Sous la plage, l’esclavage

Le soleil n’y brille pas de la même façon pour tout le monde. Si la
situation dans les hôtels semble paradisiaque pour les touristes, les
conditions de vie des migrants haïtiens et des Dominicains d’origine haïtienne
sont des plus tragiques. Victimes de discrimination, de racisme et de
xénophobie, ils ne peuvent pas jouir pleinement de leurs droits civils,
politiques, économiques, sociaux et culturels. Le rapport d’Amnesty
International de 2007 sur la République dominicaine, « Une vie en transit »,
montre que les lois et les politiques relatives à l’immigration sont
incompatibles avec les normes internationales relatives aux droits humains. De
même, les dispositions relatives à l’enregistrement des naissances sont souvent
appliquées de manière discriminatoire par les agents de l’Etat. Des milliers
d’enfants dominicains d’origine haïtienne sont privés de leur droit à une
nationalité dominicaine et se retrouvent, de fait, apatrides. Ce système
indigne, orchestré par les autorités du pays, prive ainsi ces enfants de
l’ensemble de leurs droits dès la naissance, en violation des conventions
internationales et régionales, mais aussi de la Constitution dominicaine.
Malgré l’arrêt de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, les autorités
de ce pays continuent de refuser la nationalité dominicaine aux enfants nés
dans le pays de parents sans papiers ou en situation irrégulière.

Le paroxysme de cette situation a été observé dans les bateyes, baraquements
de village occupés par les braceros, coupeurs de cannes à sucre. La plupart des
travailleurs haïtiens sont, en effet, embauchés en tant que braceros pour la
récolte. Ils travaillent dans les 400 bateyes disséminés à travers le
territoire dominicain. Ils n’ont généralement pas accès aux services publics de
base tels que les soins médicaux, l’éducation, l’eau courante et le système de
tout-à-l’égout. Au XVIIIe siècle ceux grâce auxquels le sucre fit la richesse
de Saint-Domingue, alors possession française, étaient appelés sans détours
« esclaves ». Et aujourd’hui, au XXIe siècle, qu’en est-il ? A l’heure où en
France, une journée des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs
abolitions a été décrétée, à l’heure où les Nations unies ont proclamé le 23
août « journée internationale du souvenir de la traite et des abolitions », la
situation est-elle vraiment différente pour ces travailleurs ? Dans son
rapport de 2005 sur le développement humain en République dominicaine, le
Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) note que dans près
d’un tiers des bateyes, les enfants n’ont aucun accès à l’éducation. Malgré le
caractère illégal du travail des enfants, ceux-ci continuent d’être embauchés
dans les plantations de canne à sucre. On estime qu’un tiers des habitants des
bateyes ne savent ni lire ni écrire.

Après avoir vécu plusieurs mois dans quelques-uns de ces baraquements
plusieurs artistes, photographes et réalisateurs ont été bouleversés. De ces
expériences sont ressortis des témoignages accablants. Ce fut le cas l’année
dernière avec l’événement intitulé « Esclaves au paradis » qui comprenait une
exposition photos réalisées par Céline Anaya Gautier, un colloque international
et des projections de documentaires. L’ambassade de la République dominicaine
en France avait alors vivement réagi. Cette année, c’est à nouveau le cas avec
la sortie du film Haïti chérie. Son réalisateur, Claudio Del Punta, a construit
un film en lien avec son parcours personnel qui reprend presque point pour
point les préoccupations d’Amnesty International et d’autres ONG. L’excellent
accueil de la critique a permis à ce film de connaître une carrière en France
et aux ONG de dénoncer encore et toujours les violations des droits humains.
Deux autres cinéastes Amy Serrano et Bill Haney, ont réalisé, respectivement,
les films Sugar Babies et The Price of Sugar. Ils y dénoncent le système
d’exploitation mis en place et sont actuellement poursuivis aux Etats-Unis par
deux familles propriétaires de plantation.

Face à cette situation, quelques mouvements ou instances s’évertuent à
alerter l’opinion publique et tentent de trouver le moyen d’améliorer la
situation des droits humains dans ce pays. C’est le cas par exemple de Doudou
Diène, le rapporteur de l’ONU, qui vient de publier un rapport sur les formes
contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de
l’intolérance qui y est associée à l’issue d’une mission en République
dominicaine (avec l’experte indépendante, Gay McDougall).

En août 2007, la commission des relations étrangères du Sénat américain a
approuvé l’octroi de fonds à la République dominicaine. Cinq millions de
dollars (3 millions d’euros) seront versés aux autorités cette année pour leur
permettre d’améliorer les conditions de vie dans les plantations de canne. La
commission a déploré la discrimination raciale et la violence dont sont
victimes les migrants haïtiens et leurs descendants et a demandé à l’Etat
dominicain de prendre les mesures nécessaires pour protéger les droits de tous
ceux qui vivent à l’intérieur de ses frontières.

L’Union européenne annonce une subvention de 194 millions d’euros octroyée à
la République dominicaine dont une partie importante irait au soutien de la
production de cannes à sucre et au développement des agrocarburants à partir de
celles-ci (Diario libre, 20 février). Cependant, cette subvention ne semble pas
aujourd’hui assortie d’obligations quant au respect effectif des droits de
l’homme. La France, et donc M. Sarkozy, est à la tête de l’UE. M. Sarkozy a été
élu sur la base d’une diplomatie qui mettrait les droits humains au cœur de ses
préoccupations.

Qui est mieux placé que les autorités gouvernementales et les parlementaires
d’un pays tel que la France pour faire pression sur leurs homologues de pays
comme la République dominicaine ? Ce pays restera-t-il oublié des droits
humains ? Monsieur Sarkozy, mettrez-vous en œuvre vos engagements ? A
l’aube des 60 ans de la déclaration universelle des droits de l’homme, ne
serait-il pas du devoir de la France, si liée à Haïti, d’intervenir pour que
cette situation tragique change ?

Source :Libération

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