Questions et réponses : élection présidentielle en Iran

18/05/2017
Communiqué
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L’élection présidentielle en Iran est programmée pour le 19 mai 2017. Depuis son instauration en 1979, la République Islamique d’Iran a très régulièrement organisé des élections parlementaires et présidentielles, mais ces scrutins ont régulièrement échoué à respecter les normes internationales qui garantissent qu’une élection est libre, équitable et crédible. Ce document - sous forme de questions et réponses - tente de répondre à un grand nombre de questions urgentes à propos de cette élection toute proche.

1. Qui supervise le processus électoral ?

2. Qui a le droit de vote ?

3. Qui peut se porter candidat aux élections présidentielles ?

4. Qui sont les candidats approuvés pour l’élection présidentielle du 19 mai ?

5. Quel est la réputation des six principaux candidats en matière de droits de l’Homme ?

6. Des observateurs seront-ils autorisés à surveiller les élections ?

7. Y a-t-il eu une campagne électorale ?

8. A quel point le rôle du Président est-il décisif ?

Qui supervise le processus électoral ?

Les seuls habilités à interpréter les lois électorales, à approuver la validité des candidatures, à superviser le processus électoral, à recevoir et à statuer sur les plaintes relatives à des allégations d’irrégularités, à confirmer les résultats des élections, à les communiquer au Ministre de l’Intérieur et à lui donner instruction d’annoncer les résultats sont les 12 membres du Conseil des Gardiens de la Constitution.Le Conseil des Gardiens nomme à son tour un Conseil Central chargé de la supervision des élections (CCSE) ainsi que des conseils de supervision ou des superviseurs au niveaux locaux.

Le conseil des Gardiens se compose de six membres parmi les plus anciens du clergé nommés par le Leader suprême de l’Iran, l’Ayatollah Ali Khameini, et de six juristes désignés par le Parlement, mais ce sont en fait les membres du clergé qui ont pouvoir de décision sur le processus électoral. Le Ministre de l’Intérieur organise le scrutin, le comptage des voix et d’autres aspects administratifs de l’élection, sous le contrôle du Conseil Exécutif Central des Elections (CEBE -pour Central Executive Board of Election) [1]. Des Conseils Exécutifs administratifs sont également mis en place au niveau local.

Qui a le droit de vote ?

La loi n’interdit pas spécifiquement à quelqu’un de voter. Tous les citoyens iraniens ont le droit de vote dès qu’ils ont dix-huit ans, à condition qu’ils ne soient pas déclarés handicapés mentaux, et qu’ils possèdent une carte d’identité officielle (ou un passeport, s’ils résident à l’étranger). Les prisonniers sont aussi autorisés à voter, mais dans leur cas, la carte d’identité officielle n’est pas strictement exigée. Il faut remarquer toutefois que les Afghans qui ont vécu en Iran depuis près de 40 ans ainsi que leurs enfants, qui sont nés et ont grandi en Iran, n’ont pas le droit de voter car il n’existe aucune loi leur permettant de demander la nationalité iranienne.

Qui peut se porter candidat aux élections présidentielles ?

L’Article 35 de la Loi sur l’Election Présidentielle, qui cite en toutes lettres l’Article 115 de la Constitution, est discriminatoire et ne respecte pas les normes internationales en matière d’élections. Cet article précise que les candidats à la présidence doivent être rejal [2], croyants et fidèles adhérents aux fondements de la République Islamique d’Iran et à la religion officielle du pays”. En fait cette disposition interdit à tous les membres de l’opposition, aux personnes qui critiquent le gouvernement, aux femmes et aux non-shiites de se porter candidat.

Des femmes se sont régulièrement enregistrées comme candidates lors des 12 élections présidentielles qui se sont déroulées en Iran depuis 1979, mais le Conseil des Gardiens les a systématiquement disqualifiées.

