Rwanda: Nouvelle audience dans le procès de la Ligue rwandaise pour la promotion et la défense des droits de l’Homme (LIPRODHOR)

05/03/2015
Urgent Appeal

Selon les informations reçues, le 24 février 2015, une nouvelle audience dans le procès intenté par certains membres des organes d’administration et du secrétariat « légitime » de la Ligue rwandaise pour la promotion et la défense des droits de l’Homme (LIPRODHOR) a été tenue devant la Haute Cour/Kigali.

L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, programme conjoint de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), a reçu de nouvelles informations sur la situation suivante au Rwanda .

Nouvelles informations :

Au cours de cette audience, les membres légitimes de la LIPRODHOR et leurs représentants ont pu exposer leurs motifs d’appel sur les deux points avancés le 8 août 2014 au premier degré par le tribunal de grande instance (TGI) de Nyarugenge pour rejeter l’affaire, sans en examiner le fond1 .

La première question était de savoir si l’action était correctement orientée, en ce qu’elle était intentée contre les membres individuels du conseil d’administration « illégitime » de la LIPRODHOR et non contre la LIPRODHOR elle-même. Sur ce point, les représentants « légitimes » de la LIPRODHOR ont fait valoir qu’étant donné que la procédure prévue par les statuts de la ligue pour convoquer une assemblée générale extraordinaire n’avait pas été respectée (cf. rappel des faits), leur action visait bien un groupe de personnes ayant cherché à prendre le contrôle de la ligue, et non la LIPRODHOR elle-même en tant qu’entité distincte.

Le second motif retenu au premier degré par le TGI de Nyarugenge pour débouter les plaignants avait été que la procédure interne devant le comité de discipline et de résolution des conflits de la LIPRODHOR n’aurait pas été respectée. Concernant cette question, les représentants « légitimes » de la LIPRODHOR ont fait savoir qu’une telle procédure avait bien été ouverte dès le 21 juillet 2013 pour exiger, d’une part, que le conseil d’administration « légitime » continue à travailler normalement, et pour convoquer, d’autre part, trois membres du conseil « illégitime » devant le comité de discipline au sujet de la prise de contrôle. Or, ce sont ces trois derniers qui ont refusé de comparaître devant cet organe le 2 août 2013. Ce refus a par ailleurs été constaté par écrit, et joint aux conclusions de la partie plaignante.

Par conséquent, au terme de cet argumentaire, les membres du conseil d’administration « légitime » de la LIPRODHOR et leurs représentants ont demandé l’infirmation de toutes les décisions prises par le TGI au premier degré, pour permettre l’examen au fond de cette affaire. La décision relative à cette audience sera rendue le 23 mars 2015.

L’Observatoire tient à rappeler que les membres « légitimes » de la LIPRODHOR ont initié cette action en justice afin de faire reconnaître la nullité des décisions prises lors d’une Assemblée générale extraordinaire, convoquée illégalement le 21 juillet 2013, qui ont conduit à leur destitution et à l’élection d’un nouveau conseil d’administration « illégitime », reconnu trois jours plus tard par le Rwanda Governance Board (RGB), l’institution publique supervisant les organisations non gouvernementales nationales.

L’Observatoire, qui a déjà dénoncé avec la plus grande fermeté le prononcé du juge du TGI de Nyarugenge du 8 août 2014 , réitère sa préoccupation face aux entraves subies par les membres des organes d’administration et du secrétariat « légitimes » de la LIPRODHOR depuis juillet 2013.

Plus généralement, l’Observatoire condamne les actes d’ingérence dans le fonctionnement d’une organisation de la société civile, qui constituent une violation grave de la liberté d’association, pourtant garantie par la Constitution de la République du Rwanda et les instruments internationaux ratifiés par le Rwanda.

Rappel des faits :

Le 21 juillet 2013, à l’insu du conseil d’administration et du secrétaire exécutif, un ancien président de la LIPRODHOR a organisé une réunion dite « de concertation », requalifiée plus tard d’« assemblée générale extraordinaire ». Lors de la dite réunion, il a été décidé de démettre le conseil d’administration, d’en créer un autre et de rejoindre à nouveau le CLADHO, en violation des dispositions statutaires de la LIPRODHOR.

