15 août 2023. Au cours des deux dernières années, les talibans ont imposé des politiques de plus en plus abusives, en particulier à l’encontre des femmes, des filles et des minorités ethniques et religieuses, ce qui est clairement contraire aux obligations de l’Afghanistan en matière de droit international relatif aux droits humains. Ces politiques interdisant et restreignant l’accès des femmes et des filles à l’éducation, au travail et autres moyens de subsistance, à la liberté de circulation, à l’espace et aux services publics ont été largement condamnées. Dans leur rapport conjoint auprès du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, publié en juin 2023, le Rapporteur spécial de Nations unies sur la situation des droits de l’homme en Afghanistan et le Groupe de travail des Nations Unies sur la discrimination à l’égard des femmes et des filles ont déclaré que le traitement de ces dernières par les talibans « peut constituer une persécution pour des motifs d’ordre sexiste, un crime contre l’humanité, et peut être qualifié d’apartheid sexiste. »
Les militants, et en particulier les militantes, qui protestent contre les politiques des talibans à l’intérieur des frontières de l’Afghanistan s’exposent à de très grands risques en s’exprimant, ce qui ne les a pas empêché·es de continuer à élever la voix. Ces détracteurs ont persévéré, malgré les ripostes des talibans qui leur ont infligé des violences physiques, des perquisitions, des arrestations et des détentions arbitraires, des actes de torture et d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, des disparitions forcées et qui s’en sont pris également aux membres de leurs familles.
À mesure que l’attention du monde entier se détourne de cette crise, et alors que les atteintes aux droits humains perpétrées par les talibans se banalisent aux yeux de la communauté internationale, nos organisations continuent de dénoncer des crimes relevant du droit international et d’autres violations graves des droits humains. Nous sommes également vivement préoccupés par la sécurité des défenseur·es des droits humains aux mains des talibans. Ainsi, les cas du défenseur du droit à l’éducation Matiullah Wesa, arrêté arbitrairement et placé en détention le 27 mars 2023, et de Rasool Parsi, professeur d’université, érudit islamique et militant de la société civile incarcéré depuis le 6 mars 2023, sont des exemples frappants par d’autres. La protection intérieure et les garanties juridiques des contestataires sont quasiment inexistantes. Les talibans ont agi à leur encontre au mépris de tout cadre légal existant ou les ont placé·es face à un État ambigu et dysfonctionnel.
Un grand nombre de défenseur·es des droits humains en danger a été contraint de quitter l’Afghanistan ces deux dernières années, cependant la majorité demeure sur place, prise au piège, obligée de se cacher, sans réelle ressource pour assurer sa sécurité. Celles et ceux qui ont franchi les frontières pour se rendre dans les pays voisins ne trouvent pas de solutions durables, risquent de se faire expulser, sont aux prises avec les crises financières et encourent des risques réels de persécution à leur retour en Afghanistan. Il leur est impossible de reconstruire leur vie dans leur pays d’accueil et leurs chances de se réinstaller hors de la région sont inexistantes. Dans leurs pays d’accueil actuels, souvent l’Iran, la Turquie et le Pakistan, les défenseur·es sont la cible de menaces, mais aussi d’arrestations, de violences, d’extorsions, d’expulsions, et n’ont pas accès aux services les plus essentiels, tels que la santé et l’éducation.
À cette situation extrêmement difficile pour les défenseur·es qui résident en Afghanistan vient s’ajouter la crise humanitaire : 97 % de la population vit dans la pauvreté, contre 47 % seulement en 2020. Selon les chiffres des Nations unies, 28,8 millions de personnes, soit plus de la moitié de la population afghane, ont besoin d’une assistance humanitaire pour survivre, alors que 3,2 millions d’enfants et 800 000 femmes enceintes et allaitantes souffrent de malnutrition. Les grandes coupes budgétaires sur les aides qui touchent en premier lieu les personnes vivant en Afghanistan, et non les talibans, n’auront guère aidé. Pas plus que l’interdiction des talibans visant à empêcher les personnels humanitaires féminins de travailler pour des organisations non gouvernementales et pour les Nations unies, privant d’un soutien efficace celles et ceux qui en avaient le plus besoin, en particulier les ménages dirigés par des femmes. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA), « la série de restrictions imposées aux femmes exacerbe les vulnérabilités existantes des femmes, des filles et de tous les ménages dirigés par des femmes. » Selon l’OCHA, 48 % des ménages dirigés par des femmes affichent un piètre score de consommation alimentaire (SCA), contre 39 % pour les ménages dirigés par des hommes.
Il est nécessaire de faire pression sur les talibans afin qu’ils mettent un terme aux violations et à la répression et qu’ils rendent des comptes pour les crimes qui leur sont reprochés au regard du droit international, notamment via une enquête visant à déterminer si la persécution de genre à l’encontre des femmes et des filles qui constitue un crime contre l’humanité a été commise. Les voix du peuple afghan et de celles et ceux qui ont été contraint·es de quitter le pays doivent être entendues quand elles appellent à mettre fin aux violations graves de leurs droits, et à obtenir justice et réparation. À cet effet, le Procureur de la Cour pénale internationale doit s’assurer que l’enquête de son Bureau et toutes les poursuites engagées par la suite couvrent l’ensemble des actes criminels perpétrés par toutes les parties au conflit armé en Afghanistan, y compris les crimes qui sont reprochés aux talibans à l’encontre des femmes et des filles, conformément à la politique générale de la Cour relative au crime de persécution liée au genre et à sa politique générale relative aux enfants. En outre, les autorités judiciaires des pays tiers doivent étudier la possibilité de lancer des poursuites pénales contre les individus dont tout porte à croire qu’ils sont impliqués dans des crimes graves, conformément au principe de compétence universelle présent dans les législations nationales.
La communauté internationale doit répondre aux violations des talibans de manière plus cohérente et plus efficace, notamment en les exhortant à mettre fin immédiatement aux représailles violentes et à la libération des personnes arbitrairement placées en détention. La communauté internationale doit également tenir compte des demandes pour la mise en place d’un mécanisme de mise en accusation plus solide afin d’enquêter et de collecter des preuves sur les violations des droits humains, et pour le renouvellement et le renforcement du mandat du Rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l’homme en Afghanistan, en lui octroyant des ressources supplémentaires pour poursuivre son examen de la situation afghane. Les gouvernements concernés sont tenus de prendre des mesures plus efficaces pour protéger les populations afghanes en transit ou séjournant dans les pays voisins, notamment cesser de les expulser, développer et intensifier leurs programmes destinés à réinstaller les populations afghanes vulnérables dans des pays tiers.
Enfin, en tant qu’autorités de facto du pays, les talibans sont toujours responsables en vertu des traités internationaux ratifiés par l’Afghanistan, et de ce fait, ils sont tenus de remplir les obligations qui leur incombent au titre des traités internationaux humanitaires et relatifs aux droits humains auxquels le pays est partie. La communauté internationale doit, à l’unanimité et avec la plus grande fermeté, maintenir sa position selon laquelle une seule issue est acceptable : il faut que justice soit faite, que les responsabilités soient établies et que les victimes de toutes les violations graves des droits humains obtiennent réparation en Afghanistan.