Découvrez le rapport ici :
https://www.fidh.org/IMG/pdf/sudan_darfur._pdf.pdf
Le rapport publié aujourd’hui, intitulé « Will there be Justice for Darfur ? Persisting impunity in the face of political change », s’appuie sur les témoignages récoltés auprès de réfugiés du Darfour lors d’une enquête dans les camps de réfugiés à l’est du Tchad ; la récolte d’informations auprès de sources locales, dont des avocats assistants des personnes déplacées internes (IDP) à l’intérieur du Soudan ; et le travail de plaidoyer mené auprès de plusieurs organismes régionaux et internationaux, notamment la CPI, pour que les responsables des crimes de guerre, crimes contre l’humanité, et génocide commis au Soudan depuis 2002 soient traduits en justice.
En cette période critique de transition politique, des mesures doivent être prises pour protéger les droits humains et parvenir à une transition pacifique et juste au Soudan. Pour ce faire, des mesures concrètes n’ont toutefois pas encore été prises. Les divers témoignages contenus dans le présent rapport transmettent un message clair : pour que justice soit rendue aux victimes, des changements légaux et politiques substantiels sont nécessaires. Il est en outre urgent d’engager enfin la responsabilité des auteurs des crimes les plus graves, en particulier les crimes sexuels et sexistes.
"Le gouvernement de transition du Soudan doit démontrer que la transition en cours n’occultera pas les crimes du passé et tiendra compte des exigences de toutes les populations des différentes régions du pays, y compris du Darfour, pour qu’une paix et une justice durables soient enfin établies", a déclaré Arnold Tsunga, directeur du programme régional Afrique de la Commission internationale des juristes (ICJ) et ancien vice-président de la FIDH.
Plus de dix ans après l’émission de mandats d’arrêts internationaux par la Cour Pénale Internationale contre Omar El Béchir et trois autres responsables de crimes internationaux, aucun auteur des massacres et crimes sexuels commis à large échelle depuis 2002 n’a été arrêté.
L’absence de condamnation a eu de graves conséquences. Le règne de l’impunité a encouragé les dirigeants et leurs milices, qui avaient semé la terreur au Darfour, à continuer de contrôler l’appareil sécuritaire et militaire, et user des même méthodes brutales. Ils ont notamment participé à la répression de 2019 contre les mouvements réclamant la démocratisation du régime. Le 3 juin 2019, les unités de la Rapid Security Force (RSF), principalement composées d’ex miliciens Janjaweed, ont attaqué les manifestants pacifiques rassemblés devant le quartier général de l’armée à Karthoum. Cette attaque fit au moins 128 morts et des centaines de blessés, et donna lieue à la commission de violences sexuelles à large échelle. Mohamed Hamdan Dogolo dit « Hemidti », chef adjoint de l’actuel Sovereign Council soudanais, fut d’ailleurs un des principaux chef de guerre Janjaweed.
Cette impunité généralisée s’explique par les protections dont ont pu profiter les auteurs de ces crimes.
Au Soudan, la « Special Criminal Court on the events in Darfur » (SCCED), théoriquement mise en place pour juger les crimes de masse qui y furent commis, n’a jamais inculpé aucun dirigeant. Elle apparaît rétrospectivement comme une manœuvre pour les soustraire à la justice internationale. De manière plus générale, l’impunité était garantie par un cadre juridique national protégeant jusqu’à tout récemment les forces de défense et de sécurité contre toute poursuite pour les crimes qu’ils pouvaient commettre, alors que la justice restait aux ordres du pouvoir politique.
Alors que le Conseil de Sécurité des Nations Unies avait saisi la CPI de la situation au Darfour, la justice internationale a été entravée par le manque de collaboration du Soudan et des États de l’Union Africaine. L’organisme régional a constamment dénoncé les procédures intentées par la CPI. L’ancien Président Omar El Béchir, visé par deux mandats d’arrêts de la CPI, notamment pour génocide, a continué à se déplacer librement dans plusieurs pays africains et en Jordanie.
En 2014, la Procureure de la CPI Fatou Bensouda annonçait devoir « hiberner » ses enquêtes sur les crimes internationaux commis au Darfour, faute de soutien et de coopération international, et notamment du fait de l’inaction du Conseil de Sécurité.
« Jusqu’à la chute d’El Béchir, juger les responsables des crimes commis au Darfour a progressivement disparu des priorités de la communauté internationale. La communauté internationale, particulièrement l’Union Africaine, ont pourtant un rôle critique à jouer, en supportant la justice internationale comme moyen d’offrir des recours efficaces aux survivants soudanais » remarque ainsi Mme Liemia Eljaii Abubakr Mohamed, journaliste et membre du SHRM.
Jusqu’à présent, Omar El Béchir a seulement été poursuivi - et très récemment condamné – à Karthoum pour corruption, acquisition et utilisation illégale de fonds étrangers. Les tribunaux soudanais ne l’ont donc jamais poursuivi pour les crimes commis au Darfour. Lors de ses derniers exposés semestriels au Conseil de sécurité des Nations Unies, la Procureure de la CPI a exprimé une nouvelle fois son souhait de poursuivre El-Béchir, appelant les États membres des Nations Unies et les nouvelles autorités soudanaises à profiter du momentum en cours pour concrétiser leurs engagements pour que justice soit rendue pour les victimes des crimes internationaux. Toutefois, les dirigeants du conseil souverain récemment nommé n’ont pas encore indiqué s’ils extraderaient ou non El-Béchir vers les Pays-Bas.
Alors que 2,6 millions de personnes déplacées par le conflit continuent à vivre dans des camps à l’intérieur du Soudan, 343 000 continuent d’être réfugiées au Tchad.
« De leur côté, les populations survivantes du Darfour continuent de subir les conséquences du conflit commencé en 2002. Dans les témoignages recueillis dans l’est du Tchad, elles expriment leur impression d’avoir été oubliées et abandonnées, condamnées à lutter pour survivre dans des conditions extrêmement précaires. Leur sort doit rester une priorité de l’aide humanitaire internationale », dénonce Ameir Suliman, Directeur juridique et co-fondateur de l’ACJPS.
Dans les camps de réfugiés, les femmes continuent d’être l’objet de nombreux abus et violences sexuelles, notamment lors d’attaques armées. Elles redoutent en outre de devoir retourner dans leur région d’origine, alors que l’ONU a mis en place des plans de retours volontaires, et que les dirigeants soudanais souhaitent le démantèlement des camps. Ces appels sont toutefois largement restés lettre morte, en raison de l’insécurité qui continue de prospérer au Darfour, notamment dans le Jebel Mara. De mars à avril 2018, l’ACJPS a ainsi documenté plusieurs attaques meurtrières de villages par les milices, notamment les RSF, alors que le panel d’experts des Nations Unies sur le Soudan s’inquiétait en janvier 2019 de la résurgence des violences sexuelles commises par les groupes armés au Darfour.
Sans jugement des auteurs des principaux crimes commis depuis 2002 au Darfour, il n’y toutefois aucune raison que ces violences cessent, et que les réfugiés retournent dans leur région d’origine.
Contact Presse :
Samuel Hanryon :
+33 6 72 28 42 94 / shanryon@fidh.org https://twitter.com/Sam_hanryon
Darfur, 17 Years On : Reign of Impunity Must End by FIDH on Scribd