Les membres de l’opposition ne prennent même pas le risque de se porter candidats. La dernière fois qu’un candidat associé avec l’opposition s’est enregistré - et s’est retiré avant l’élection - c’était lors de la première élection présidentielle en 1979. Certains critiques du gouvernement qui se portent occasionnellement candidats sont disqualifiés automatiquement.

Religion officielle : En vertu de la Constitution, la “religion officielle du pays” est l’Ecole Jafarite Chiite des Douze Imams. autrement dit, non seulement les adeptes des trois religions non islamiques officiellement reconnues [3] mais même les musulmans non shiites, y compris les musulmans sunnites se voient interdire de se porter candidats à la Présidence.

A la veille des élections actuelles le Conseil des Gardiens de la Constitution ont disqualifié une personne sur sept qui s’étaient portées candidates, y compris les 137 femmes qui s’étaient enregistrées [4]. Il ne restait plus que 0,37 % des 1636 personnes qui s’étaient portées candidates.La disqualification d’un grand nombre de candidats hommes et de toutes les candidates s’est avéré un phénomène récurrent. Lors des élections présidentielles de 2009, par exemple, seuls quatre candidats hommes (0,84%) ont été approuvés sur les 476 personnes enregistrées [5]. Les 42 femmes qui s’étaient enregistrées ont été disqualifiées. En 2013, 686 personnes se sont enregistrées, mais uniquement 8 hommes (1,25%) ont été approuvés. Les 30 femmes qui s’étaient portées candidates ont toutes été disqualifiées. En outre, un certain nombre de précédents ministres et même de ministres en exercice, qui s’étaient enregistrés pour cette élection et les élections présidentielles précédentes ont tous été disqualifiés.

Qui sont les candidats approuvés pour l’élection présidentielle du 19 mai ?

Les six candidats approuvés (tous des hommes) sont :

1) Hassan Rouhani
2) Ebrahim Ra’eesi
3) Mohammad-Bager Qalibaf
4) Es’haq Jahangiri
5) Mostafa Mir-Salim
6) Mostafa Hashemi Taba

Aucun des six n’a jamais critiqué la structure ou la politique générale de l’Etat Iranien et tous ont déjà occupé différentes positions au niveau le plus élevé du système politique du pays. Les deux candidats les mieux placés sont Rouhani et Ra’eesi.

Hassan Rouhani, le président actuel, a occupé de nombreux postes de très haut niveau avant le début de son premier mandat de président en 2013. Ses fonctions précédentes comprenaient : cinq mandats de Membre du Parlement, de 1980 à 2000 ; membre de l’Assemblée des Experts depuis 1991 [6] et depuis 1989, membre et secrétaire du Conseil National Suprême de Sécurité (CNSS) qu’il préside actuellement. On a attribué à Rouhani le succès de l’accord nucléaire avec les puissances 5+1 en 2015, mais son gouvernement n’a pas été capable d’exploiter l’accord pour en tirer des bénéfices économiques pour le pays, et cela pour deux raisons majeures. En premier lieu, la lutte pour le pouvoir entre les membres de l’ “establishment” en Iran a découragé les investisseurs occidentaux. Deuxièmement, les investisseurs ont hésité à nouer des relations commerciales avec l’Iran de peur de sanctions éventuelles de la part des USA. Rouhani a été décrit comme étant auparavant un homme politique inflexible qui avait évolué vers la “modération” et avait trouvé un soutien parmi les groupes “réformistes”, outre l’ex président Khatami.

