Note de retour de mission du Soudan du Sud : “Nous redoutons le pire”

13/11/2014
Communiqué
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Briser le cycle de la violence et de l’impunité au Soudan du Sud pour éviter le chaos

Aux termes de sa mission conduite récemment au Soudan du Sud, la FIDH s’inquiète des risques sérieux d’une détérioration de la situation humanitaire et des droits humains dans ce pays si aucune mesure effective n’est prise pour briser le cycle de la violence et de l’impunité qui prévaut actuellement.

Près d’un an après l’éruption du conflit entre les forces loyales au président Salva Kiir et celles soutenant l’ancien vice-président Riek Machar, les parties ne sont toujours pas parvenues à un accord politique alors que des affrontements armés sporadiques ont continué dans le nord du pays et que plusieurs témoignages font aujourd’hui état d’une prolifération alarmante des groupes armés, d’un réapprovisionnement persistant en armement et d’un recrutement continu de nouveaux combattants, y compris parmi les enfants. Parallèlement, les personnes déplacées internes et réfugiées continuent de vivre dans la plus grande insécurité et les responsables des crimes les plus graves demeurent en liberté.

Les tensions sont palpables au Soudan du Sud où la majorité de nos interlocuteurs ont avoué redouter une escalade des affrontements dans les prochaines semaines et les risques sérieux pour la sécurité des civils a déclaré l’avocat Arnold Tsunga, qui a conduit la mission de la FIDH au Soudan du Sud. Il faut absolument briser le cycle de la violence pour épargner des civils qui ont déjà souffert des pires atrocités a-t-il ajouté.

Les civils au Soudan du Sud continuent de vivre dans une situation d’extrême insécurité, favorisée notamment par les affrontements sporadiques entre les forces en opposition et par la détérioration de la sécurité dans les camps de déplacés et les camps de protection mis en place par les Nations Unies. Les civils n’ont pas été épargnés lors des récents affrontements à Bentiu et Rubkona. La mort d’au moins 3 personnes a été rapportée alors que des sources allèguent la découverte de tombes récentes. Dans les camps de déplacés et les camps de protection des NU, en particulier ceux situés dans les états de Upper Nile et Unity, des inquiétudes ont été soulevées concernant la prolifération d’armes légères, l’intensification des affrontements inter-communautaires où des cas de violences sexuelles et basées sur le genre à l’encontre des femmes. Plus de 1.4 million de personnes sont toujours déplacées internes alors que près de 450,000 autres sont réfugiées dans les pays voisins. Les travailleurs humanitaires rencontrés par la délégation de la FIDH ont décrit une situation accablante où des milliers de personnes restent dans le besoin urgent de nourriture et de médicaments alors que le gouvernement semble avoir accordé la priorité aux dépenses militaires.

Les civils sont aussi la cible d’entraves croissantes à leurs droits et libertés fondamentaux. Début octobre, l’Assemblée nationale a adopté un projet de loi sur les Services de la sécurité nationale (National Security Services – NSS Bill) lequel, dans sa forme actuelle, octroie des pouvoirs extensifs aux services de sécurité, y compris ceux d’enquêter, d’arrêter ou de détenir les personnes suspectées de porter atteinte à la sécurité nationale, sans pour autant leur offrir les garanties légales et procédurales requises. La FIDH appelle le Président Salvar Kiir à ne pas signer ce projet de loi répressive qui contreviendrait aux dispositions de la Constitution de transition. Des préoccupations ont également été soulevées concernant l’accroissement des cas d’arrestations et de détentions arbitraires de journalistes, la confiscation de journaux ou encore la fermeture de stations de radios.

Les civils au Soudan du Sud continuent de payer le prix de ce que l’on peut considérer comme étant le résultat d’une culture enracinée de l’impunité, d’un environnement militarisé, de la faiblesse des institutions nationales et d’une polarisation de la société autour de lignes ethniques et communautaires pour des motifs politiques. Pour éviter que le pays ne re-sombre dans le chaos, les auteurs de violations des droits humains doivent être tenus responsables de leurs actes et la confiance entre les citoyens et envers les institutions de l’État doit être instaurée a ajouté Me. Tsunga.

