Lettre ouverte à M. G.W. Bush, Président des Etats-Unis.

Monsieur le Président des Etats-Unis,

Vous avez récemment publiquement déclaré à l’occasion de la journée internationale de soutien aux victimes de la torture que « les Etats unis sont engagés dans la construction d’un monde où les droits de l’Homme sont respectés et protégés par l’Etat de droit ». La FIDH se félicite d’une telle proclamation mais ne peut manquer d’en souligner la contradiction flagrante avec la pratique de votre administration.

L’exemple des prisonniers de Guantanamo est à cet égard édifiant : détention de mineurs, détentions longues incommunicado, refus de la présence d’avocats, qualification illégale des détenus en tant que « combattants ennemis » en violation des conventions de Genève. Tant la Commission inter-américaine des droits de l’Homme que le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire, saisis par la FIDH, ont dénoncé l’arbitraire qui caractérise la situation de ces prisonniers.
Plus de 680 personnes sont aujourd’hui détenus dans cette situation de non-droit à Guantanamo et beaucoup d’autres encore, sous le secret, dans de nombreux pays.
De quel Etat de droit parle-t-on ?

La FIDH est en outre particulièrement préoccupée par la création des Commissions Militaires destinées, de façon discriminatoire, au jugement des seuls étrangers présumés terroristes - parmi lesquels vous venez de désigner six détenus qui seront prochainement jugés par ces Commissions. Mises en(place par le ministère de la Défense, leurs règles de procédures, font exception au droit commun, et bafouent ouvertement les dispositions internationales garantissant les droits de la défense et le droit à un procès équitable : manque d’indépendance, limitation du droit d’interjeter appel, procès à huis clos, application de la peine de mort, privation d’accès à un avocat indépendant, etc. La création, dans ces conditions, de chambres de jugement et d’exécution, dans la base de Guantanamo s’inscrit en parfaite contradiction avec les normes universelles les plus fondamentales.
De quel Etat de droit parlez-vous ?

Monsieur le président, la FIDH considère que votre volonté affichée de protection des droits de l’Homme est également sujette à caution lorsque votre administration décide au 1er juillet 2003, jour du premier anniversaire de la Cour pénale internationale (CPI), de suspendre votre aide militaire à destination de plusieurs dizaines de pays parce qu’ils ont refusé de signer un accord d’immunité, visant à exclure de la compétence de la Cour tous les nationaux américains suspectés de crimes de génocide, crime contre l’humanité et crime de guerre ; et en réalité, à saper cette jeune institution prometteuse, attendue depuis tant d’années par les victimes dont elle sanctionnera les bourreaux.

La FIDH tient à féliciter pour leur courage les Etats qui ont refusé, au nom de la prééminence de la lutte contre l’impunité, de signer les accords que vous tentez de leur imposer. Les sanctions économiques et sécuritaires décidées à leur égard par votre administration s’apparentent à un chantage scandaleux et indigne tout en illustrant votre hostilité à l’égard de la première juridiction pénale internationale permanente chargée de juger les crimes les plus graves. Votre offensive anti-CPI discrédite vos déclarations en faveur de l’Etat de droit, et surtout, risque d’hypothéquer l’exercice par les victimes des crimes les plus graves, du droit à un recours effectif.

Votre tournée annoncée du 7 au 12 juillet 2003 au Sénégal, en Afrique du Sud, au Botswana, en Ouganda et au Nigeria inclut la signature avec les gouvernements des Eta ts concernés d’un tel accord d’immunité - si ce n’est déjà fait confidentiellement. La FIDH dénonce par avance l’exercice du chantage auquel va se livrer votre Administration, une nouvelle fois en contradiction avec vos engagements publics « d’œuvrer pour une Afrique libre, prospère et paisible ». Vous nous éclairez sur votre mesure de la « liberté » ainsi consentie par votre administration aux peuples africains concernés. La FIDH exhorte les dirigeants de ces pays africains à refuser et dénoncer catégoriquement la conclusion de tels accords, aux fins de garantir l’intégrité de la Cour.

Monsieur le président,

La FIDH vous exhorte à vous conformer aux dispositions internationales et régionales de protection des droits de l’Homme qui lient les Etats-Unis d’Amérique et en particulier vous demande de :

 Supprimer les juridictions militaires d’exception et mettre en œuvre le droit commun applicable en matière de lutte antiterroriste ;

 Garantir aux prisonniers de Guantanamo un statut juridique respectant les règles du droit international humanitaire, notamment des conventions de Genève de 1949 et accepter la présence d’observateurs internationaux indépendants sur la base militaire de Guantanamo ;

 Cesser immédiatement le chantage exercé contre les Etats qui refusent de signer des accords bilatéraux d’immunité et mettre un terme immédiat à votre offensive de sape de CPI.

Il s’agit de conditions essentielles pour que vos déclarations puissent être jugées crédibles et entendues. Le respect de ces conditions est attendu du président de la supposée première démocratie du monde, pour qu’on ne se limite pas à la considérer comme, seulement, la première puissance du monde, ce que, en l’état, vous ne manquez pas de nous faire savoir.

Je vous prie, Monsieur le Président, d’agréer l’expression de ma haute considération.

Sidiki Kaba
Président de la FIDH

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