Toutefois, ces décisions ne sont pas valables en ce qu’elles n’ont pas été adoptées par une Assemblée générale régulièrement convoquée. En effet, en cas d’empêchement ou refus du président ou du vice-président de convoquer une réunion, une convocation régulière requiert d’une part l’implication d’un tiers des membres effectifs (article 11 des statuts), et d’autre part que les membres aient été convoqués au moins huit jours à l’avance. Or, en l’espèce, plusieurs membres dont le président, le vice-président et le secrétaire exécutif, n’ont jamais été informés de la tenue de cette réunion, de même que la dite réunion n’a pas été convoquée par un tiers des membres effectifs. En outre, la réunion ne peut être requalifiée d’assemblée générale en ce que les statuts disposent qu’une assemblée générale « se réunit valablement à la majorité absolue des membres effectifs » (article 12 des statuts), un quorum qui n’aurait pas été atteint. Or, plusieurs autres personnes auraient été comptabilisées alors qu’il ne s’agit pas de membres effectifs. La réunion de concertation ne peut donc constituer une assemblée générale, qui est le seul organe habilité à démettre et nommer un conseil d’administration.

Pourtant, le 24 juillet 2013, le RGB a adressé une lettre à la LIPRODHOR prenant acte du changement de présidence et reconnaissant le nouveau conseil d’administration de la LIPRODHOR. A la même date, une activité organisée par la LIPRODHOR sur l’Examen périodique universel (EPU) des Nations unies a été stoppée par la police, et les comptes de la LIPRODHOR ont été bloqués.

Le 26 juillet 2013, une passation de pouvoir forcée entre le conseil d’administration « sortant » et le conseil d’administration « entrant » a été refusée par les membres du conseil d’administration légitime, mais le nouveau conseil a forcé le personnel du secrétariat exécutif à se soumettre à cette passation afin de prendre le contrôle de l’organisation, en violation de l’article 11 du règlement d’ordre intérieur de la ligue, qui stipule que la « remise et reprise » doit se faire entre le conseil d’administration sortant et le nouveau.

Suite à ces événements, les membres légitimes du conseil d’administration de la LIPRODHOR ont initié une action en justice afin de faire reconnaître la nullité des décisions prises lors de l’Assemblée générale extraordinaire, convoquée illégalement le 21 juillet 2013, qui ont conduit à leur destitution et à l’élection d’un nouveau conseil d’administration « illégitime ». Le 8 août 2014, en pleines vacances judiciaires et au terme de reports incessants constatés par un observateur international mandaté par la FIDH et l’OMCT depuis mars 2014, le juge du TGI de Nyarugenge a rendu une décision inattendue, dans laquelle il a estimé que l’action en justice intentée contre les membres du conseil d’administration « illégitime » de la LIPRODHOR était infondée. Les avocats des membres « légitimes » de la LIPRODHOR ont fait appel de la décision du 8 août 20142.

Par ailleurs, suite à l’annonce de la convocation, par le tiers des membres « effectifs » de la LIPRODHOR, de la réunion de l’Assemblée générale pour le 23 novembre 2014, et suite à l’envoi d’invitations à plus de 200 membres de la LIPRODHOR, les menaces contre plusieurs membres du Conseil d’administration « légitime » se sont accentuées. Ces actes d’intimidation, qui se sont matérialisés par des menaces téléphoniques, des convocations policières, et des détentions arbitraires, visaient manifestement à intimider toute personne ayant été impliquée dans l’organisation de cette Assemblée générale . Plusieurs autres membres de la LIPRODHOR ont également dû rentrer en clandestinité suite à des menaces et des visites suspectes à leur domicile.