Ebrahim Ra’eesi, 56 ans, un membre du clergé proche du Leader suprême l’Ayatollah Ali Khameini et son disciple pendant 14 ans. Il a été nommé par le Leader suprême pour diriger une fondation riche et puissante dans la province de Horassan, au début de 2016. La fondation ne paie pas d’impôts et Ebrahim Ra’eesi ne doit rendre des comptes qu’a Khameini. Il a pratiqué différentes professions juridiques depuis qu’il avait à peine vingt ans. Ra’eesi est connu pour défendre une politique pure et dure, il est soutenu par des organisations et des membres du clergé eux aussi très conservateurs, par des journaux défendant cette ligne dure ainsi que par le Corps des Gardiens de la Constitution (IRGC) Même certains membres de l’IRGC, qui se doivent d’être neutres en vertu de la Constitution, participent à ses rassemblements. De nombreux partisans de l’ex Président Mahmoud Ahmadinejad prennent part à sa campagne Mais même si le Leader suprême n’a pas pris - et ne prendra pas - position publiquement, le nombre de partisans alignés sur la politique de Mr Ra’eesi et leurs déclarations publiques est un indice clair des préférences du Leader suprême. C’est là un élément très important car Mr Ra’eesi est considéré favori pour succéder à l’Ayatollah Khameini, qui a 77 ans et dont on dit qu’il est malade.

Mohammad-Baqer Qalibaf, le maire de Téhéran, s’est retiré de la course le 15 mai 2017 en faveur de Ra’eesi. En tant que maire de Téhéran Qalibaf a été impliqué dans plusieurs scandales financiers et politiques.

Es’haq Jahangiri s’est retiré de la course le 16 mai 2017 en faveur de Rouhani. Actuellement vice-président de Mr Rouhani, il est connu pour être “réformiste”. On pense qu’il s’est enregistré en tant que “candidat de secours” au cas les tenants de la ligne dure réussissaient à empêcher le président actuel d’être candidat.

Mostafa Mir-Salim, ex ministre de la Culture et de l’Orientation Islamique, ne représente pas une menace sérieuse pour les deux candidats en tête de course. Il est le seul candidat désigné par un parti politique - qu’on appelle souvent le “Parti du Bazar”, i.e. le parti du secteur commercial. Mr Mir Salim et son parti sont proche des membres du Haut Clergé et du Leader suprême, mais la situation a beaucoup changé depuis 1980 et ils n’ont plus le même poids politique. Le 17 mai 2017, le Parti de la Coalition Islamique a annoncé que Mr Mir Salim s’était retiré de la course et que le parti soutiendrait Mr Ra’eesi. Mr Mir-Salim a nié s’être retiré.

Quel est la réputation des six principaux candidats en matière de droits de l’Homme ?

Hassan Rouhani n’a guère de quoi être fier de son dossier en matière de droits de l’Homme. Alors qu’il était à la tête du Conseil Suprême de la Sécurité, il a fréquemment décidé de faire emprisonner des défenseurs des droits de l’Homme à la réputation impeccable ainsi que des dissidents politiques. Pendant son premier mandat de Président, Mr Rouhani a de temps en temps évoqué sans trop d’enthousiasme une “Charte des Droits des Citoyens”, qui n’est jamais devenue loi. En outre les articles de la “Charte” n’étaient pas très différents des dispositions actuelles de la Constitution qui sont parfaitement anti-démocratiques et discriminatoires, en particulier à l’égard des femmes et des minorités. le gouvernement Rouhani n’a pris aucune mesure particulière pour empêcher les arrestations arbitraires et la détention des militants politiques, des journalistes et des défenseurs des droits de l’Homme ou pour ordonner leur libération. Son Ministère du Renseignement a été responsable de plusieurs des arrestations.

Ebrahim Ra’eesi était à 21 ans procureur adjoint dans les villes de Karaj et Hamedan, où de nombreux dissidents ont été exécutés. En tant que procureur adjoint de Téhéran (1985-89) il a été membre de la Commission nommée par l’Ayatollah Ruhollah Khomeini, le premier Leader Suprême de la République Islamique d’Iran. Cette Commission, baptisée par le peuple la “Commission de la Mort”, était une instance de dernier ressort. En 1988, cette Commission a jugé l’appel de prisonniers politiques qui servaient déjà des peines de prisons et dont le nouveau procès ne durait que quelques minutes [7]. En tant que Vice Ministre de la Justice Ra’eesi a joué de son influence pour que les dissidents fassent l’objet de répressions, soient réduits au silence ou même exécutés, après l’élection présidentielle controversée de 2009.

