Argentine : l’avortement légalisé en 2020

28/09/2022
Déclaration
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Emiliano Lasalvia / AFP

28 septembre 2022. La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) s’entretient avec Julieta Molina, avocate spécialisée dans les questions de genre et les droits humains, militante et féministe argentine.
Lire le dossier de la FIDH sur le droit à l’avortement dans le monde en 2022.

Fédération internationale pour les droits humains - Comment l’Argentine a-t-elle obtenu la légalisation de l’avortement ?
Julieta Molina - La lutte historique du mouvement des femmes et des groupes féministes a abouti à la création de l’Alliance fédérale de la campagne nationale pour l’accès à l’avortement sûr, gratuit et légal. En conséquence, le 30 décembre 2020, la loi 27.610 sur l’interruption volontaire de grossesse a été promulguée. Ainsi, le pays a fait ses premiers pas vers la légalisation volontaire et s’est éloigné de la persécution et de la criminalisation dont ont souffert des milliers de personnes. Le cas de Belén, une jeune femme emprisonnée pour avoir fait une fausse couche, est emblématique de cette situation passée.

FIDH - Que dit la loi, exactement ?
J.M - Les personnes enceintes peuvent désormais accéder volontairement à un avortement jusqu’à la 14e semaine de gestation incluse, et non plus uniquement si la grossesse résulte d’un viol ou si la vie ou la santé de la personne sont en danger. Dans ce contexte, la santé est comprise au sens large, suivant la définition donnée par l’OMS et les termes utilisés dans l’arrêt F.A.L. de la Cour suprême de justice argentine. Cette loi est obligatoire dans tout le pays, et les personnes enceintes à partir de 16 ans peuvent accéder à l’avortement et décider elles-mêmes. En outre, les personnes âgées de 13 à 16 ans doivent être assistées par leur responsable légal dans les cas qui nécessitent une hospitalisation, et celles de moins de 13 ans doivent toujours être assistées par leur responsable légal. Dans tous les cas, un consentement écrit doit être signé.

FIDH - Existe-t-il des dispositions concernant les objecteurs de conscience ?
J.M - Les soins post-abortum sont couverts pour toutes les personnes qui souhaitent interrompre leur grossesse. En revanche, la loi mentionne l’objection de conscience comme un droit pour les personnes qui pratiquent directement l’intervention. Toutefois, dans tous les cas, elles doivent informer la personne de son droit à l’avortement et l’orienter immédiatement vers un professionnel qui garantit sa pratique. Le droit à l’objection de conscience est excepté lorsque la vie ou la santé de la personne enceinte sont en danger et requiert une attention immédiate et urgente. Dans le cas contraire, si l’avortement est entravé ou refusé, cela peut être signalée par le biais d’un numéro de téléphone national gratuit et confidentiel, ce qui entraîne des sanctions. Quelle que soit la situation, le droit à l’avortement doit être garanti en pratique.

FIDH - Y a-t-il eu des réactions contre la loi après son adoption ?
J.M - Après la promulgation de la loi, des juges anti-droits de certaines provinces ont tenté de la déclarer inconstitutionnelle par le biais des tribunaux, ce qui a suscité un débat sur le système de contrôle constitutionnel. L’une des raisons pour lesquelles ces tentatives n’ont pas abouti est qu’en Argentine, il n’est pas possible d’engager un processus dans le seul but de faire analyser la constitutionnalité d’une norme. Par conséquent, la déclaration d’inconstitutionnalité produit des effets limités. Déclarer une loi contraire à la Constitution ne l’abroge pas ; elle cesse seulement de s’appliquer dans ce cas précis. En outre, le pays a ratifié de nombreuses conventions internationalesqui ne peuvent être ignorées, à l’instar des recommandations des organisations internationalesdes droits humains auxquelles elle est partie. L’échec de ces arrêts était imminent, et la loi est toujours en vigueur dans tout le pays.

FIDH - Quels sont aujourd’hui les défis à relever pour que ce droit soit réellement effectif en Argentine ?
J.M - Aujourd’hui, l’un des défis est de travailler en faveur d’une éducation sexuelle complète afin que chaque personne dans le pays connaisse ses droits sexuels et reproductifs et son droit d’accéder à une interruption volontaire et légale de grossesse, gratuite et sûre. Un autre défi important est la formation de toutes les institutions et personnes qui composent le système de santé, considérant que garantir l’accès à l’avortement est un droit humain et qu’au contraire, forcer une personne à accoucher est une torture.

Lire le dossier de la FIDH sur le droit à l’avortement dans le monde en 2022.

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