À l’issue du Sommet extraordinaire de l’IGAD – l’organisation régionale qui assure la médiation – organisé les 6 et 7 novembre, le SPLM et le SPLM-IO se sont engagés à respecter une « cessation inconditionnelle, complète et immédiate de toutes les hostilités […] à mettre un terme à la guerre [et] à cesser immédiatement le recrutement et la mobilisation des civils ». Les deux parties ne sont toutefois pas parvenues à un accord sur le format et la composition d’un gouvernement de transition et l’IGAD leur a accordé 15 jours supplémentaires pour poursuivre leurs consultations internes. L’IGAD a aussi menacé d’imposer des sanctions – y inclus le gel des avoirs, des interdictions de voyager et un embargo sur les armes – contre ceux qui violeraient ce nouvel engagement. Alors que des engagements similaires ont par le passé été enfreins par les deux parties, la FIDH appelle l’IGAD à renforcer ses efforts de médiation et à s’assurer qu’elle adopte les mesures de sanctions ciblées prévues, dans le cas d’une reprise des hostilités. La FIDH insiste par ailleurs sur la nécessité que de telles mesures soient accompagnées de mécanismes visant à rendre justice aux victimes et à prévenir de nouveaux crimes graves. La FIDH appelle en outre l’IGAD à refuser tout accord qui inclurait des clauses d’immunités ou d’amnisties pour les responsables de tels crimes, en violation du droit international.

Les années d’impunité dans ce pays ont en effet été reconnues comme un des facteurs clés des crimes graves commis depuis l’éruption du conflit en décembre 2013. Plusieurs comités d’enquête ont été mis en place par les autorités nationales (y compris par la police et l’armée) pour faire la lumière sur les circonstances qui ont conduit à l’éruption du conflit et enquêter sur les violations des droits humains perpétrées par la suite. En février 2014, le Président Salva Kiir a lui aussi mis en place un comité d’enquête qui aurait rassemblé les informations collectées par la police et l’armée pour les intégrer dans un rapport consolidé. La publication de ce rapport serait prévue pour la mi-novembre. Si ces initiatives doivent être saluées, certains des interlocuteurs de la FIDH ont soulevé les faiblesses du processus, y compris l’absence d’indépendance et d’impartialité du comité et le manque de protection adéquate prévue pour les victimes et les témoins. Dans un tel contexte, de grandes attentes ont été placées dans la publication des conclusions et recommandations de la Commission d’enquête de l’Union africaine.

Le rapport de la Commission d’enquête de l’Union africaine est très attendu au Soudan du Sud et considéré par plusieurs acteurs comme pouvant potentiellement prévenir de nouvelles violences. Nous attendons de ce rapport qu’il propose des mécanismes effectifs de justice et qu’il constitue la base d’une feuille de route pour la justice, la paix durable et la sécurité au Soudan du Sud a ajouté Me. Tsunga.

Contexte

La FIDH a mené une mission au Soudan du Sud du 5 au 11 novembre 2014. Près d’un an après l’éruption, en décembre 2013, du conflit qui a opposé les troupes loyales à Salva Kiir et celles soutenant Riek Machar, la mission a enquêté sur les violations des droits humains perpétrées actuellement dans le pays. La mission était composée de l’avocat Me. Arnold Tsunga, Directeur Afrique de la Commission internationale des juristes (CIJ) et ancien Vice-Président de la FIDH, M. Mohamed Badawi, Chercheur au sein du African Center for Justice and Peace Studies (ACJPS), Me. David Cote, Coordinateur du contentieux au sein de Lawyers for Human Rights (LHR – Afrique du Sud) et de Mme. Tchérina Jerolon, Responsable adjointe du bureau Afrique de la FIDH. Une note de mission plus détaillée contenant des recommandations spécifiques sera bientôt rendue publique.

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