Actions requises :

L’Observatoire vous prie de bien vouloir écrire aux autorités rwandaises en leur demandant de :

i. Mettre un terme à toute forme de harcèlement et d’entraves à l’encontre des membres du conseil d’administration « légitime » de la LIPRODHOR, ainsi que de tous les défenseurs des droits de l’Homme au Rwanda ;

ii. Demander au Rwanda Governance Board et à la juridiction saisie d’annuler la décision de reconnaître le nouveau conseil d’administration de la LIPRODHOR ;

iii. Se conformer aux dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 9 décembre 1998, et plus particulièrement :
 à son article 1 qui prévoit que « chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, de promouvoir la protection et la réalisation des droits de l’Homme et des libertés fondamentales aux niveaux national et international »,
 à son article 5 b) et c) qui prévoit qu’« afin de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales, chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, aux niveaux national et international, de se réunir et de se rassembler pacifiquement et de former des organisations, associations ou groupes non gouvernementaux, de s’y affilier et d’y participer » ;
 à son article 6(b), selon lequel « chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, conformément aux instruments internationaux relatifs aux droits de l’Homme et autres instruments internationaux applicables, de publier, communiquer à autrui ou diffuser librement des idées, informations et connaissances sur tous les droits de l’Homme et toutes les libertés fondamentales »,
 à son article 12.2 qui dispose que « l’État prend toutes les mesures nécessaires pour assurer que les autorités compétentes protègent toute personne, individuellement ou en association avec d’autres, de toute violence, menace, représailles, discrimination de facto ou de jure, pression ou autre action arbitraire dans le cadre de l’exercice légitime des droits visés dans la présente Déclaration » ;

iv. Se conformer aux dispositions de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, ratifiée par le Rwanda, et notamment de ses articles 9, 10 et 11 garantissant les libertés d’expression, d’association et de réunion ;

v. Se conformer aux dispositions de la Charte africaine sur la démocratie, les élections et la gouvernance, ratifiée par le Rwanda, dont les articles 3(7) et 12(3) disposent respectivement que les citoyens ont un droit de participation effective dans les affaires publiques et que l’État a le devoir de « créer les conditions légales propices à l’épanouissement des organisations de la société civile » ;

vi. Plus généralement, se conformer aux dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et instruments régionaux et internationaux relatifs aux droits de l’Homme ratifiés par le Rwanda.

Adresses utiles :

• M. Paul Kagame, Président de la République de Rwanda, Urugwiro Village, P.O. Box 15, Kigali, RWANDA
• M. Anastase Murekezi, Premier Ministre, P.O Box 1334 Kigali , RWANDA, Email : webinfos@primature.gov.rw, Tel: + 250 252 586 902, Fax :+ 250 252 584 648
• M. Sheik Mussa Harerimana, Ministre de la sécurité intérieure (MININTER), P.O. Box 446 Kigali, RWANDA, Email : info@mininter.gov.rw, Tel/Fax. + 250 252 58 78 81
• M. Stephens Kanuuma Nuwagaba, Conseiller du Ministre de l’administration locale (MINALOC), Email : minister@minaloc.gov.rw, Tel:+250788478003
• M. Johnston Busingye, Ministre de la justice (MINIJUST), P.O. Box 160 Kigali, RWANDA, Email : mjust@minijust.gov.rw, Tel: +250 252 586398, Fax : +250 252 586509
• M. le Directeur Général de Rwanda Governance Board, PO BOX 6819, Kigali, RWANDA, Email : info@rgb.rw, Tel: + 250 255 112 023
• Mme la Présidente de la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH), BP 269 Kigali, RWANDA, Email : cndh@rwanda1.com, Tel : + 250 5042 71, Fax : + 250 504 270
• M. Eugène-Richard GASANA, Ambassadeur, Représentation Permanente de la République du Rwanda aux Nations Unies, 124 East 39th Street, New York, NY 10016, USA, Email :ergasana@minaffet.gov.rw, Tel : +1 212 679 9010/9023, Fax: +1 212 679 9133
• M. Michel Ryan, Ambassadeur, Délégation de l’Union Européenne au Rwanda, S.E. M. L’Ambassadeur 1807 Umuganda Boulevard, Aurore Building, 515 Kacyru Kigali, RWANDA, Email : Delegation-rwanda@eeas.europa.eu, Tel: +250 252 58 57 38/39/40/41, Fax :+250 252 58 57 34/36

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Paris-Genève, le 3 mars 2015

Merci de bien vouloir informer l’Observatoire de toutes actions entreprises en indiquant le code de cet appel.

L’Observatoire, programme de la FIDH et de l’OMCT, a vocation à protéger les défenseurs des droits de l’Homme victimes de violations et à leur apporter une aide aussi concrète que possible.


[1] Cf. communiqué de presse de l’Observatoire 13 août 2014.
[2] Ibid.

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