Tchad : une loi d’amnistie au détriment de la justice

07/12/2023
Communiqué
Djimet Wiche / AFP

La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et ses organisations membres au Tchad, l’Association tchadienne pour la promotion et la défense des droits de l’Homme (ATPDH) et la Ligue tchadienne des droits de l’Homme (LTDH), dénoncent l’adoption par le Conseil national de Transition du Tchad d’une loi d’amnistie qui consacre la culture de l’impunité au Tchad. Elles appellent les autorités tchadiennes à abroger cette loi, à respecter leurs engagements en matière de respect des droits humains et de l’état de droit, et à garantir les droits des victimes à la justice et à la réparation.

N’Djamena, Paris, Abidjan, le 6 décembre 2023 - Le 23 novembre 2023, le Conseil national de transition tchadien, organe législatif, a voté une loi d’amnistie générale. Son objectif : mettre fin à toutes les poursuites consécutives à la répression violente par les forces de l’ordre des manifestations organisées par la société civile et de l’opposition tchadienne le 20 octobre 2022.

L’adoption de cette loi intervient suite à la signature à Kinshasa, le 31 octobre 2023, sous l’égide de Félix Tshisekedi, Président de la République démocratique du Congo, de « l’accord de réconciliation » entre la junte tchadienne et Succès Masra, Président du parti politique Les transformateurs, l’un de ses principaux opposants et meneurs de la manifestation réprimée en octobre 2022 appelées « jeudi noir ». Cet accord a permis la révocation du mandat d’arrêt international contre M. Masra et son retour au Tchad le 3 novembre 2023, après un an d’exil forcé.

« Amnistier sans identifier les victimes et sans que les auteur·es ne répondent de leurs actes devant la justice, et sans aucune mesure de réparation, c’est non seulement consacrer la culture de l’impunité mais c’est aussi lui donner des primes. Nous ne sommes pas contre la réconciliation, en vue d’une sortie de crise. Mais la réconciliation doit concerner la population tchadienne. Cela passe par le respect de l’état de droit  », a déclaré Me Adoum Mahamat Boukar, Président de la LTDH.

Cette loi d’amnistie est générale. Elle prévoit que « ...tous les tchadiens résidant au Tchad ou à l’étranger (civils ou militaires) ayant été impliqués, poursuivis ou condamnés pour les infractions commises le 20 octobre 2022 sont éligibles à cette amnistie... »

La LTDH, l’ATPDH, et d’autres organisations de la société civile tchadienne avaient documenté les violations des droits humains commises par les forces de l’ordre le 20 octobre 2022. La LTDH a recensé au moins, 218 personnes tuées, des dizaines torturées et plus de 1 300 détenues. La Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH) a documenté un total de 128 décès, 12 disparu·es, 518 blessé·es, 943 arrestations et 265 condamnations. Le gouvernement tchadien, quant à lui, a parlé de 73 victimes, dont des membres des forces de l’ordre. Début décembre 2022, il avait annoncé la condamnation de plus de 250 manifestant·es à des peines de prison ferme, lors de procès expéditifs tenus depuis la prison de Korotoro en plein désert et sans la présence des avocat·es des prévenu·es. Les forces de l’ordre, auteures présumées des crimes, n’ont jamais été inquiétées par la justice.

« Cette loi d’amnistie exclut toutes formes de réparation. Le signal est désastreux : elle vient confirmer une absence totale de volonté politique des autorités tchadiennes de faire de la lutte contre l’impunité une réalité dans un pays qui connaît de façon récurrente des violations des droits humains et une violence d’État  », a déclaré Me Drissa Traoré, secrétaire général de la FIDH.

Nos organisations sont vivement préoccupées par le règne de l’impunité au Tchad, qui vit sous un régime de transition militaire depuis avril 2021, mis en place à la suite du coup d’État survenu après la mort d’Idriss Deby. Nous invitons les autorités tchadiennes à déployer tous les efforts nécessaires afin que toutes les allégations de violations graves des droits humains fassent l’objet d’enquêtes et de poursuites indépendantes, impartiales et effectives.

« Le droit des victimes à la vérité, à la justice et à des mesures de réparation est une obligation de l’État du Tchad. Nous réaffirmons notre soutien à la reconstruction de l’unité et la réconciliation nationale. Mais nous demeurons convaincu·es qu’il ne peut y avoir de réelle réconciliation nationale ni de paix sans justice. Les victimes que nous côtoyons tous les jours sont formelles : le jugement des auteur·es des crimes est une garantie de non-répétition, de réconciliation et une forme de réparation  », a déclaré Mme Agnès Ildijma Lokiam, Présidente de l’Association tchadienne pour la promotion et la défense des droits humains (ATPDH).

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