Mohammad -Bager Qalibaf, ex commandant du Corps des Gardes de la Révolution Islamique, a participé à la répression violente de manifestations populaires, en particulier la révolte des étudiants de 1999, en sa capacité de Commandant des Forces de Police de Téhéran.

Mostafa Mir-Salim s’est montré particulièrement dur pendant son mandat de Ministre de la Culture et de l’Orientation Islamique dans les années 1980, et toutes l’industrie du livre et du cinéma faisaient l’objet de la censure gouvernementale.

Mostafa Hashemi Taba, ancien directeur de l’Organisation iranienne d’éducation physique et responsable du Comité national olympique, n’est pas un candidat sérieux et a déjà déclaré qu’il voterait pour Rouhani.

Des observateurs seront-ils autorisés à surveiller les élections ?

Aucune observation internationale n’est prévue dans les lois électorales. Chaque candidat a le droit d’avoir un représentant dans chaque bureau de vote qui signalera les éventuelles irrégularités au Conseil des Gardiens de la Constitution.

Y a-t-il eu une campagne électorale ?

Les candidats à l’élection avaient le droit de commencer leur campagne à partir du jour où le Ministre de l’Intérieur aurait annoncé leur candidature et de la terminer un jour avant les élections. Cette année des débats télévisés ont été organisés et les six candidats y ont pris part. Les six candidats ont participé à trois débats télévisés, au cours desquels Hassan Rouhani, Ebrahim Ra’eesi, Mohammad-Bager Qalibaf et Es’han Jahangiri ont été accusés de népotisme par les autres candidats, ainsi que d’être corrompus et profiteurs. Les accusations étaient particulièrement virulentes à l’égard de Qalibaf.

Dans cette élection présidentielle on constate un profond clivage entre les différents média nationaux qui sont en faveur de l’un ou de l’autre candidat. Les réseaux sociaux, en particulier Facebook et Instagram jouent un rôle très important dans la stratégie de campagne d’un candidat. Et les principaux candidats ont tous un compte Facebook, Twitter ou Instagram. L’appareil judiciaire a bloqué plusieurs réseaux pro-Rouhani sur une application très populaire, Telegram , et arrêté ses administrateurs ainsi qu’ au moins une personne qui a ouvertement milité en faveur du boycott de l’élection dans la ville centrale de Esfahan.

A quel point le rôle du Président est-il décisif ?

Le véritable pouvoir politique est détenu par le Chef de l’Etat et donc par le Leader suprême, l’Ayatollah Ali Khameini. En vertu de la Constitution , il est investi des pouvoirs les plus étendus en matière d’élaboration d’une politique ou d’approbation d’une politique et il est le commandant suprême des Forces Armées. Il nomme et renvoie les membres du clergé du Conseil des Gardiens de la constitution, le chef du pouvoir judiciaire, le directeur des services de radio et de télévision, et les commandants de tous les différents corps d’armée. Le Leader suprême peut renvoyer le président après une décision de la Cour Suprême ou du Parlement. De manière non officielle il détermine la désignation de certains des ministres ainsi que les orientations de la politique gouvernementale.

Le poste de président peut devenir très important après les élections actuelles si le Leader suprême, l’Ayatollah Ali Khomeini, 77 ans, devait mourir pendant la durée du mandat présidentiel. Dans ce cas, l’Article 11 de la Constitution stipule qu’un conseil, composé du président, du chef du pouvoir judiciaire et d’un membre du clergé faisant partie du Conseil des Gardiens (qui sera désigné par le Conseil de Discernement) assumera temporairement tous les devoirs du Leader suprême avant la désignation d’un nouveau Leader suprême. L’élection actuelle est ainsi devenue très importante pour les puissants du pays, y compris des hauts membres du clergé et du Conseil des Gardiens, dont les dirigeants actuels sont étroitement associés avec la faction la plus dure et qui ont de vastes intérêts économiques à promouvoir, sans compter leurs ambitions politiques.

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