Amir Suliman est un avocat soudanais et le co-fondateur du Centre africain d’études sur la justice et la paix (ACJPS). Il s’est installé à Kampala (Ouganda) en 2009, après avoir été contraint de fuir le Soudan, par crainte des représailles du gouvernement pour son travail sur les droits humains et la justice internationale.
En 2008, Amir Suliman, et ses collègues Osman Hummaida et Abdel Monim El-Gak sont arrêtés et torturés par des agents des Services nationaux de renseignement et de sécurité (NISS), pour leur supposée collaboration avec la Cour pénale internationale (CPI). En février 2009, alors directeur du Centre de Khartoum pour les droits humains et le développement de l’environnement (KCHRED), Amir est informé par la FIDH de l’émission par la CPI d’un mandat d’arrêt à l’encontre d’Omar El-Béchir. Il décide alors de quitter le pays.
« Après l’annonce du mandat d’arrêt émis à l’encontre d’Omar El-Béchir, de gros camions et des hommes armés sont apparus au siège de notre organisation. Ils ont tout pris : des ordinateurs aux systèmes de climatisation installés sur nos murs. Mais ils ont surtout pris la bibliothèque, la première bibliothèque soudanaise des droits humains, que des étudiants et des professionnels ont contribué à alimenter au fil des ans. Ils ont fermé la bibliothèque et ils l’ont laissée à l’abandon » , raconte Amir Suliman.
À la suite de ces événements, Amir Suliman, Osman Hummaida et Abdel Monim El-Gak déposent plainte auprès de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP), afin d’obtenir réparation pour les mauvais traitements subis en 2008. En février 2015, après 6 ans de procédures juridiques, ils obtiennent enfin gain de cause : la CADHP déclare que le gouvernement soudanais droit répondre de ces violations et appelle les autorités à mener des enquêtes et à engager des poursuites judiciaires à l’encontre des agents des services de sécurité et de renseignement présumés responsables. La Commission demande également au Soudan de débloquer les comptes bancaires du KCHRED, de l’autoriser à rouvrir ses portes, et de verser une indemnisation aux victimes. Amir Suliman et ses collègues étaient convaincus que les mécanismes régionaux et internationaux pouvaient leur permettre d’obtenir justice. Et cela a fonctionné...
Dès son installation en Ouganda, Amir Suliman crée, avec Osman Hummaida, l’ACJPS. L’organisation devient rapidement un acteur de premier plan dans le domaine de la documentation et de la lutte contre les violations des droits humains au Soudan.
L’ACJPS documente la situation générale des droits humains au Soudan, les défend aux niveaux national, régional et international, contribue à la réforme du système judiciaire soudanais, et à l’éducation aux droits humains. « J’ai formé de nombreuses personnes sur les questions relatives aux droits humains, notamment des officiers de police et des conseillers juridiques. Ce qui m’a le plus frappé, c’est leur envie d’en savoir toujours plus. Par exemple sur la torture, chez les agents de la force publique : la plupart ne savait pas qu’il s’agissait d’une pratique illégale et ils ont donc passé le mot autour d’eux. Les conseillers juridiques, eux, ont découvert comment poser des questions pour voir si les cas qu’ils devaient traiter impliquaient des situations de torture », explique Amir Suliman.
La passion d’Amir Suliman pour les droits humains a été en partie inspirée par son environnement familial. Son propre père, président du syndicat des vétérinaires et membre de l’Alliance démocratique nationale, a été arrêté à de multiples reprises pour ses activités politiques, et soumis à de mauvais traitements pendant sa détention. En 1989, Amir Suliman est témoin du coup d’État militaire qui amène le président Omar El-Béchir au pouvoir. Le gouvernement démocratique est dissout, tout comme les syndicats et les organisations de la société civile. C’est dans cette atmosphère oppressante qu’Amir Suliman commence à étudier le droit à l’université d’Elneelin à Khartoum dans les années 1990, où il a commencé sa carrière de militant.
Après avoir obtenu son diplôme, Amir Suliman travaille comme avocat dans une société privée, où il défend les victimes de violations des droits humains devant les tribunaux soudanais. Parmi ses clients, il compte des condamnés à mort, soumis à des conditions de détention inhumaines, certains ayant été enchaînés et mis à l’isolement sur des périodes allant jusqu’à 13 ans.
Amir Suliman travaille ensuite pour d’éminentes organisations de droits humains, comme le Groupe soudanais des droits de l’Homme, l’Organisation soudanaise contre la torture, le Centre Amal pour la réhabilitation des victimes de torture et le KCHRED, avant de fonder l’ACJPS avec Osman Hummaida.
L’une de ses plus importantes contributions à l’amélioration de la situation des droits humains au Soudan est une campagne visant à intégrer une charte de droits dans la Constitution soudanaise. Il était alors directeur du KCHRED et ils ont fait un important travail de sensibilisation autour de cette campagne, y compris dans des zones marginalisées du pays. C’est la première fois qu’une charte de droits allait figurer dans la Constitution soudanaise, la Constitution nationale intérimaire de la République du Soudan de 2005.
À l’échelle régionale et internationale, il collabore avec des organisations comme la FIDH, Human Rights Watch et Amnesty International. Ces partenariats contribuent à donner de la visibilité aux violations des droits humains commises au Soudan. « La FIDH nous a aidés à renforcer notre capacité à communiquer avec les mécanismes régionaux des droits humains, et à faire entendre la voix des Soudanais au Conseil des droits de l’Homme des Nations unies » , affirme Amir Suliman.
Le Soudan est actuellement en proie à différents conflits, particulièrement au Darfour, dans l’État du Nil Bleu et au Kordofan du Sud. Dans ces régions, des crimes internationaux sont régulièrement commis. Le souhait d’Amir est que la résolution de ces conflits soit la priorité de tous : « ces populations veulent la paix, ils ne méritent rien de tout ce qui leur arrive. Cela fait des années maintenant que la population n’a pas reçu d’éducation, qu’elle n’a pas eu accès à des services de santé ou habité dans des maisons. Espérons que la paix et la sécurité soient rapidement instaurées dans ces trois domaines » . Amir Suliman n’a pas été autorisé à retourner au Soudan depuis qu’il a quitté le pays en 2009. Mais il reste pleinement engagé pour son pays d’origine, dans lequel il espère bien parvenir un jour à faire tomber toutes les barrières qui se dressent entre ses habitants et les droits humains.