Depuis le renversement du régime le 24 mars 2013, s’il est difficile de mesurer l’exacte ampleur du phénomène, la FIDH estime par le recoupement de nombreuses informations à plus de 400 le nombre de meurtres commis par des Séléka. Lors de sa mission, la FIDH a pu recueillir de nombreux témoignages concernant des civils tués par balles et s’est focalisée sur la tuerie de Gobongo du 28 juin 2013, à Bangui, où des éléments Séléka ont tiré sur une foule d’hommes, de femmes et d’enfants, qui manifestait contre l’assassinat d’un jeune de leur quartier, tuant au moins 6 civils et blessant plusieurs dizaines de personnes. Depuis juillet, les coups de feu semblent avoir diminué dans la capitale suite à la décision de la FOMAC et des autorités de procéder à un désarmement forcé des Séléka et de procéder à des patrouilles mixtes FOMAC/Séléka à Bangui. Pour autant, la mission a constaté que les Séléka demeuraient toujours lourdement armés, étaient nombreux, et comptaient parmi eux des enfants soldats.
La FIDH confirme également le nombre élevé de viols commis par des Séléka à Bangui. Une source fiable a recensé les cas de 82 viols le premier mois suivant l’arrivée des rebelles dans la capitale. Un nombre qui ne reflète pas l’ensemble des faits. Par ailleurs, jusqu’à ce jour, de très nombreux cas d’enlèvements de civils par des Séléka ont été rapportés aux chargés de mission, ainsi que des cas d’intimidation, de mauvais traitements et de détentions arbitraires.
La FIDH a pu aussi recueillir des témoignages d’incendies de villages par des éléments Séléka. Sur l’axe Mbre – Kaga-Bandoro, où la FIDH s’est rendue, 270 maisons ont été incendiées et 6 personnes ont été tuées le 14 avril 2013 dans 6 villages par des Séléka en représailles du meurtre de l’un d’entre eux.
Par ailleurs, alors que le pays a été pillé de ses biens publics et privés de manière générale et systématique les jours qui ont suivi le coup d’Etat au profit des chefs rebelles et des seigneurs de guerre, des éléments Séléka, non payés par leur hiérarchie, continuent les braquages et le racket de la population.
La FIDH affirme que les crimes commis par les éléments Séléka le sont en toute impunité. En province, où les Séléka ont tous pouvoirs et où l’Etat est complètement absent, aucune justice n’est rendue. A Bangui, au moment de la mission, seulement 16 mandats de dépôt étaient confirmés par le procureur de la République. Si des éléments Séléka sont parfois arrêtés par la FOMAC ou des officiers de police judiciaire, ils sont pour la plupart cantonnés dans des centres de détention pour une formation disciplinaire mais échappent à toute procédure judiciaire.
L’Etat centrafricain est aujourd’hui dans l’incapacité de veiller à la protection de la population via le rétablissement d’une force publique et la lutte contre l’impunité des auteurs des crimes les plus graves. Les caisses sont vides. Une crise institutionnelle autour d’une charte constitutionnelle de transition paralyse l’exercice du pouvoir en lambeaux à Bangui et inexistant en province. Le dernier épisode pour le partage de l’autorité est le limogeage du gouvernement du puissant chef rebelle Dhaffane enfermé illégalement dans la résidence du chef de l’Etat depuis le 30 juin 2013.
Dans ces circonstances, les forces et le mandat de la FOMAC sont manifestement insuffisants pour assurer la protection de la population. Parmi les 1000 éléments de la FOMAC actuellement en RCA, le contingent tchadien le plus important en nombre ne rassure pas la population. Et les seules trois garnisons de province, à Poua, Kaga-Bandoro, et Ndele, ont un rayon d’action territoriale beaucoup trop limité. Quant aux soldats français de l’opération Boali, ils ne patrouillent qu’à Bangui et leur mandat est restreint à la sécurité de l’aéroport et des ressortissants français.
« Assurer la protection de la population est une obligation incontournable et urgente que le dispositif sécuritaire actuel ne garantit pas. La population civile est abandonnée aux mains criminelles des Séléka. La persistance de l’anarchie en Centrafrique risque de fragiliser davantage le pays, d’exacerber les tensions et d’empêcher une reprise économique » , a déclaré Eric Plouvier, chargé de mission de la FIDH. « La présence en grand nombre d’hommes en armes en RCA est par ailleurs une source potentielle de déstabilisation sécuritaire de la sous-région, » a-t-il ajouté.
La FIDH appelle la Communauté internationale à placer la protection de la population civile au centre de ses priorités s’agissant de la situation en RCA. Les Nations unies et l’Union africaine doivent s’engager à la mise en place d’une force internationale dont le mandat et le budget doivent permettre de garantir la protection de la population sur l’ensemble du territoire. Cette nouvelle force devra être assortie d’observateurs pour garantir l’accomplissement de son mandat conformément au droit international des droits de l’Homme.
La FIDH appelle la Communauté internationale à adopter des mesures de sanction contre les chefs de la Séléka et des seigneurs de guerre, notamment le gel des avoirs financiers.
La FIDH appelle à une opération effective de désarmement des Séléka sur l’ensemble du territoire et au redéploiement de l’autorité de l’Etat dans tout le pays.
Considérant que la lutte contre l’impunité des auteurs des crimes les plus graves est une condition sine qua non de la sécurité, la FIDH demande l’intervention d’une justice à caractère international via l’action de la Cour pénale internationale et/ou la mise en place d’une juridiction mixte spécifique.
La FIDH appelle enfin les autorités de transition à garantir le respect du droit international des droits de l’Homme dans la mise en place de ses institutions, l’adoption de ses législations et la mise en œuvre de ses politiques.
La FIDH publiera dans les prochaines semaines le rapport complet de sa mission internationale d’enquête en RCA.