Affaire Habré : un verdict historique tant attendu

AFP

(Paris, Dakar, N’djamena) Le 30 mai 2016 à Dakar sera rendu le verdict dans le cadre du procès d’Hissène Habré par les Chambres africaines extraordinaires (CAE) au sein des juridictions sénégalaises. Alors que les CAE prendront une décision quant à la culpabilité ou non et, le cas échéant, la peine à prononcer à l’encontre de l’accusé, inculpé pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et torture, nos organisations se félicitent de la tenue d’un procès exemplaire devant déboucher sur un verdict historique, mais s’interrogent sur la procédure garantissant aux victimes des réparations légitimes.

« Le verdict dans ce procès, qui représente un engagement fort contre l’impunité en Afrique et qui, nous l’espérons, reflétera la réalité et la gravité des violations commises sous le régime de Habré, sera l’occasion de faire valoir la longue lutte pour la vérité, la justice et la réparation des milliers de victimes qui attendent ce moment depuis plus de 20 ans. »

Nos organisations

Hissène Habré est accusé par les CAE de s’être rendu responsable, pendant son régime au Tchad de 1982 à 1990, de meurtres, exécutions sommaires, détentions arbitraires et actes de torture, constitutifs de crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Sous sa présidence, près de 40 000 personnes ont été assassinées et plus de 200 000 ont été victimes de torture et d’autres violences.

Le procès qui s’est déroulé sur sept mois a permis d’entendre une centaine de témoins et victimes et d’écrire l’histoire de la répression féroce contre les populations tchadiennes. Nos organisations se félicitent de l’organisation du procès, même si nous regrettons que les crimes sexuels n’aient pas été retenus dans les chefs d’accusation.

« Nous saluons les survivants, les Etats et l’Union africaine qui ont participé, organisé et soutenu ce procès qui démontre non seulement que l’Afrique peut juger les responsables des crimes les plus graves, fussent-ils anciens chefs d’État, mais également que les tentatives d’organiser leur impunité se heurteront toujours à la détermination des victimes et des ONG qui les soutiennent pour que justice soit rendue. »

Nos organisations

A l’aune de ce verdict tant attendu, nos organisations appellent les Chambres africaines extraordinaires à mettre en place un système compréhensif de réparations pour les victimes du régime de Habré et leurs ayant droits. Même si le droit des victimes à la réparation, et notamment sous la forme de restitution, indemnisation et réhabilitation, est prévu dans le Statut instaurant les Chambres africaines extraordinaires, il est maintenant nécessaire de clarifier la procédure et les délais de présentation des demandes des parties civiles. De même, le fonds au profit des victimes prévu dans le Statut n’est pas encore opérationnel, alors que les Chambres africaines extraordinaires ne seraient pas amenées à perdurer au-delà d’un possible appel.

« Il est indispensable que les juges des Chambres africaines extraordinaires définissent au plus vite, et dans le cadre d’un processus consultatif, des procédures permettant l’examen des demandes de réparations des victimes. S’il est reconnu coupable, il reviendra ensuite à Habré, en premier lieu, de financer les mesures de réparation, mais une réflexion sur le fonds au profit des victimes devra être menée. »

Nos organisations

Une délégation de nos organisations ainsi que nos avocats seront présents à Dakar pour le verdict des Chambres africaines extraordinaires le 30 mai 2016 et pour une série de réunions sur la justice internationale.

Voir le dossier spécial sur l’affaire Habré

Contexte

Le procès, qui s’est tenu du 20 juillet 2015 au 11 février 2016, a été le résultat de plus de 20 années d’intense mobilisation des victimes et des organisations qui les ont soutenues, notamment la FIDH et ses organisations membres au Tchad, au Sénégal et en Belgique.
Dès 1999, des échanges stratégiques se sont tenus entre l’Association des victimes des crimes et des répressions politiques au Tchad (ACVRP), la FIDH et ses organisations membres au Tchad et Sénégal pour envisager l’engagement de poursuites judiciaires. En 2000, des victimes tchadiennes représentées notamment par Sidiki Kaba, alors vice-président de la FIDH, déposent une plainte au Sénégal qui sera finalement déboutée pour défaut de compétence des juridictions sénégalaises. La FIDH contribue alors à la saisine du Comité des Nations unies contre la torture qui enjoint les autorités sénégalaises de ne pas expulser Hissène Habré contrairement à leur souhait.
En 2001, la FIDH, avec Human Rights Watch et l’AVCRP, entreprennent une mission d’enquête au Tchad qui permet de consulter dans les locaux de l’ancienne Documentation et de la Sécurité à N’Djaména des milliers de documents constituant les archives de la sinistre police politique de Hissène Habré consolidant ainsi le dossier judiciaire contre l’ancien dictateur.

La FIDH et ses organisations membres soutiennent alors la plainte déposée contre Hissène Habré par des victimes devant les tribunaux belges sur la base de la compétence universelle. Après de longues années de procédure, le juge d’instruction inculpe Hissène Habré pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crimes de torture et lance un mandat d’arrêt international. Mais la justice sénégalaise se déclare en 2005 incompétente pour statuer sur l’extradition d’Hissène Habré et s’en remet à l’Union africaine (UA) pour la conduite à suivre.

S’en est suivi, en parallèle d’échanges avec les associations de victimes au Tchad, les organisations membres de la FIDH au Tchad et au Sénégal et les autres membres du Comité de pilotage pour le jugement équitable de Hissène Habré, un important plaidoyer effectué par la FIDH auprès des instances de l’UA, d’Etats influents, mais aussi des Nations unies et de l’Union européenne menant à la décision de l’UA en 2006 de demander au Sénégal de juger Hissène Habré au nom de l’Afrique. Le plaidoyer mené auprès des autorités sénégalaises a par ailleurs permis l’adoption en 2007 d’une loi rendant possible l’instruction des cas de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, même commis hors du territoire sénégalais et en 2008 d’une révision constitutionnelle introduisant une exception à la non rétroactivité de la loi pénale pour les crimes internationaux, levant ainsi les obstacles au jugement d’Hissène Habré.

Et c’est finalement après une décision de la Cour de justice de la CEDEAO saisie par les avocats d’Hissène Habré – et au cours de laquelle la FIDH est intervenue dans un amicus curiae – que le Sénégal décide l’instauration de Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises pour le jugement, enfin, d’Hissène Habré.
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