comme ce délai était déjà écoulé, Nasrin Sotoudeh a annoncé qu’elle renouvellerait sans tarder sa demande de licence. Dans une interview à Iranwire après la décision de 2015, elle a de nouveau affirmé son intention de défendre des dissidents iraniens privés de leurs droits civiques, ajoutant : « Quelle que soit la décision prise par ces citoyens pour protester contre la perte de ces droits, je serai à leurs côtés, en tant qu’avocate et en tant que militante des droits de l’homme. S’ils décident de mener leur action par la voie juridique, je serai honorée de les accompagner. S’ils décident d’agir en manifestant, je serai à leurs côtés. »
Une force pour la liberté d’expression
Lorsqu’on lui demande ce qui l’a poussée à devenir défenseure des droits humains, Nasrin Sotoudeh répond qu’en tant qu’avocate elle devait faire un choix. « Lorsqu’un avocat assiste à un procès inéquitable, ou à l’exécution de mineurs, il doit ou bien leur tourner le dos, ou bien faire face au problème. Je pense être entrée dans la mouvance des droits humains le jour où j’ai décidé de ne pas fuir ces enjeux. »
Nasrin Sotoudeh vise à changer l’Iran de l’intérieur, en instruisant des affaires et en cherchant à convaincre de la nécessité de protéger les droits humains. Comme elle l’a dit récemment à propos de son conflit avec l’Association du barreau : « La voie des négociations ne doit jamais être fermée. Il y a cependant des conditions préalables. Si elles sont remplies, nous devrions accueillir volontiers ces négociations. Sinon, il ne faut pas insister uniquement sur les négociations. Nous devons avoir recours à l’action civile pour amener l’autre partie à la table des négociations. »
Ainsi, elle continue à exprimer sans crainte ses opinions. Au cours d’une brève apparition dans le film récent de Jafar Panahi, « Taxi Téhéran » [3], Nasrin Sotoudeh raconte le sort difficile réservé en Iran aux défenseurs des droits de l’homme et aux dissidents, sans jamais quitter son sourire, un sourire de défi :
« [Les services de sécurité] travaillent de telle manière que nous savons qu’ils nous observent. Leurs tactiques sont évidentes. D’abord, ils vous concoctent un casier judiciaire. Ensuite, on vous accuse d’être un agent du Mossad, de la CIA ou de MI5. Ensuite ils ajoutent quelque chose sur vos mœurs, sur votre style de vie. Ils font de votre vie une prison. On vous libère de prison, mais le monde extérieur n’est qu’une plus vaste prison. Ils font de vos amis vos pires ennemis. Il ne vous reste plus qu’à quitter le pays, ou prier pour qu’on vous remette au trou. Une seule parade : laisser courir. »